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Attaque au couteau à la gare de Lyon : l’agent de sécurité qui avait neutralisé l’assaillant a été décoré à l’Assemblée nationale

REPORTAGE. Pour sa conduite héroïque lors de l’attaque du 3 février à la gare de Lyon, Abderahmane Cissé et la direction de son entreprise ont reçu la médaille de l’Assemblée nationale ce jeudi des mains de Julien Rancoule, député RN qui préside le groupe d’études sur la sécurité privée.

Humbert Angleys , Mis à jour le
Abderahmane Cissé a reçu la médaille de l'Assemblée jeudi 14 mars, pour son acte de bravoure face à l'assaillant de la gare de Lyon le 3 février 2024.
Abderahmane Cissé a reçu la médaille de l'Assemblée, pour son acte de bravoure face à l'assaillant de la gare de Lyon le 3 février 2024. © HA

Vous avez pu sauver des vies, on peut le dire maintenant » : Julien Rancoule félicite Abderahmane Cissé, dans une salle de l’hôtel de Broglie, qui dépend de l’Assemblée nationale voisine dans le VIIe arrondissement. Il lui décerne ce jeudi 14 mars une médaille de l’Assemblée pour son comportement héroïque lors de l’attaque au couteau survenue gare de Lyon le 3 février dernier. Trois personnes avaient été blessées, dont une grièvement, par Kassogue S., Malien de 32 ans.

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L’agent de sécurité mis à l’honneur est accompagné de son employeur, Demba Yatera, président de l’entreprise Euro sûreté protection (ESP), de la directrice générale Coumba Yatera, et de deux chefs d’équipe. Ils sont reçus par une délégation de députés du Rassemblement national : outre Julien Rancoule, qui préside le groupe d’études sur la sécurité privée, figurent Christophe Barthès, député de l’Aude, Frédéric Boccaletti, député du Var, et Jocelyn Dessigny, député de l’Aisne, tous membres du groupe créé en février 2023. Yoann Gillet, député du Gard en passe de rejoindre le groupe, s’est joint à eux.

Julien Rancoule accueille chaleureusement l’agent récompensé : « Monsieur, nous n’avons pas tous les jours l’occasion de recevoir un agent de sécurité privée, qui s’est distingué par son courage, un véritable honneur ! C’est l’occasion de vous entendre sur votre profession et votre parcours… » Le maître de cérémonie rappelle qu’il s’agit aussi de mettre en lumière la filière de la sécurité privée « qui concerne 300 000 personnes en France, un secteur souvent méconnu des décideurs publics, des parlementaires et des Français, alors que vous faites un travail essentiel pour la sécurité des biens et des personnes ».

Julien Rancoule a lui-même été agent de sécurité, « même si je n’ai pas vraiment la même carrure que vous », lance-t-il à l’athlétique Abderahmane Cissé qui s’esclaffe. « J’ai toujours souhaité voir la filière se développer, et lui donner des lettres de noblesse. Les Jeux olympiques montreront bien le besoin très important en sécurité privée. Début avril, un débat important est prévu à l’Assemblée nationale, nul doute que les questions de sécurité privée y seront abordées ».

Abderahmane Cissé, légèrement intimidé, est invité à se présenter et à raconter les événements : « Je travaille depuis sept ans chez ESP. Ce jour-là, je commence mon service à six heures du matin… Vers 7h30, 8h, j’étais sur le terrain, j’entends un premier cri, d’une voix féminine, puis un deuxième plus prononcé, voie D, et je décide d’aller voir… Je croise une dame qui court en criant dans l’autre sens, j’aperçois l’assaillant, je distinguais du sang sur son poignet, je vois une personne au sol, se tenant le ventre, il y avait beaucoup de traces de sang. Je vois que quelque chose de dramatique se passe, et je décide d’aller porter assistance sans attendre. Tout ça s’est passé très vite ! ». Il raconte comment il est venu en aide à la personne qui se débattait, tordant à deux reprises le poignet de l’assaillant pour le faire lâcher son couteau. Puis « une autre personne dans la foule a écarté le couteau, j’ai saisi les deux mains [de l’assaillant], l’ai plaqué au sol. J’ai donné l’alerte, et les renforts sont arrivés. »

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Son chef d’équipe raconte avoir relayé le message : « plusieurs personnes à terre suite à une attaque au couteau ! » Les équipes ont afflué, écarté couteau, marteau, sac à dos… « On a déplacé l’assaillant loin des victimes, parce qu’il continuait à se débattre. Il a été menotté par la Suge [la Sûreté ferroviaire, ndlr] et la police. On ne voulait pas d’image qui fuite […] La police et les pompiers sont arrivés pour prendre les victimes en charge ». La direction de l’entreprise est venue sur place, ajoute-t-il, en la personne de Coumba Yatera, la directrice générale. Il fallait « mettre en place une cellule psychologique, parler avec tous les agents, même ceux qui n’étaient pas sur l’intervention, manifester que la direction était avec eux », se souvient-elle.

