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Charles Consigny : « À Frédéric Mitterrand, mon ami »

DISPARITION. L’avocat rend hommage à son ami, l’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, mort ce jeudi 21 mars, à l’âge de 76 ans. Sans faire fi de ses parts d’ombre, il rappelle l’homme de lettres qu’il fut, sa lucidité et ses tourments.

Charles Consigny , Mis à jour le
Frédéric Mitterrand est mort ce jeudi 21 mars à l'âge de 76 ans.
Frédéric Mitterrand est mort ce jeudi 21 mars à l'âge de 76 ans. © SIPA

Il avait du talent pour la télévision, la radio, le cinéma, la politique, mais à mes yeux Frédéric Mitterrand était avant tout un écrivain. De ceux qui ne craignent pas de se mettre en danger pour la littérature. C’est-à-dire un écrivain véritable.

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Il l’avait fait dans La mauvaise vie, où il avouait des crimes. Il avait osé « dire sa faiblesse, sa lâcheté, ses désirs, ses impuissances [et] sa peur de la nuit » [1]. Il était prêt à sacrifier sa tranquillité, sa réputation à la littérature : il était capable d’en écrire. J’avais noté ce passage de son journal consacré à ses années au ministère de la Culture qui m’avait saisi, qui disait si bien ce qu’il avait dans le cœur, le brisait et lui manquait : « Sur le quai de la gare d’Avignon […], un jeune couple se sépare en échangeant des baisers passionnés tandis que leur petit garçon pleure à chaudes larmes de voir partir son papa. Le cœur étreint brusquement en voyant ce que je ne connaîtrai jamais. » [2]

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Il était intelligent et profondément mélancolique, lucide sur la comédie humaine et la foire aux vanités

Il était intelligent et profondément mélancolique, lucide sur la comédie humaine et la foire aux vanités du petit milieu politico-médiatique parisien et enthousiaste quand même à l’égard de telle idée, projet, œuvre ou personnalité. Il était reconnaissant à ceux qui lui avaient tendu la main, se gardait d’en dire du mal même quand il en pensait.

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Il avait de l’humour. Quand nous dînions ensemble à des tables charmantes et désuètes de Saint-Germain-des-Prés comme Lipp, le Voltaire ou le bien nommé Les vieux garçons, il tenait des propos sur la vie, l’âge, l’amour, lui-même, qui le déprimaient, et commandait un « Chivas » (whisky) à chaque nouvelle sentence, comme pour la noyer. Il riait en disant, après quelque chose de bien déprimant : « Je vais commander un autre Chivas ! ». Nous dînions aussi plusieurs fois par an chez mon confrère avocat, ami et écrivain lui aussi, François Gibault, et Mitterrand là encore assénait de ces phrases dont il avait le secret : « Rien ni personne ne m’intéresse en ce moment. Il n’y a que dîner avec vous qui m’intéresse. » Il portait des cravates énormes de toutes les couleurs, des vieilles Weston et une casquette de Gavroche.

Il était encore capable de l’émerveillement et de la joie de ceux qui sont restés en vie malgré les épreuves

Nous savions qu’il avait un cancer, il nous l’avait dit, nous savions que le traitement était pénible, mais il ne se plaignait jamais. Lors de notre dernier dîner il nous avait annoncé qu’il n’en avait « plus que pour quelques semaines », mais cela paraissait incroyable tant il semblait, comme on dit, en forme. Et juste après nous avoir annoncé cela, il avait ajouté quelque chose comme : « on s’en fiche, on ne va pas parler de ça », qui signifiait qu’il ne plaisantait pas mais que c’était tellement grave qu’il préférait qu’on fasse comme si de rien n’était.

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J’avais de la tendresse pour cet homme abandonné, sensible, coupable, encore capable de l’émerveillement et de la joie de ceux qui sont restés en vie malgré les épreuves et le temps qui passe. Sa mort me bouleverse.


[1] Renaud Camus
[2] La Récréation, Robert Laffont, 2013, 720 p.

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