David Corona, la négociation chevillée au cœur

David Corona, ancien négociateur du GIGN, désormais spécialiste de la gestion de crise dans le privé. Mars 2024. ©Radio France - Florence Sturm
David Corona, ancien négociateur du GIGN, désormais spécialiste de la gestion de crise dans le privé. Mars 2024. ©Radio France - Florence Sturm
David Corona, ancien négociateur du GIGN, désormais spécialiste de la gestion de crise dans le privé. Mars 2024. ©Radio France - Florence Sturm
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David Corona, 45 ans, est un ancien négociateur au GIGN, l’unité d’intervention de la gendarmerie nationale. Désormais reconverti dans le privé, à la tête d'une société, il accompagne aussi bien les sportifs de haut niveau que les chefs d’entreprises victimes de cyberattaques informatiques.

Le 23 janvier 2024, il s’est avancé à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris au procès des attentats de Trèbes et Carcassonne. Quatre morts dont le lieutenant-colonel Beltrame qui avait pris la place de la jeune femme retenue en otage dans le Super U. "C’était une erreur au sens militaire, mais un acte de courage héroïque" résume l’ancien négociateur du GIGN à qui l’on pose souvent la même question : à quoi cela sert-il de négocier avec les terroristes ?

"Alors, pour la plupart des gens, cela ne sert à rien. Mais c’est l’un de mes grands chevaux de bataille. Au même titre que certains psychotiques ou schizophrènes, qui ont complètement pété les plombs et pour lesquels on n’a aucun doute sur le fait qu’il faut tenter absolument quelque chose… On n’a pas encore trouvé la voie de la reddition pour ces gens-là. Ce serait pourtant plus intéressant d’arriver à les raisonner, à les faire sortir pour les présenter à un tribunal plutôt que de les neutraliser. Ce serait un grand pas pour la société et les familles endeuillées de leurs victimes."

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Aujourd’hui, la silhouette se découpe, épaules carrées, jean et tee-shirt blanc à l’entrée de la grande maison familiale, où David Corona, 45 ans, élève six enfants, famille recomposée, cinq garçons et une fille, "mais qui ne s’en laisse pas conter. On est en sport études-études négociation !", lance-t-il en attrapant un mug violet de café à l’effigie de Disney.

Un Quaich traditionnel, symbole de sa passion pour l’Ecosse, une plaque du GIGN et l’ogive d’une kalachnikov qui s’est écrasée devant lui lors d’une opération.
Un Quaich traditionnel, symbole de sa passion pour l’Ecosse, une plaque du GIGN et l’ogive d’une kalachnikov qui s’est écrasée devant lui lors d’une opération.
© Radio France - Florence Sturm
Les Pieds sur terre
29 min

Une forme de revanche sur l’enfance

La vocation ne lui a pas été léguée en ligne directe par un grand-père gendarme en veste beige, képi et bandoulière, plutôt par un véritable coup de foudre, le 26 décembre 1994, face à la prise d’otages du vol Air France 8969 en provenance d’Alger, sur l’aéroport de Marignane "quand j’ai vu cette équipe de fous se lancer à l’assaut de cet avion pour essayer de sauver tous les otages". Il avait quinze ans. Il lui faudra encore attendre quinze de plus avant de réussir à intégrer l’unité d’élite, le jour anniversaire de ses 30 ans, après un premier échec à des tests de sélection ultra-sélectifs. Une forme de revanche sur l’enfance bouboule d’un petit garçon aux yeux bleus et aux cheveux roux, moqué par ses camarades de classe, inscrit en guitare classique au conservatoire, des foulards en soie autour du cou : "je ne sais pas encore que je vais faire un métier de cette double activité qui consiste à me bagarrer la plupart du temps et à discuter avec mes harceleurs l’autre moitié de ce temps. Joli clin d’œil à cette période difficile."

Au GIGN, explique encore David Corona, les spécialistes doivent être obligatoirement opérationnels dans les colonnes d’assaut. À l’époque, le rôle de négociateur n’est pas vraiment prisé, parfois même un peu méprisé au sein de l’unité spéciale. Lui décline ses atouts maîtres : "Au-delà même de l’objectif premier de la reddition, la négociation a toujours valeur de prise de renseignement, de visée, de diversion pour occuper le cerveau du preneur d’otages. Et puis, cela reste un truc vendable ensuite dans le privé !"

