Aide-soignante à domicile pendant 30 ans : Marie-Laure raconte ce métier de l'ombre si essentiel

Pendant 30 ans, Marie-Laure, aide-soignante, a sillonné les routes autour de Paimpol (Côtes-d'Armor) pour fournir des soins aux plus fragiles. Elle raconte ce quotidien engagé.

Marie-Laure Rioual, le jour de son départ à la retraite aux côté de Marie. C'est sa mère, enceinte d'elle, qu'elle a remplacée en arrivant à Paimpol il ya 30 ans.
Marie-Laure Rioual, le jour de son départ à la retraite. Aujourd'hui, Marine, à ses côtés, a pris la relève. Il y a 30 ans, Marie-Laure remplaçait sa mère, Pierrette lorsqu'elle était enceinte. La boucle est bouclée. ©Magali LELCHAT
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Le matin du dernier jour de travail de Marie-Laure, François, son compagnon, a posté sur Facebook une photo qui résume tout : les feux arrière de sa voiture qui s’éloignait dans la nuit…

Pendant plus de 30 ans, cette femme menue, aux beaux yeux de fauvette, a pris le volant par tous les temps, deux fois par jour, le matin et le soir, pour s’occuper des autres, les plus vulnérables, les personnes âgées, les adultes handicapés. Profession : aide-soignante.

Qu’il vente ou qu’il neige, elle était l’une de ces femmes indispensables qui sillonnent le secteur, au volant des voitures de l’ASAD Goëlo-Trieux, la structure de soins à domicile qui rayonne entre Pontrieux, Paimpol et Plouha (Côtes-d’Armor). 

A certaines périodes de l’hiver, à certaines heures, ce sont les seuls véhicules croisés sur les routes de campagne. « On sort quand les autres rentrent ».

«La première et la dernière personne vue dans la journée »

Pour Marie-Laure et ses collègues, pas le choix. 

Chez certains, on est la dernière personne vue dans la journée, on sécurise le lit, on ferme la porte. Et le matin, c’est pareil, la première à entrer dans la maison, c’est l’aide-soignante ou l’aide à domicile.

Marie-Laure Rioual, aide-soignante

De ses plus de 30 ans de carrière, Marie-Laure retiendra d’abord l’ambiance d’un service qui se sert les coudes pour tenir. Où se nouent des amitiés à vie. « J’ai remplacé Dominique quand je suis arrivée parce qu’elle avait le pied dans le plâtre, elle est tout simplement devenue ma sœur, je l’appelle tous les jours ; j’ai rencontré une famille, une équipe extraordinaire ».

De quoi tenir quand c’est trop rude, avec qui rire pour mettre la distance nécessaire avec un quotidien pas simple. « C’est physiquement et nerveusement difficile, on marche à l’adrénaline ».

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« Durant toute ma carrière, j’ai eu l’impression d’être transparente »

Il y a les gratifications, mais aussi la dureté d’un métier qui a évolué avec la société. Il y a aussi les incompréhensions, les frustrations. Celles du Ségur de la santé qui, après le covid, a tout simplement oublié les métiers de l’aide à domicile. La prime de 1000 € est arrivée bien plus tard, après que syndicats et directions aient durement bataillé… A peine croyable, de quoi forger des lutteuses. « J’ai pas mal manifesté, notamment contre le Ségur » admet Marie-Laure qui a fait partie du CSE de l’ASAD pendant 10 ans.

Brandir des banderoles était une nécessité :

Durant toute ma carrière, j’ai eu l’impression d’être transparente. Et pourtant, comme si tout contribuait à en douter, je fais un métier utile.

A en croire la mamie de 101 ans à qui elle a dit au revoir, Marie-Laure faisait effectivement un métier utile. « Elle m’a dit, « mais qu’est-ce que je vais devenir ? », je vois certains patients depuis si longtemps… »

« Parfois, tu n’arrives pas à couper, même quand tu tires la blouse »

La jeune retraitée continue à parler au présent. Pas facile de raccrocher la blouse.

Certains soirs, c’était même impossible.

Quand tu vas à domicile, tu es toute seule ; il arrive que la personne soit décédée, tu gères et après, tu continues ta tournée et tu amènes ça chez toi. Tu n’arrives pas à couper, même quand tu tires ta blouse.

Quand Marie-Laure a commencé, les soins palliatifs n’existaient pas et d’ailleurs elle n’y était pas formée : « c’était la toilette au lavabo pour les vieilles dames ». C’est désormais fréquent et jamais banal. 

L’été dernier, deux décès l’ont particulièrement touchée. « Tu ne peux pas t’empêcher de t’attacher, c’est pas bien, mais c’est ce qui enrichit aussi, ce n’est pas un boulot de machine ».

 « Tu arrives, ta tasse est prête »

Chez certains, elle avait même l’impression de faire partie de la famille. « Tu arrives, ta tasse est prête.»

Les rythmes ont continué à s’intensifier avec le sous-effectif chronique, mais Marie-Laure a jalousement gardé certaines habitudes, volées à la pendule.

Les soins que tu donnes aux dames, le rouge à lèvres, les petites crèmes pour le corps, j’ai tenu à garder ça, à avoir le temps

Ces petits gestes immenses qui rappellent au patient qu’il est bien plus qu’un corps vieillissant.

Johnny, pour résumer…

Au fil des ans, chacun connaissait les habitudes de l’autre. Les Feux de l’Amour n’ont plus de secret pour elle. Ses patients connaissaient sa passion – le mot est faible – pour Johnny Hallyday. « Quand il est mort, ils étaient désolés : « Ma pauvre Marie-Laure » ».

Pas question de rater ses funérailles : « J’ai dit au service : il faut que j’y aille ; mes collègues avaient, s’en m’en parler, déjà prévu de me remplacer ». CQFD.

Marie-Laure ne voulait pas travailler à domicile quand elle est entrée au CASD de Paimpol (devenu ASAD, NDLR) le 27 avril 1991.

Venue d’une clinique de Nouvelle-Calédonie, elle pensait faire un remplacement de deux mois, en attendant de travailler à l’hôpital.

Au final, elle n’aurait changé pour rien au monde. « Je n’aurais plus jamais voulu travailler en structure et pourtant j’aurais été mieux payée, mais j’ai eu un vrai sentiment de liberté à aller chez les gens ».

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