Brésil : un Lula peut en cacher un autre

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Le président brésilien, qui recevra Emmanuel Macron ces jours prochains en visite d'Etat, est un modèle de persévérance et de militantisme. Mais son refus de faire la distinction entre agresseurs et agressés en Ukraine, comme à Gaza, pose question.
François Clemenceau
François Clemenceau.
François Clemenceau. (Crédits : © LTD / DR)

A voir Luiz Inácio Lula Da Silva, 78 ans, prendre la parole de sa voix rocailleuse et passionnée devant chaque public qu'il harangue depuis plus d'un demi-siècle, on se dit que le monde a de la chance d'avoir un homme de ce courage et de cette persévérance à la présidence du Brésil.

Visite d'État

Depuis 2022 de nouveau à la tête de la neuvième économie mondiale, successeur du populiste ultra-réactionnaire Jair Bolsonaro, Lula accueillera Emmanuel Macron mardi soir à Belém, première visite d'État bilatérale en Amérique latine du chef de l'État depuis son élection en 2017. Au-delà de la puissance économique du Brésil, dont la Chine est devenue le premier partenaire commercial, de son positionnement d'interlocuteur clé au niveau régional, de membre majeur des Brics, il y a une personnalité, une stature chez Lula qui font de lui presque un mythe.

Lula est fils d'agriculteurs analphabètes devenu syndicaliste sous la dictature militaire, militant politique fondateur du Parti des travailleurs, un personnage historique de la gauche latino qui, après s'être présenté trois fois à l'élection présidentielle, a fini par s'imposer à la quatrième, en 2002. Est-ce pour cela que Jacques Chirac l'admirait ? Pas seulement. Combattant mondial contre la pauvreté - et d'abord dans son pays où il l'a réduite significativement -, Lula a été de tous les combats pour la justice sociale, et engagé dans les causes globales comme l'environnement et le droit des minorités, notamment celui des peuples autochtones si chers au cœur de l'ancien président français.

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Ligne difficilement audible pour les pays occidentaux

Mais dans le monde si brutal qu'est devenu le nôtre depuis la fin de la pandémie de Covid - le même qu'avant « mais en pire », avait prédit Jean-Yves Le Drian -, le président brésilien semble maintenir une ligne de moins en moins audible par ses partenaires occidentaux, avec lesquels il entend continuer à faire prospérer son pays. N'est-ce pas lui qui, après avoir condamné aux Nations unies l'agression russe de l'Ukraine, refuse de livrer des armes à Kiev afin de ménager Vladimir Poutine, comme s'il renvoyait dos à dos agresseur et agressé?

Ou bien qui, encore en septembre dernier, indiquait, avant de se reprendre en restant flou, que, au cas où le président russe viendrait participer au G20 de Rio de Janeiro en novembre prochain, il ne serait pas arrêté pour être déféré à la Cour pénale internationale de La Haye, dont le Brésil a pourtant signé le Statut de Rome? N'est-ce pas non plus Lula qui, le mois dernier, invité au sommet de l'Union africaine à Addis-Abeba, déclarait : « Ce qui se passe à Gaza n'est pas une guerre, c'est un génocide, une guerre entre une armée très entraînée et des femmes et des enfants, un génocide comme on n'en a jamais connu dans l'Histoire, sauf lorsque Hitler a décidé de tuer les Juifs » ?

Un peu plus tôt, aux côtés du secrétaire général de la Ligue arabe, il avait estimé que l'attaque du Hamas le 7 octobre était « indéfendable », tandis que la riposte d'Israël à Gaza était « inacceptable ». Mettre quasiment sur un même plan un pogrom commis par des terroristes et une réponse militaire par l'armée régulière d'un État, bien qu'elle soit disproportionnée et aux conséquences humanitaires catastrophiques, semble résonner sans fausse note avec le discours des dirigeants du « Sud global ».

« Une certaine gauche latino-américaine semble être restée bloquée dans un logiciel ancien fait d'antiaméricanisme et de tiers-mondisme, commente un diplomate européen, fin connaisseur de la région. Ce qui est paradoxal au sujet de la guerre de la Russie contre l'Ukraine, compte tenu de la résistance de cette gauche aux régimes dictatoriaux et tortionnaires et de son attachement à la souveraineté des nations lorsque le droit international est violé. »

Selon cette source, il faudrait donc « ne pas donner le bon Dieu à Lula sans confession ». Et pas davantage à Celso Amorim, ancien ministre des Affaires étrangères de Lula qui continue à le conseiller aujourd'hui. À 81 ans, lui aussi paraît bien perméable au narratif russe sur l'Ukraine. C'est ainsi que, dans une interview à Libération en septembre dernier, il comparait l'Otan à « Hitler, Napoléon et les chevaliers teutoniques »...

N'attendons pas pour autant d'Emmanuel Macron qu'il s'attaque frontalement à cette posture faussement non alignée lors de sa visite d'État à São Paulo, Rio et Brasília. On dit à l'Élysée qu'il est « nécessaire d'engager des partenaires qui ont des positions divergentes », mais qu'il s'agit aussi de se garder de mettre en difficulté Lula sur tous les terrains, afin d'éviter « de nourrir un populisme qui pourrait mener à l'élection d'un nouveau Bolsonaro ». Sous cet angle-là, évidemment...

François Clemenceau
Commentaire 1
à écrit le 25/03/2024 à 7:32
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C'est surtout cet espèce de formatage général imposé par les médias de masse qui moi me fait poser des questions. Cette dictature du bien et du mal tandis que ce osnt deux notions qui n'existent tout simplement pas. "Il n'y a pas de phénomène moral, ...

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