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Sonia Mabrouk dans le JDD : « Question de dignité »

Notre chroniqueuse a toujours été choquée par l'expression « mourir dans la dignité ». Y aurait-il une gradation qui irait du « assez digne » jusqu'au « pas digne du tout » ?

Sonia Mabrouk , Mis à jour le
Sonia Mabrouk.
Sonia Mabrouk. CNews / © Augustin Detienne

La nouvelle a été annoncée avec un grand sourire. « Le gouvernement est favorable à l’accueil des animaux de compagnie dans les Ehpad ». Et la ministre en charge des personnes âgées d’ajouter : « Le chat, le chien ou même le canari doivent être autorisés à accompagner les résidents ». C’est un nouveau droit, a-t-elle renchéri. Loin de moi l’idée de minimiser une telle nouvelle car je sais l’importance du lien tissé avec un animal. Toutefois, je crains qu’une telle annonce ne vienne surtout masquer la terrible solitude de nos aînés.

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On se réjouit qu’ils puissent être désormais entourés de l’affection de leurs amis à quatre pattes ou à plumes, mais on ne s’indigne pas suffisamment du fait qu’ils continuent à vivre l’amour de leurs proches en distanciel et ce, sans le prétexte du Covid.

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Dans l’une de ces structures pour personnes âgées, enfoncé dans son fauteuil, la main tremblante posée sur son chien, j’imagine un très vieux monsieur réfléchissant à ce que fut sa vie et au « nouveau droit » qui vient de lui être octroyé. Le gouvernement a bien sûr raison de se prononcer pour l’accueil des animaux de compagnie, mais allons-nous aussi faire passer cela pour du progressisme ou une forme de dignité retrouvée ? Parlons-en de la dignité.

« Mourir dans la dignité ». Cette phrase m’a toujours interpellée, pour ne pas dire choquée. Que veut-elle dire ? Et à l’inverse, qu’est-ce qu’une fin d’existence indigne ? Bien sûr, la première idée qui nous vient à l’esprit renvoie à l’état physique et psychologique dans lequel se trouve le malade. La perte de dignité est alors associée à l’image dégradée que vous renvoyez à votre entourage et plus largement, à la société. Mais alors où placer le curseur de la dignité ? Y a-t-il une gradation qui irait du « assez digne » jusqu’au « pas digne du tout » ? Et qui est apte à juger de ce qui est digne et de ce qui ne l’est pas, ou ne l’est plus ?

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Tout homme étant digne par nature quelle que soit sa condition, fut-elle terriblement avilissante, n’est-ce pas plutôt notre regard qui est frappé d’une profonde et d’une insolente indécence. La mort est une étape de la vie. Nul ne peut décréter de son caractère indigne. À dire vrai, tout est inconvenant dans cette rhétorique de la mort dans la dignité. Dépendance et dignité vont de pair. Je conçois parfaitement qu’il est plus facile de l’écrire que de le vivre dans sa chair, toutefois, une civilisation qui se respecte ne peut pas mettre à l’écart ce qui est jugé ou perçu comme étant dégradé et affaibli.

Fort heureusement, on entend de moins en moins cette rhétorique sur la dignité dans le débat actuel autour de la fin de vie. Dans ce domaine qui nécessite d’écarter toute facilité ou évidence, je suis, comme beaucoup d’entre vous certainement, tiraillée entre des raisons diverses et parfois contraires. Que faire quand s’exprime la demande insistante, voire supplicatoire de la mort ? Un projet de loi sur la fin de vie est à venir avec son lot de tribunes, de débats enflammés et de positions moralisatrices.

