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Avec le retour des grands studios, la Région Sud se projette vers l’avenir
Enquête Région Sud # Autres industries # Infrastructures

Avec le retour des grands studios, la Région Sud se projette vers l’avenir

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Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, les métropoles régionales se rêvent en nouvel Hollywood avec des projets de studios de plusieurs milliers de mètres carrés. Marseille, Cannes, Martigues, Grasse, Nice, voient aujourd’hui leurs jours de tournage se cumuler. Et les opérateurs privés envisagent des investissements qui se chiffrent en millions d’euros. Moteur !

La région Sud confirme son rang de deuxième territoire de tournage, avec chaque année, plus de 5 000 jours de tournage comme ici, à Nice, celui du film "N'avoue jamais" — Photo : Commission du Film Côte d'Azur

À l’époque, l’effet fut saisissant. Terrifiés, les spectateurs ont paraît-il quitté la salle en criant, convaincus que le train qui s’avançait vers eux sur l’écran de projection allait les écraser. Nous étions le 28 décembre 1895. Deux industriels lyonnais, les frères Lumière, venaient d’inventer un nouveau spectacle, le cinématographe. Et dès les premiers tours de manivelle, la région Sud a toujours tissé des liens étroits avec le cinéma. Environ 130 ans plus tard, la région affirme son rang de deuxième territoire de tournage, après l’Île-de-France et avant l’Occitanie, avec chaque année plus de 5 000 jours de tournage. Un phénomène qui ne cesse de s’amplifier. Selon les chiffres de la Commission régionale du film, la Région connaît une intense activité de tournages qui ne décroît plus depuis la fin du premier confinement en juin 2020. Le nombre de jours de tournage concernant les fictions audiovisuelles françaises et les productions étrangères est ainsi passé de 1 147 en 2017 à 1 627 en 2022 pour les premières et de 472 en 2017 à 725 en 2022 pour les secondes. Pour 2023, le bilan n’est pas encore finalisé par l’institution régionale, mais le nombre de jours de tournage devrait dépasser les chiffres de 2022.

135 millions d’euros de retombées économiques

Des tournages soutenus par la Région mais qui génèrent des retombées économiques conséquentes. "En 2023, le fonds de soutien régional à la création et à la production cinématographique et audiovisuelle s’élevait à 7,2 millions d’euros", confie-t-on à la Région Sud, en précisant que "l’an dernier ce sont 36 fictions audiovisuelles et longs métrages de fiction qui ont été soutenus pour 3,9 millions d’euros". Une manne qui profite à l’environnement régional puisque les productions soutenues ont pour obligation de dépenser 160 % du montant sur le territoire. Un accompagnement efficace : en 2022, la Région est ainsi remontée au rang de deuxième région française en termes de retombées économiques, avec 135,1 millions d’euros dépensés sur le territoire.

Un bilan partagé par la Commission du film des Alpes-Maritimes. "2023 a été une belle année", commente ainsi Camille Feret, responsable de la Commission du Film 06, qui précise que onze longs métrages et huit fictions audiovisuelles ont été tournés sur la Côte d’Azur. À ceux-là s’ajoutent de nombreux films publicitaires, qui représentent près de 30 % des retombées économiques.

Tournage du film Brûle le Sang, place Masséna en plein coeur de Nice — Photo : Commission du Film de la Côte d'Azur

Soit un total de 551 pour 1604 jours de tournage (+6% en un an). "Il s’agit d’une activité qui nous démarque des autres départements. Certaines pubs ont des budgets similaires à ceux d’un long métrage, entre 1 et 3 millions d’euros de dépenses directes en quelques jours sur le territoire, comme la pub Delonghi avec Brad Pitt", ajoute Camille Feret. Les annonceurs viennent chercher le glamour de la Riviera, les villas, la mer, les palmiers qui demeurent incontournables pour le luxe (Dior, Hugo Boss, Ralph Lauren, Guerlain notamment en 2023).

Dans le Var, en 2023, le bureau des tournages de la métropole toulonnaise, a de son côté comptabilisé 300 jours de tournage et traité 90 demandes (contre 60 en 2021). "Quant aux retombées économiques, nous les estimons à 30 000 euros par jour. Depuis la création du bureau, Toulon commence à être connue comme terre de tournages, capable d’accompagner et de soutenir les projets, notamment via un fonds de soutien à la production, doté de 300 000 euros par an", confie Hervé Stassinos, vice-président de la Métropole Toulon Provence Méditerranée. Le fonds a d’ores et déjà contribué à soutenir cinq productions en 2023, dont la série de France Télévisions "Tom et Lola", tournée à La Seyne-sur-Mer et dont les retombées économiques sont estimées pour la première saison à 1,7 million d’euros. Pour ce tournage, deux anciennes écoles et un ancien commissariat, désaffectés depuis plus de dix ans, ont été entièrement transformés en décors plus vrais que nature. Particulièrement dégradé, le site a fait l’objet d’une rénovation permettant un tournage qui pourrait durer plusieurs années si les saisons s’enchaînent.