Car les missions s’enchaînent, plus de 200 à son actif. La prise d’otages qui a suivi, dans une entreprise de Dammartin en Goële, la tuerie terroriste de Charlie Hebdo en janvier 2015 reste l’un des moments forts de sa carrière. Le sourire d’une petite fille de deux ans, enlevée en Côte d’Ivoire et qui retrouve les bras de sa mère, embue encore ses yeux. "Je me dis à ce moment-là que c’est vraiment un beau métier." Les heures comptent triples dans les opérations spéciales et l’on arrive plus vite à l’âge de la retraite au GIGN. À 40 ans, 185 trimestres cotisés, la reconversion se présente au hasard d’une rencontre avec le cavalier Philippe Rozier, qui rêve de rejoindre l’équipe de France pour les Jeux olympiques. David Corona, lui, n’est jamais monté sur un cheval, mais il se lance avec succès dans une préparation mentale qui se traduit par une médaille d’or par équipe aux JO de Rio en 2016. Par ricochet, les demandes d’autres cavaliers de haut niveau affluent, puis celles d’autres sportifs, judokas, pilotes de motocross aux États-Unis, joueurs de poker. Le seul qu’il ait refusé était un torero. Puis, les chefs d’entreprise s’intéressent à leur tour à la méthode de coaching.

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Le triptyque essentiel : moi, l’autre et la situation

En 2020, au tout début du confinement, il quitte le GIGN et jette les premières bases d’ In_Cognita, la société cofondée avec sa compagne, Anne-Gervaise Vendange. Compétences croisées et complémentaires. Elle est formatrice, psychologue, profileuse et experte en gestion de crise. Sur la page d’accueil de leur site Internet, ils posent côte à côte, bras croisés, sur une ligne de chemin de fer, une image à inspirer les créateurs de séries… Tout comme le prie-Dieu et sa Sainte-Rita, patronne des causes perdues, installées sous l’enseigne de la société, dans le salon d’accueil, non loin d’un immense tableau blanc rempli d’annotations techniques. Anne qui glisse un rapide, mais très cordial bonjour avant de s’enfermer dans la pièce voisine, la salle de crise. La maison est aussi leur bureau, afin de pouvoir intervenir plus vite pour les situations d’urgence, joignables 24 h sur 24 pour leurs clients, des chefs d’entreprise de plus en plus confrontés aux cyberattaques : dix dossiers traités en 2023, cinq déjà depuis le début de l’année. Et insiste, David Corona, aucune rançon versée à ce stade. "C’est ce que l’on essaie de proscrire absolument, selon les préconisations de l’ANSSI, l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, le super-gendarme informatique de l’État français. Nous allons toujours inciter les chefs d’entreprise à ne pas payer la rançon, mais plutôt les accompagner pour traverser cette tempête et se reconstruire. Cela prend des semaines, des mois. Cela crée des tensions en interne, en externe, surtout quand il y a - c’est le cas en ce moment- des fuites de données avec des publications sur l’espace public et potentiellement de la revente de données qui génèrent des crises de notoriété pour les entreprises. Les dirigeants doivent gérer de manière globale tous ces éléments pour en ressortir par le haut et ne pas subir les méfaits de ces attaques."

Avec, quelle que soit la situation, un recentrage sur l’humain, incarné par le "G" stylisé de l’enseigne In_Cognita, qui peut se lire comme le chiffre 3, base du triptyque essentiel de David Corona : "L’important consiste à reconnecter la personne que l’on accompagne à ce qu’elle est capable de faire ou ce qu’elle n’arrive plus à faire. Selon nous, toutes les situations problématiques ou conflictuelles résident dans ce triptyque : moi, l’autre et la situation. À partir du moment où je comprends qui je suis, où je parviens à avoir de l’influence sur mon propre comportement, à déchiffrer l’autre, où j’ai des outils pour influencer la situation, alors j’ai une prise sur tout ce qui me pose problème, dans ma vie privée comme professionnelle."

Et les rêves, les passions ? Les voyages, la découverte de cultures différentes. Embarquer toute la tribu au bout du monde. En attendant, l'auteur de 'Négocier', chez Grasset, va ouvrir une filiale de sa société au Québec et soigne sa collection de kilts écossais, confectionnés sur mesure par un maître tailleur d’Edimbourg. Lui qui a grandi dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec des origines italiennes, mais se verrait bien dans une cabane en bois au milieu des Highlands.

Sous l’enseigne de la société de David Corona, un prie-Dieu avec Sainte Rita, la patronne des causes perdues.
Sous l’enseigne de la société de David Corona, un prie-Dieu avec Sainte Rita, la patronne des causes perdues.
© Radio France - Florence Sturm
L'invité de 6h20
5 min

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