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Saint Suaire : enquête sur un éternel mystère

Réplique du saint suaire, dans la chapelle de Guarini de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin. L’original n’est exposé qu’à de rares occasions.
Réplique du saint suaire, dans la chapelle de Guarini de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin. L’original n’est exposé qu’à de rares occasions. © PACIFIC PRESS/SIPA / SIPA
Arthur Herlin

Conservée depuis le XVIe siècle à la cathédrale de Turin, cette longue bande de lin porte l’empreinte d’un corps flagellé et crucifié. Peut-être celui du Christ. Spécialiste du sujet, l’historien Jean-Christian ­Petitfils nous explique en quoi ce linceul est loin d’être un tissu de mensonges.

Paris Match. Quel itinéraire connu et attesté a parcouru le saint suaire à travers les siècles ?
Jean-Christian Petitfils.
Ce grand linceul de 4,42 mètres de longueur sur 1,13 mètre de largeur, présentant la double silhouette des faces ventrale et dorsale d’un crucifié, flagellé, ­torturé, portant tous les signes de la Passion du Christ, fait son apparition vers l’an 405, lorsque le bienheureux Daniel de Galash se rend à Édesse, en haute ­Mésopotamie (aujourd’hui Urfa en Turquie), pour vénérer une mystérieuse image acheiropoïète, c’est-à-dire « non faite de main d’homme », du Messie, probablement arrivée en 388 de la grande ville d’Antioche, où vivaient de nombreux chrétiens depuis les temps apostoliques.

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À partir de ce moment, toute l’iconographie du visage du Christ, représentations picturales ou pièces de monnaie byzantines, se met à obéir aux caractéristiques de cette image (cheveux longs séparés par une raie au milieu, barbe bifide, carré ouvert entre les sourcils, coulée de sang sur le front souvent confondue, par les artistes, avec une mèche… soit quinze signes). L’image est alors conservée dans la cathédrale Sainte-Sophie d’Édesse avant que les Byzantins ne l’achètent à l’émir en 944, où, le 15 août, elle est transférée solennellement à Constantinople, capitale de ­l’Empire romain d’Orient. Comme la plupart des reliques du palais impérial du ­Boucoléon, elle échappe aux pillages des croisés lors du sac de 1204.

En septembre 1241, l’empereur latin de Constantinople, ­Baudouin II de Courtenay, la cède à Saint Louis, qui la place dans la Sainte-Chapelle, à Paris, à côté de la ­couronne d’épines, acquise deux ans plus tôt, et de nombreuses autres reliques de la Passion. En septembre 1347, ­Philippe VI de Valois, qui en ignore l’origine et la valeur insigne, l’offre à son valeureux porte-oriflamme, ­Geoffroy de Charny. C’est sa petite-fille, à court d’argent, qui la cède en 1452 à Louis Ier de Savoie. Elle est alors transportée à Genève, puis à ­Chambéry et à Turin, où elle arrive le 1er juin 1578. En 1983, la maison de Savoie en fait don au Vatican à condition qu’elle soit conservée à Turin, où elle se trouve toujours.

 Le Suisse Max Frei y découvre en 1973 des pollens de plantes qui ne poussent qu’entre le désert du Néguev et la mer Morte 

Jean-Christian Petitfils


Pourquoi a-t-il fallu attendre l’apparition de la photographie pour comprendre la portée de cette relique ?
Le 28 mai 1898, le chevalier turinois Secondo Pia photographie pour la première fois le linceul dans la cathédrale Saint-Jean-Baptiste. Il s’aperçoit alors avec stupéfaction que le négatif de son film argentique révèle une image positive : le noir devenant blanc et le blanc, noir ! L’impression est saisissante. Commence alors l’histoire scientifique du ­linceul avec ses avancées étonnantes : le Suisse Max Frei y découvre en 1973 des pollens de plantes qui ne poussent qu’entre le désert du Néguev et la mer Morte.