Le renouveau des grands studios

Car aujourd’hui les paysages naturels de la Région Sud, pourtant fort variés allant de la mer à la montagne, ne suffisent plus. Et des projets de studio, inimaginables voici une dizaine d’années, refleurissent sur le territoire, voulant faire mentir François Truffaut lorsqu’il déclarait, en 1973, dans "La Nuit Américaine", tourné dans les mythiques studios de la Victorine à Nice : "Toute une époque du cinéma va disparaître. On abandonne les studios. Les films se tourneront dans les rues, sans vedette, sans scénario…" Le réalisateur n’avait en effet pas imaginé l’engouement actuel pour les plateformes de streaming et les séries qui ont aujourd’hui totalement changé la donne. Historiquement, c’est la série de France Télévisions, "Plus Belle la vie" lancée en août 2004, qui a montré la voie, occupant pendant près de vingt ans l’intégralité des Studios de Marseille basés dans le quartier de la Belle de Mai. La série, aujourd’hui ressuscitée par TF1 occupe encore quatre plateaux sur les six disponibles dans la Cité Phocéenne.

Provence Studios investit à Martigues et Marseille

Olivier Marchetti, fondateur de Provence Studios devant le décor "prêt à tourner" de la prison — Photo : D.Gz

C’est de Martigues que souffle le vent du renouveau en termes de studio. Olivier Marchetti, créateur et dirigeant de Provence Studios, a en effet fait le pari fou, depuis 2010, d’implanter du côté de l’Étang de Berre de véritables plateaux de tournage dans un ancien bâtiment logistique de 26 000 m², qui propose actuellement dix plateaux. Un volume encore insuffisant pour Olivier Marchetti, lauréat de deux projets de studio, à Martigues et Marseille, dans le cadre de l’appel à projets de la "Fabrique de l’Image" lancé par le gouvernement au sein du plan d’investissement d’avenir France 2030, dont l’ambition est de doubler la surface de plateaux de tournage en France. "De 12 000 m² actuels sur Martigues, nous allons ainsi proposer près de 19 000 m² de plus, auxquels vont s’ajouter 4 000 m² destinés à des bureaux et des loges", confie Olivier Marchetti.

Une extension du bâtiment existant permettra en outre de créer un studio de 3 000 m² et de 18 mètres de haut, des proportions rares et qui intéressent de grosses productions françaises et internationales. Au total, 30 millions d’euros vont ainsi être investis sur le bâtiment de Martigues. Le site héberge également La Planète Rouge, filiale de Provence Studios, qui propose notamment un plateau virtuel de 300 m² doté d’un mur de leds en U permettant d’afficher des décors en haute résolution. Un investissement de 3 à 4 millions d’euros, réalisé avant la pandémie. "Aujourd’hui, le même équipement coûterait une dizaine de millions d’euros", précise Morgann Brun, responsable du développement et de la production à La Planète Rouge, qui indique qu’en 2024 une trentaine de tournages sont d’ores et déjà programmés. Le clip de la chanteuse Zaho de Sagazan, "La symphonie des éclairs" a notamment été tourné dans les locaux de l’entreprise.

Mais les projets d’Olivier Marchetti se tournent également vers Marseille où Provence Studios envisage un investissement de 90 millions d’euros sur un terrain de cinq hectares situé sur l’emplacement de l’ancienne raffinerie Saint-Louis Sucre, dans les quartiers nord. Un site en cours de dépollution par la société Brown Fields et qui proposera en 2025 quatre nouveaux plateaux de tournage, des bureaux et des ateliers. Soixante emplois sont à la clé. Pour cet investissement, Provence Studios, qui a d’ores et déjà acheté le terrain, envisage de lever des fonds auprès d’investisseurs privés ou institutionnels.

À Grasse, Strike crée des décors "prêts à tourner"

Baudoin Crépat, Stéphane Martel, Philippe Gesta, les associés cofondateurs de la société Strike, à Grasse — Photo : Olivia Oreggia

Dans les Alpes-Maritimes, les créations de studios se multiplient également. Ainsi, sur les hauteurs de Grasse, l’ancien lycée de Croisset s’est, depuis 2022, métamorphosé en un lieu de tournage de 2 000 m² sur quatre étages. Sur une des portes, un panneau "Samuel" indique que la pièce était il y a quelques jours encore la loge de Samuel le Bihan dont la dernière série, "Carpe Diem", a notamment été tournée ici. Avant, il y a eu le film "Sirènes" pour la plateforme Amazon Prime Vidéo, ainsi que des scènes du dernier film d’Yvan Attal sorti fin janvier.
Tout est parti de la série de TF1 "Section de Recherche", qui de 2014 à 2022 a été en partie tournée dans ces bâtiments. À la fin de la série, Baudoin Crépat, Stéphane Martel, Philippe Gesta, régisseurs, rachètent aux Auteurs Associés, les stocks de meubles, accessoires, costumes et décors, puis fondent, fin 2022, la société Strike. "Nous avons rebondi sur de l’existant en nous disant qu’il était dommage que tout disparaisse. L’idée était de louer ces décors en mode "prêt à tourner"", confie Baudoin Crépat.

