Trente-quatre ans. Il lui aura fallu trente-quatre ans avant que la justice penche en sa faveur. Vendredi 16 novembre, le Conseil constitutionnel a estimé que la garde à vue qu'a vécue Murielle Bolle à l'âge de 15 ans, en 1984, était inconstitutionnelle. Une victoire pour celle qui a été la cible des médias à l'époque, et qui essaie depuis longtemps de faire annuler cette garde à vue, par le biais de son avocat. 

La garde à vue qui a tout fait basculer

Pourquoi ? Car c'est durant cette garde à vue menée sur deux jours que l'adolescente lâche que Bernard Laroche, son beau-frère et cousin du père de Grégory Villemin, a enlevé, sous ses yeux, le petit garçon, alors qu'il venait de la récupérer en voiture à son collège. L'homme serait ensuite descendu du véhicule avec l'enfant de 4 ans, et serait revenu sans lui. Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin était retrouvé mort dans la Vologne, pieds et poings liés.

Un récit que Murielle Bolle, seule témoin-clé dans cette affaire toujours non-résolue, 34 ans après les faits, a ensuite renié quatre jours plus tard. Elle n'est plus jamais revenue sur sa version. Mais le soupçon est resté fort, au point que Jean-Marie Villemin a abattu Bernard Laroche d'un coup de fusil, en 1985.

Cet avis du Conseil constitutionnel peut-il changer quoique ce soit à l'affaire Grégory ? C'est à la cour de Cassation de trancher. Si la justice pénale décide d'aller dans le sens du Conseil constitutionnel, les déclarations de Murielle Bolle seraient rayées de tout acte de procédure où elles sont mentionnées. Le dossier en serait amaigri, mais l'enquête ne serait pas refermée pour autant.

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Interrogée sans avocat à l'âge de 15 ans

Pour expliquer ses premières accusations envers son beau-frère, Murielle Bolle avait invoqué la pression des gendarmes, qui l'avaient interrogée seuls, sans avocat ou parent à ses côtés. Ils l'auraient menacée de l'envoyer en maison de correction, elle qui vivait chez Bernard Laroche depuis quelques temps. 

Murielle Bolle, désormais âgée de 49 ans, avait saisi le Conseil constitutionnel via une Question prioritaire de constitutionnalité, en se référant à la manière dont l’ordonnance de 1945 sur « l’enfance délinquante », portant sur le traitement judiciaire des mineurs, était rédigée à l'époque, au milieu des années 80. À l'époque, aucune mesure spécifique n'était prévue à propos de leur garde à vue, ni en terme de garantie d'un avocat, ou du droit de garder le silence.

Murielle Bolle a qualifié ces manquements de violation de ses droits fondamentaux, et les « Sages » du Conseil ont abondé en son sens. Dans un communiqué, ils soulignent que l’ordonnance, à l'époque, ne prévoyait pas les garanties suffisantes « propres à assurer le respect des droits des personnes placées en garde à vue, notamment lorsqu’elles sont mineures ». 

Un livre-témoignage

C'est une grande victoire pour Murielle Bolle, qui s'était murée dans le silence et menait une vie très discrète depuis le procès de Jean-Marie Villemin, qui s'était tenu en 1993. Le 7 novembre dernier a été publié Briser le silence (Michel Lafon), un livre où la Vosgienne affirme raconter « sa vérité »sur l'affaire Grégory. Avec l'aide de l'auteur de Pauline Guéna, elle retrace son enfance dans les Vosges, et son parcours judiciaire.

« Depuis trente-quatre ans, les journalistes se sont emparés de mon histoire et ont raconté n'importe quo i», explique Murielle Bolle à nos consoeurs de Elle, à l'occasion de la publication du livre. « Je veux dire ma vérité, une fois pour toutes, et qu'on me laisse enfin tranquille. »

L'idée de cet ouvrage lui a été soufflée par les gardiens de prison lorsqu'elle a été mise en examen de juin 2017 à mai 2018, pour enlèvement et séquestration suivis de mort : « L'an dernier, j'étais désespérée. Je ne croyais plus en rien. [...] Cela ne m'était jamais arrivée de tomber sur des gens gentils. Avec de la compassion. J'ai aussi décidé de parler pour mes enfants et les générations à venir. »

À la millième fois où ils me demandent "Dis-nous que Bernard est venu te chercher à l'école ce jour-là", par fatigue, par lâcheté, par inconscience, je dis "oui"

Dans cette interview, elle revient sur cette fameuse garde à vue, où elle a commencé par raconté qu'elle avait pris le car pour rentrer du collège. Les gendarmes lui disent alors que son beau-frère n'a pas la même version des faits. « [Ils] insistent, me menacent de me mettre en maison de correction, me disent que je ne verrai plus ma mère, qu'il faut absolument que je leur dise la vérité. J'ai peur, et je veux rentrer chez moi. Alors, au bout de vingt heures, à la millième fois où ils me demandent "Dis-nous que Bernard est venu te chercher à l'école ce jour-là", par fatigue, par lâcheté, par inconscience, je dis "oui". »

Pendant trente ans, j'ai subi, sans me révolter

Mère de trois enfants, quittée l'année dernière par son ancien compagnon lors de la réouverture du dossier, Murielle Bolle dit penser « tous les jours » à l'affaire Grégory. « Je me suis rendue compte que, toute ma vie, j'avais subi. Qu'au sein de mon couple, j'étais la servante. [...] Je me suis rendue compte que, sur l'affaire aussi, j'avais toujours été passive. Comme à la maison. Pendant trente ans, j'ai subi, sans me révolter. »