Entre 1973 et 1976, le ­Français Paul ­Gastineau et les Américains John P. Jackson et R. W. Mottern font apparaître le caractère tridimensionnel de l’image, son intensité étant inversement proportionnelle à la distance entre le corps et le linge. En 1981, trente-trois savants du Sturp (Shroud of Turin Research Project) remettent leurs conclusions : il ne s’agit ni de peinture ni de pigment colorant, mais d’un mystérieux et léger ­brunissement dégradé n’affectant que le sommet des fibrilles de lin sur une épaisseur de 20 à 40 microns.​

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Jean-Christian Petitfils, écrivain, historien et politologue français, chez lui dans le 15eme arrondissement de Paris
Jean-Christian Petitfils, écrivain, historien et politologue français, chez lui dans le 15eme arrondissement de Paris Paris Match / © Frederic Lafargue


A-t-on analysé les traces de sang sur le linge ?
Absolument. En 1980, les Américains John H. Heller et Alan D. Adler ont découvert des traces de sang humain par analyse chimique et la présence de liquide séreux sur les traces des coups de fouet par photographie à fluorescence. Depuis on a déterminé le groupe ­sanguin : AB (4 % de la population mondiale), le même qui figure sur deux autres reliques de la ­Passion, le suaire d’Oviedo, arrivé en Espagne au VIIe siècle (un linge au tissage archaïque de 85 ­centimètres de longueur sur 52 de largeur qui aurait recouvert le visage du Christ de sa mort jusqu’à sa mise au tombeau), et la sainte tunique ­d’Argenteuil, ­parvenue en France au IXe siècle, que Jésus aurait portée sur le ­chemin de croix. Certaines taches de sang se superposent étonnamment avec celles du linceul.​


Chaque fois que le linceul est exposé, il attire des millions de visiteurs. Pourquoi ce tissu de lin fascine-t-il toujours autant ?
L’image de l’homme du linceul est absolument fascinante, criante de vérité. C’est celle d’un crucifié, d’une mystérieuse beauté, hiératique, sereinement figé dans la mort. Elle est encore plus fascinante lorsqu’on contemple le négatif photographique et sa représentation tridimensionnelle. « Plus qu’une image, disait Paul Claudel, c’est une présence ! » « Témoin muet, dira à son tour Jean-Paul II, mais en même temps témoin éloquent d’une manière surprenante. »

 Il existe aujourd’hui un tel faisceau ­d’indices en faveur de l’authenticité que le doute n’est plus permis 

Jean-Christian Petitfils


Est-il raisonnable de croire à son authenticité ? Les conclusions de l’étude au carbone 14 de1988 n’ont-elles pas réduit à néant la ­crédibilité du linceul de Turin ?
Il existe aujourd’hui un tel faisceau ­d’indices en faveur de l’authenticité que le doute n’est plus permis. Il s’agit bien du linceul qui a enveloppé Jésus le Nazaréen au soir de sa mort, le 3 avril de l’an 33 ! Il est exact que l’analyse au carbone 14 effectuée en 1988 en accord avec le Vatican par les laboratoires d’Oxford, de Zurich et de Tucson a conduit à une fourchette de datation surprenante, en discordance avec tout ce que l’on savait du linceul à cette époque : 1260-1390. La nouvelle eut à l’époque un retentissement mondial, et l’on a cru que le débat était clos. Ces anomalies ont trouvé leur explication grâce aux travaux remarquables d’un chimiste américain, Raymond Rogers, qui a montré en 2005 que la zone de prélèvement des échantillons avait fait l’objet d’un sérieux ravaudage avec insertion de fils de coton. Un Français, Thibault Heimburger, a d’ailleurs découvert sur un fil venant de cette zone la trace visible au microscope d’une épissure, donc d’un raccommodage. Nouvelle découverte en avril 2022 : le professeur Liberato De Caro, de l’Institut de cristallographie de Bari, assisté du professeur Giulio Fanti, de l’université de Padoue, utilisant une nouvelle technique de datation appelée « wide-angle X-ray scattering » (Waxs), consistant à mesurer le vieillissement de la cellulose du lin au moyen de rayons X à grand angle, est parvenu à la conclusion que le linceul, très proche dans sa structure d’un échantillon de lin trouvé dans les ruines de Massada, la citadelle juive tombée en 73, remontait bien au Ier siècle de notre ère.​

NEW DISCOVERY ABOUT THE TURIN SHROUD (Photo by Pierre Perrin/Sygma via Getty Images)
Les « fantômes d’écriture » décodés par André Marion à l’Institut d’optique d’Orsay : « In necem ibis », «À la mort tu iras ». Sygma via Getty Images / © Contributor


Les caractéristiques de ce tissu sont-elles compatibles avec les coutumes de l’époque du Christ ou a-t-il eu droit à un traitement ­spécial ?
Plusieurs experts en numismatique ont établi la présence sur les yeux de l’homme du linceul de petites pièces de monnaie antiques, notamment sur l’œil droit d’un lepton frappé sous Ponce Pilate entre l’an 29 et l’an 31. Cette coutume a été observée sur les crânes anciens de notables juifs du Ier siècle. De sorte qu’on peut se demander si Joseph ­d’Arimathie et Nicodème, qui ont procédé à l’ensevelissement de Jésus, n’ont pas voulu lui donner un caractère « royal » . N’était-il pas pour eux le Messie ? D’où ce sergé de lin à ­chevrons en arêtes de poisson extrêmement cher qu’ils ont acheté au lieu d’un simple drap.