Les dirigeants et cadres de l'entreprise Euro Sûreté Protection autour d'Abderahmane Cissé, avec qui ils étaient reçus à l'hôtel de Broglie (Paris 7e) ce jeudi 14 mars.
Les dirigeants et cadres de l'entreprise Euro Sûreté Protection autour d'Abderahmane Cissé, avec qui ils étaient reçus à l'hôtel de Broglie (Paris 7e) ce jeudi 14 mars. © HA

Julien Rancoule relance l’agent de sécurité : « Monsieur Cissé, vous étiez formé aux gestes pour neutraliser ? Vous pratiquez des arts martiaux ? » De la boxe anglaise seulement, répond l’intéressé, à qui la question arrache un sourire. « En parallèle, je fais un peu de garde rapprochée, les gestes pour désarmer, les clés de bras, je connais… » Son patron rebondit pour présenter les initiatives prises chez ESP pour former les agents de la « task force » à ce type de situation : désarmer, amener au sol…

Cette unité a été créée en 2016, suite à une mission gare du Nord pour l’Euro 2016 – déjà la crainte des supporters anglais… Elle a conduit Demba Yatera, à la tête d’ESP, à créer cette unité spécifique, pour renforcer les compétences des agents « simples », même avec un profil « intervention » : ils ont « un sens de la médiation avancée, des formations un peu plus complètes, des notions juridiques, des gestes d’autodéfense… » L’expérimentation de la gare du Nord s’est montrée efficace et l’entreprise a rapidement développé cette « task force » qui compte aujourd’hui un peu plus de 100 agents. Depuis « nous sommes un peu victimes de notre succès, des grosses sociétés nous ont copiés, avec des prix plus concurrentiels, et nous ont pris quelques parts de marché », détaille le dirigeant.

« Les Abderahmane Cissé, il y en a beaucoup, pas toujours dans la lumière »

« Ça fait 25 ans que je fais de la sécurité, enchaîne Demba Yatera. Ça a toujours été un métier mal vu, mal perçu par beaucoup de monde. C’était important de créer une vraie plus-value, avec un parcours d’évolution complet : agent de sécurité, “task force”, chef d’équipe, coordinateur… Notre métier est de plus en plus reconnu, en ce moment avec les JO, les choses changent un peu, on se bat tous les jours pour ça, tant mieux ! Les Abderahmane Cissé, il y en a beaucoup et malheureusement, ils ne sont pas toujours dans la lumière. C’est pour ça que je vous remercie, merci de faire avancer le métier et nous aider à grandir », conclut-il à l’adresse des députés.

Les nombreuses questions liées au métier sont ensuite évoquées à bâtons rompus : les besoins d’équipements, de port de gants anti-lames par exemple, l’espoir de l’autorisation d’une caméra piéton… La réalité financière, aussi : malgré les besoins, l’économie du métier reste fragile, et une « garantie financière » serait une solution pour que seules les entreprises solvables – une myriade d’autoentrepreneurs et de petites entreprises sont sur le marché – puissent effectuer des missions.

Demba Yatera revient sur l’histoire de l’entreprise qu’il dirige : elle existe depuis 2005, et il y travaille lorsqu’il apprend en 2009 que les dirigeants allaient déposer le bilan. Sans notion de gestion, il se propose pour reprendre l’entreprise, une quinzaine de salariés à l’époque. En cumulant avec un autre boulot en parallèle le soir, en négociant des échelonnements de dettes, il la sauve et la développe jusqu’à compter aujourd’hui 500 salariés et 17 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec environ 70 % de contrats en Île-de-France. Il a eu la bonne idée de proposer des services spécialisés, ayant réalisé que ce type d’offre inspirait davantage confiance.

Le patron revendique aussi une dimension sociale : « nous ne sommes pas une simple entreprise de sécurité, je tiens aussi à un engagement fort envers les jeunes. J’ai grandi à Trappes, dans un quartier difficile, et j’ai toujours voulu accompagner les jeunes vers la formation et l’emploi. Quand on leur donne leur chance, on les accompagne et ils nous le rendent au centuple », poursuit-il, précisant que l’entreprise compte un nouveau centre de formation.