Dans un Occident à l’individualisme triomphant, on ne veut plus voir le grand âge

J’aurai l’occasion d’en parler dans une prochaine chronique mais il me semble important et urgent d’insister sur le grand débat occulté, celui du très grand âge en relative bonne santé. Si la fin de vie est au cœur d’une réflexion collective salutaire, le grand vieillissement est quant à lui tout simplement effacé. Quelles leçons a-t-on retenues du terrible épisode du Covid lorsque les Ehpad ont été en partie transformés en mouroirs ? Que dire d’une société qui veut encadrer la mort dans la dignité sans trop se soucier de la grande vieillesse ? Les personnes très âgées qui ne souffrent pas de maladies graves sont les grandes sacrifiées. Si mourir est un droit, qu’en est-il alors de celui de vivre dans la dignité ? Dans un Occident à l’individualisme triomphant, on ne veut plus voir le grand âge.

On le cache, on le couvre pudiquement d’un voile, pensant y échapper alors que la médecine ne cesse de réaliser des progrès fulgurants dont il faut se féliciter.

Le président de la République a utilisé le mot de fraternité pour évoquer l’aide à mourir qui n’est en réalité que l’autre nom du suicide assisté et de l’euthanasie, mais que vaut cette fraternité lorsque le grand âge est masqué comme s’il était une tare ? Autrefois, il n’y a pas si longtemps, la prise en charge des « vieillards » était cantonnée à la sphère privée. Aujourd’hui, compte tenu de l’explosion du nombre des personnes très âgées, le maintien à domicile est devenu l’exception et l’Ehpad, la solution. Une solution qui institutionnalise la dépendance. En effet, la définition même de l’établissement d’hébergement sous-entend que la personne est sous la surveillance d’un personnel soignant et qu’elle n’est donc plus autonome. C’est à partir de ce moment que la confusion s’est installée entre grand âge et dépendance. Pourquoi sommes-nous incapables de mettre en place une véritable culture de la gérontologie ? Les experts reconnus dans ce domaine le dénoncent depuis des années. Il y a bien entendu beaucoup de personnes très dévouées dans les Ehpad mais la logique de l’argent roi domine souvent. Orpea pourra toujours changer de nom, mais pas son logiciel du business à tout prix.

Comment peut-on avancer sur le débat concernant la fin de vie sans avoir suffisamment pensé la finitude et la grande vieillesse ? Il y a là quelque chose de particulièrement troublant, comme si la mort primait sur la vie. Requiem pour une civilisation dans laquelle le cordon qui relie les générations est sans cesse rongé. La guerre des âges est une guerre d’un autre âge. Il est temps d’y remédier.

De l’autre côté de la Méditerranée, c’est une autre conception du grand âge qui prévaut dans les sociétés maghrébines et africaines. Différents âges cohabitent sous un même toit, aussi petit soit-il. Cette situation est davantage le fruit d’un héritage culturel qu’une question de moyens financiers. Il ne s’agit aucunement ici de donner des leçons en soulignant une telle différence entre Occident et Orient, d’autant que cet héritage du Sud se heurte désormais aux mêmes maux qu’en Europe, à savoir un nihilisme exacerbé et un matérialisme échevelé, toutefois, persiste encore dans le Sud, un esprit sacrificiel envers les aînés.

« L’Ehpad nation » ne peut pas être l’horizon d’une société

Cet esprit n’est d’ailleurs pas sans rappeler la logique qui dominait dans les milieux ruraux en France au milieu des années 1960. Longtemps, chaque étape du vieillissement était accompagnée par la solidarité familiale. La culture villageoise ou paysanne a constitué un modèle d’entraide et de continuité générationnelle. Et c’est en partie encore le cas dans de nombreux villages français. Que ce soit dans les sociétés rurales ou dans les banlieues avec les populations immigrées, il y a une forme de honte à avouer que les parents ou grands-parents ont été placés en maisons de retraite. « L’Ehpad nation » ne peut pas être l’horizon d’une société. Chaque collectivité humaine a ses logiques, chaque foyer a ses contraintes, chaque individu a sa conscience. Mais une chose est sûre, avant de penser à mourir dans la dignité, pensons à faire vivre nos aînés dans la dignité.

C’est aussi à cela que se mesure l’humanisme d’une civilisation. Là réside la véritable dignité.

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