À noter aussi la présence le long du corps et sur celui-ci de bouquets de fleurs du jardin, peut-être coupées par les saintes femmes, comme l’ont constaté l’Américain Alan ­Whanger, de l’université Duke, et l’Israélien Avinoam Danin, de l’université hébraïque de Jérusalem, humbles petites fleurs des champs blanches, bleues ou mauves, aux étamines jaunes ou violettes, poussant toutes en ­Palestine. Par ailleurs, l’ingénieur français André Marion, de l’Institut d’optique d’Orsay, a découvert de mystérieux « fantômes d’écriture » le long du visage : NAZARENU, le Nazaréen, INNECE, qui serait le reste de la formule de ­condamnation à mort reproduite par l’huissier romain, « In necem ibis » (« À la mort tu iras »).​

 Le grand mystère reste celui de la formation de l’image que l’on est incapable aujourd’hui de reproduire à l’identique 

Jean-Christian Petitfils


Où en sont les recherches ? Quelles sont les dernières trouvailles et les zones d’ombre ?
Le grand mystère reste celui de la formation de l’image que l’on est incapable aujourd’hui de reproduire à l’identique. S’agit-il d’un phénomène électrique, comparable à ­l’effet corona ? Du « flash de la résurrection » ? ­Docteur en biophysique, le père Jean-Baptiste Rinaudo a émis l’idée d’un double rayonnement de protons et de neutrons provenant d’une rupture du noyau de deutérium, dont les atomes se trouvent répartis en très faible proportion dans le corps humain, mais son hypothèse est loin de faire l’unanimité dans la communauté des chercheurs.

Pope Francis touches the Shroud of Turin during a two-day pastoral visit in Turin, Italy, June 21, 2015. REUTERS/Giorgio Perottino - GF10000134788
Le recueillement du pape François à la cathédrale de Turin, le 21 juin 2015. REUTERS / © REUTERS


Quel est, à vos yeux, l’aspect le plus fascinant de cet objet ?
Outre l’inversion des couleurs découverte par la photographie en 1898 et le caractère tridimensionnel de l’image, il faut ajouter quatre phénomènes inexplicables rationnellement: 1 l’absence de traces de décomposition du corps, ce qui laisse supposer que celui-ci n’est pas resté plus de trente-six heures dans le linceul ; 2 le parfait modelé des caillots de sang qui ne permet pas de comprendre comment le corps a pu ­sortir sans laisser la moindre trace ; 3 le fait que la face ventrale et la face dorsale présentent la même densité, comme si le corps se ­trouvait en état d’apesanteur ; 4  enfin, la présence sur des images polarisées des ligaments des mains, des dents et des os du visage, comme si le linceul, en s’affaissant, avait scanné le corps devenu transparent. Loin de nous l’idée, bien entendu, que l’on puisse, à ­partir de cette seule relique, prouver la matérialité de la résurrection : acte de foi qui ne se comprend pour les chrétiens que dans la plénitude de la révélation.​

Tout a déjà été montré dans les années 1930


Partant du principe qu’il est authentique, que nous apprend le linceul de Turin du Christ et de sa Passion ?
Tout a déjà été montré dans les années 1930 par le docteur Pierre Barbet de l’hôpital Saint-Joseph à Paris, la flagellation, 120 coups portés par un fouet appelé flagrum, avec deux lanières se terminant par deux petites billes reliées en haltère ; le patibulum, c’est-à-dire la barre horizontale de la croix portée sur le dos ; les clous enfoncés dans les ­poignets et non dans la paume de la main, enfin le coup de lance sur le côté droit fait par une lance a à feuille plate. Relecture historique de la Passion d’un réalisme ­saisissant !

« Le saint suaire de Turin : 
témoin de la Passion de Jésus-Christ », 
de Jean-Christian Petitfils, 
éd. Tallandier, 464 pages, 26 euros.

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