Les députés se montrent admiratifs de son parcours : « Je salue aussi votre réussite », lance Jocelyn Dessigny. L’entrepreneur expose ensuite les principaux axes d’amélioration possibles pour le secteur. Il n’est pas forcément partisan de la garantie financière : « On pourrait fermer la porte à une personne qui serait sérieuse et aurait envie de faire des choses, et l’ouvrir à d’autres qui auraient seulement de l’argent… » Après avoir décrit la mobilisation de ses équipes pour les JO, il souffle une demande à formuler à Gérald Darmanin. « Ça peut être une question intéressante à poser au ministre », note Julien Rancoule. « On a besoin que le gouvernement soit là, sinon on n’y arrivera pas », appuie le patron.

« On l’a peut-être sauvé, et on se retrouve quand même en garde à vue ! »

Le chef d’équipe reprend la parole : « C’est une occasion qui ne va peut-être pas se présenter, alors je saisis ma chance. On ne se sent pas accompagnés, alors qu’on est souvent en première ligne. » Il livre des exemples édifiants : « gare de Lyon, un jeune migrant sans billet interpellé voulait traverser les voies, menaçait de se suicider, on l’attrape, et… on se retrouve en garde à vue. On serait d’ailleurs en garde à vue pour non-assistance à personne en danger s’il s’était exécuté, sans doute… On l’a peut-être sauvé, et on se retrouve quand même en garde à vue ! » Il décrit les insultes – « bon, ça on est immunisés » –, une mésaventure avec un militaire en civil qui tentait de frauder, ou les interventions qui se terminent mal : « on intervient parfois pour des vols avec violences, et souvent ils quittent le commissariat avant nous ! »

La sélection, qui s’est durcie, empêche parfois certains jeunes de devenir agents de sécurité, plaide-t-il enfin : « Une dernière chose : on a beaucoup de jeunes qui veulent faire ce métier, mais qui ont fait des erreurs. Il faut savoir leur donner une seconde chance ! » Son président confirme : « il faudrait essayer de faire plus confiance aux entreprises ».

Les agents sont souvent démunis, doivent intervenir sans équipement ou presque. Abderahmane Cissé témoigne à nouveau : « Comme d’habitude, j’avais les mains vides. Si au moins j’avais eu les menottes, j’aurais pu le mettre hors d’état de nuire le temps que la Sûreté ferroviaire arrive ! »

Julien Rancoule conclut : « On essaie de montrer la réalité de la sécurité privée. Beaucoup de gens ont l’image du vigile… On est sur la bonne pente, c’est en étant intransigeant et en montrant le sérieux de la filière qu’on y arrivera ».

Trêve d’échanges francs, c’est l’heure de la remise de médaille : pour le laïus simple et direct de Julien Rancoule, la cour de l’hôtel de Broglie brille d’un soleil printanier, dont l’éclat se reflète dans les yeux d’Abderahmane Cissé – à moins que ce soit la fierté de recevoir un nouvel éloge ? Le « héros », naturalisé français il y a une dizaine d’années, se montre humble : « Je ne me considère pas comme un héros, plutôt comme un citoyen qui a fait son travail. Si c’était à refaire, je le referais. » S’il juge la médiatisation anecdotique par rapport à son devoir accompli, il se réjouit de saisir l’occasion d’avoir « un peu plus de reconnaissance » pour un « métier pas connu » qu’il exerce depuis 25 ans.

Le métier « s’est professionnalisé depuis dix ans », rappelle Julien Rancoule une fois la petite cérémonie terminée. L’objectif de ce rendez-vous était de mettre en valeur cet exemple, cet acte de bravoure qui a certainement sauvé des vies, de rendre hommage à ces agents qui travaillent dans l’ombre, peu voire pas équipés, et prennent des risques pour notre sécurité. Sans toujours être remerciés ensuite ! Il n’y a pas encore cette culture que l’on trouve chez les policiers ou les pompiers ».

Les dirigeants de l’entreprise ESP ont aussi été décorés. Satisfait d’avoir honoré ces professionnels, « des exemples de méritocratie », le député de l’Aude compte bien continuer son travail parlementaire pour renforcer le métier et redorer son image. Si le ministre de l’Intérieur n’a pour l’heure pas répondu à ses propositions, y compris celle d’un échange dépassionné en dehors des joutes dans l’hémicycle, le député est convaincu que son engagement paiera à terme, pour Abderahmane Cissé et tous les autres agents dévoués qui ont leur place dans le fameux « continuum de sécurité ».

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