Narcotrafic : « Place nette », et après ?
STUPÉFIANTS. Saisies, interpellations, occupation du terrain… les opérations « place nette » se multiplient. Mais forces de l’ordre et magistrats s’inquiètent de leurs capacités à assurer le suivi.
« Je ne saurais, pour ma part, céder à aucun discours de défaite. » Emmanuel Macron était ce mardi 19 mars dans la cité marseillaise de La Castellane, et répondait indirectement aux magistrats entendus deux semaines plus tôt par la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, qui craignaient que « nous ne soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants ». Le président n’était pas seul. Gérald Darmanin était là pour soutenir les forces de l’ordre engagées dans les opérations « places nettes » ; Éric Dupond-Moretti profitait du déplacement pour avoir une « explication de texte » avec des magistrats jugés trop bavards.
Avaient-ils seulement le choix ? Convoqués devant cette commission, ils devaient s’y rendre. Parlant sous serment, ils ne pouvaient se dérober. Ils ont raconté la difficile réalité avec laquelle ils composent dans leur confrontation quotidienne avec la criminalité organisée en général, et le trafic de stupéfiants en particulier. Ils ont salué une augmentation considérable des moyens mis à leur disposition ces dernières années, mais également décrit un système totalement saturé.
Leur discours n’était pas partisan, ils se sont contentés d’égrainer des problèmes identifiés, pour dessiner des solutions : les recours innombrables, une procédure sans cesse complexifiée et donc chronophage, un risque de nullités par conséquent aggravé, des cours d’assises non professionnelles inadaptées, le risque accru de corruption, un statut de repenti encore trop faible, des prisons totalement perméables aux trafics… Une embolie qu’aucune augmentation de moyens, même nécessaire, ne peut résoudre à elle seule.
Éric Dupond-Moretti s’est emporté, jugeant qu’ils avaient « eu tort » de dresser un tel constat. Mais les forces de l’ordre font le même : « On peut interpeller, harceler, saisir, monter tous les dossiers que nous voulons… Si la justice ne peut suivre, nous sommes condamnés à recommencer éternellement », résume un policier marseillais. C’est ce que les images d’un trafic immédiatement repris illustraient également.
Le 3 mars dernier, la Police nationale livrait son bilan consolidé, au terme de plus d’une centaine de ces opérations en France : 875 kilos de cannabis saisis, 15 kilos de cocaïne, 17 kilos d’héroïne, une centaine d’armes, quelque 1,8 million d’euros. Et 1 154 interpellations.
« L’ubérisation est devenue une composante du trafic »
Un enquêteur des stups insiste : « Ce sont des prises intéressantes. Mais notre problème est double : cela renforce l’impunité si la sanction n’est pas à la hauteur – et il faut pour cela interpeller après un travail d’enquête sérieux, qui puisse tenir devant la juridiction. Ensuite, cela sature le terrain, ce qui complique ce travail d’enquête permettant de remonter les réseaux, seul moyen de les affaiblir réellement et durablement. » Même la communication du gouvernement semble leur donner raison : si le volontarisme du ministre de l’Intérieur se lit dans les chiffres, les suites judiciaires ne font, elles, l’objet d’aucune communication.
En comparution immédiate à Marseille, quelques petites mains du trafic se sont retrouvées à la barre, confirmant une autre réalité énoncée par les professionnels. « Ils recrutent partout en France pour éviter l’identification, multiplient les profils de mineurs et d’étrangers irréguliers qui sont à leur merci, préfèrent les casiers vierges qui échapperont plus facilement à la condamnation et sectionnement tellement leur trafic qu’aucune de ces personnes ne nous permet réellement de remonter les réseaux », décrit un policier. Un autre complète : « Sans oublier que l’ubérisation est devenue une composante du trafic, qui se substitue aux transactions en période “place nette”. »
Ces opérations obligent les têtes de réseaux à s’adapter, mais il en faudra plus pour « porter un coup d’arrêt aux trafics de drogues ». C’est ce qu’a semblé constater Gérald Darmanin en déplacement à Chassieu, dans le Rhône, ce vendredi 22 mars : « Jusqu’à présent, nous interpellions et ensuite, nous présentions à la justice. Désormais, quand nous avons judiciarisé, quand on a mis les gens sur écoute téléphonique sous l’autorité des magistrats, lorsqu’on a pu avoir des renseignements sur les sources de financements, de blanchiment [...] nous les mettons en garde à vue, puis nous les déférons, puis mandat de dépôt. Quand c’est décidé par la justice, c’est beaucoup plus efficace. »
De quoi faire bondir les services d’enquête qui s’opposaient récemment – avec l’appui de nombreux magistrats – à la réforme de la police judiciaire pour cette raison précise. « Sérieusement ? s’interroge un officier de la PJ. Le ministre vient de découvrir que l’enquête judiciaire en amont était plus efficace ? Mais c’est ce qu’on fait depuis toujours, et c’est ce que nous répétons sans cesse : l’esbrouffe sans travail préalable ne règle rien ! »
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