Le temps retrouvé. Puisque Marcel Proust aima y séjourner dans son « grand désir de revoir le beau lac » Léman, le titre de son roman pourrait être le slogan des mois prochains à Evian-les-Bains. La ville, qui renoue avec son passé Belle Epoque, dévoilera bientôt deux de ses joyaux, le casino puis la buvette Cachat, souvenirs de l’âge d’or du thermalisme lorsque, au tournant du XXe siècle, têtes couronnées et portefeuilles étoffés s’installaient ici pour une saison d’été et de mondanités. Parfois oublié, ce patrimoine Art nouveau revient en grâce : « Jusque dans les années 1990, il était jugé mineur, trop kitsch. Ce n’est que dans les années 2000 que l’on a pris conscience de sa valeur », souligne Françoise Breuillaud-Sottas, l’historienne passionnée qui raconte les grandes heures d’Evian.
A quelques pas de l’église, face au lac, un dôme de basilique byzantine coiffe une silhouette de Sainte-Sophie. Depuis 1911, il abrite le casino, auquel des travaux de restauration rendront l’élégance en juin. L’enseigne au néon rouge, aux airs de Las Vegas du pauvre, a été remplacée par des lettres blanches serties dans la verrière sous laquelle ondule désormais une façade entièrement vitrée.
L’intérieur a été libéré du décor masquant coupole et vitraux, les frises peintes par Gustave Louis Jaulmes (1873-1959) ont retrouvé les feuilles d’or qui soulignent les arcs entrecroisés et magnifient l’espace. « Une architecture de sensation, profonde et apaisante, puissante sans être oppressante », salue Philippe Prost, l’architecte qui, à la demande du propriétaire, le groupe Danone, a redonné son lustre à l’œuvre de Jean-Albert Hébrard (1866-1942), auteur de plusieurs bijoux Art nouveau dans la ville d’eau.
Plus tard, Philippe Prost toilettera le petit théâtre de 1885 qu’une galerie relie au casino. Derrière son escalier et ses pilastres néoclassiques, la salle à l’italienne porte au plafond les noms des nations (Russie, Italie, Angleterre, Suisse) d’où venaient les clients étrangers. La plupart prenaient le train qu’Alfred André – le président de la Société anonyme des eaux minérales d’Evian, qui était aussi administrateur de la compagnie ferroviaire PLM (pour Paris-Lyon-Méditerranée) – avait fait arriver jusque-là depuis la capitale.
Palais de l’éclectisme
On imagine l’élégance du front de lac avant qu’un immeuble récent l’interrompe entre le théâtre et l’imposante villa d’Antoine Lumière, père d’Auguste et de Louis, et commercial zélé de leurs inventions photographiques puis cinématographiques. Un an après le tournage du premier film des frères Lumière à Lyon (1895), il achète cette demeure classique, en modifie les plans pour en faire un palais de l’éclectisme : réplique du penseur de Michel-Ange sur la vaste terrasse donnant sur le Léman, copie de deux atlantes de Pierre Puget (XVIIe siècle) encadrant la porte d’entrée plaquée de bas-reliefs en bronze, escalier intérieur majestueux au pied duquel s’étire la sculpture d’une lionne, cheminée et tables en onyx, vitraux, fresques… Cette opulence rococo est désormais accessible à tous puisqu’elle héberge l’hôtel de ville. Pendant qu’Antoine Lumière peignait ses fresques paysagères, ses fils immortalisaient les bateaux sur le lac, l’embarquement des dames en robe longue.
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