Une chambre d'hôpital plus vraie que nature parmi les décors prêts-à-tourner des Studios Strike à Grasse — Photo : Olivia Oreggia

Les décors mis en place sur le site s’adressent essentiellement à des séries ou films policiers avec les classiques salles d’interrogatoire, commissariat, cellule, laboratoire, hall d’accueil, ou encore chambre et couloir d’hôpital. Et les associés envisagent de pousser le concept encore plus loin. "Nous aimerions bien faire d’autres espaces, aménager un appartement qui puisse être modulable, une morgue aussi. Tous ces lieux sont très demandés et il est très difficile d’y tourner. Nous avons déjà tourné à l’hôpital de Cannes ou à L’Archet à Nice, et nous étions très bien accueillis, mais c’est très cher et pas du tout adapté. Nous gênions tout le monde. Sans parler du stationnement, dès qu’on arrive, il y a 15 camions, 30 voitures, une cantine… ", ajoute Stéphane Martel.

À Cannes, 100 millions d’euros pour créer 6500 m² de plateaux

À Cannes, sous l’impulsion du maire, David Lisnard, a été créé en 2021, le campus de la Bastide Rouge (un investissement de 85 millions d’euros pour l’ensemble du site dont 30 millions d’euros pour le cinéma Cinéum qui en fait partie). Celui-ci réunit en un même lieu 1 200 étudiants, des enseignants, des chercheurs, des entreprises (36 au total, représentant 170 emplois) et des professionnels… afin de créer une fertilisation croisée au service de la créativité et du développement. "Nous disposons également de studios de tournage d’une superficie allant de 65 à 240 m2, très utilisés pour des publicités, des clips… Nous sommes plutôt positionnés sur du numérique avec des studios équipés d’écrans LED, de motion capture. Nous ne serons jamais aussi gros que la Victorine, mais nous pouvons proposer une base logistique", explique Laure Cayla, directrice des studios de production Cannes Bastide Rouge

Les studios et équipements de tournage et post production de la Bastide Rouge (campus Melies) à Cannes — Photo : Olivia Oreggia

À quelques centaines de mètres du site un autre projet devrait émerger d’ici à 2026 sur l’importante friche industrielle de 5,7 hectares de l’ancien site d’Ansaldo Breda France. Ce projet, porté par le groupe Novelty – Magnum – Dushow, devrait être entièrement dédié à la filière et réunira des studios de cinéma (plus de 6 500 m²), des plateaux de tournage TV (3 800 m²), des bureaux de postproduction ou encore une résidence étudiante pour venir compléter les offres déjà existantes. Evalué à une centaine de millions d’euros d’investissement, il devrait accueillir plus de 100 salariés permanents ainsi que 300 professionnels du spectacle.

Le nouvel Hollywood ?

Les historiques Studios de la Victorine, créés en 1919 sur sept hectares, à l’ouest de Nice, qui ont été repris en 2017 en régie par la ville, sont également lauréats de l’appel à projets "La Grande fabrique de l’image" afin de moderniser et renforcer les équipements. Un projet de 30 à 60 millions d’euros, prévoit de mettre en place "un véritable écosystème de l’image autour de trois principaux pôles d’activités : production et tournage, formation et accueil d’entreprises". Le site, doté de 11 plateaux, de 540 m² à 1 175 m², qui a vu se tourner Les enfants du Paradis, Mon oncle ou encore Brice de Nice, a totalisé 160 jours de tournage en 2023, et sent toujours le fantôme des grands maîtres du 7e Art. Si l’immense décor extérieur construit pour "La Nuit Américaine" a aujourd’hui disparu, la grue rouge qui le filmait est encore là et accueille le visiteur, semblant attendre le renouveau de ce site.
En Région Sud, qui regroupe un quart de l’offre nationale de studios de tournage, les plateaux sont prêts à tourner. Le rêve de Marcel Pagnol, qui avait créé en 1938 les studios du Prado à Marseille, pour en faire un grand lieu de tournage de cinéma, avant de les revendre en 1942 en pleine occupation de la zone libre, va-t-il enfin devenir réalité ? Les neuf lettres géantes et blanches de "Marseille" qui s’étirent sur la colline de La Viste à l’entrée de la Cité phocéenne semblent y croire. Le nouvel Hollywood, c’est peut-être bien ici.

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