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Politique

EXCLUSIF - les confidences d'Emmanuel Macron au JDD

L’attentat qui a frappé Moscou quelques heures à peine après un Conseil européen tend un peu plus les relations entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. Le JDD a eu accès pendant deux jours aux coulisses d’un sommet historique pour doter l’Europe d’une défense puissante et autonome.

Antonin André, envoyé spécial à Bruxelles (Belgique) , Mis à jour le
Le JDD a accompagné le président de la République Emmanuel Macron pendant deux jours à Bruxelles.
Le JDD a accompagné le président de la République Emmanuel Macron pendant deux jours à Bruxelles. SIPA / © Éric Tschaen

Jeudi, 22 h 05, un convoi de berlines noires s’arrête place des Palais, à Bruxelles, le long d’un grand parc ceint d’imposantes grilles. « Vous venez ! On va marcher. » Emmanuel Macron, emmitouflé dans un manteau de laine noire, entraîne la délégation française dans une déambulation nocturne. Rituel immuable à chaque Conseil européen, au soir du premier jour, sauf lorsque le temps est trop mauvais.

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« C'est à l'Europe de prendre en main sa défense »

Les bras croisés dans le dos, d’un pas tranquille, le président débriefe l’avancée des négociations entre chefs d’État avec Alexis Dutertre – conseiller Europe – et Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Était aussi présent Jean-Noël Barrot, nouveau ministre des Affaires européennes venu s’imprégner des codes et usages de ces grands raouts où se joue une partie du quotidien des Français. « Monsieur le Président, Giorgia Meloni souhaite venir vous voir à votre hôtel demain matin », indique le sherpa. « Oui, oui, très bien. »

« Une petite séance de câlinothérapie sans doute », poursuit le conseiller. « J’ai séché son G7 pour inaugurer le Salon de l’agriculture, j’aurais préféré le G7… » confesse le président. « Le Palais Royal ! On avait dormi là avec mon épouse lors de la visite d’État ! » lance Macron à son chef du protocole. « Oui, je me souviens que l’épouse du roi Albert II avait fait refaire le plafond des salons avec des scarabées dorés », acquiesce le Monsieur « étiquette » de l’Élysée : « Incroyable ! »

« Macron ! Une photo avec une drag queen ? »

Le petit cortège, encadré par des officiers de sécurité, traverse le jardin du Mont des Arts, attirant la curiosité de rares promeneurs qui ont du mal à identifier la personnalité se déplaçant ainsi avec sa suite à une heure tardive. Rue du Mont des Arts, une foule de quidams en habit de soirée fait le pied de grue devant l’entrée d’une boîte de nuit.

« Macron ! Une photo avec une drag queen ? » lance un fêtard. Après dix minutes de déambulation, enfin un signe rassurant de notoriété. Le président français revient sur ses pas, « une photo je ne sais pas, mais comment allez-vous ? » Deux grand(e)s et élégant(e)s barbu(e)s entourent le chef de l’État, échangent quelques blagues. Le cortège repart. Rue de la Violette, les terrasses des restaurants grecs et des kébabs sont bondées. « Macron, c’est le plus fort ! » crie un convive. Applaudissements. Le président a la banane. « Alors, c’est qui la star ? » semble-t-il se vanter en tête de peloton.

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Bruxelles, jeudi soir, le président Macron rentre à pied à son hôtel avec sa délégation.
Bruxelles, jeudi soir, le président Macron rentre à pied à son hôtel avec sa délégation. © Sarah Steck

La délégation est accueillie par le directeur de l’Amigo, hôtel où les présidents français ont leurs habitudes. Jacques Chirac y avait convié les journalistes français en mars 2005 pour dénoncer l’attitude des Britanniques et des Allemands, en pleine négociation du budget de l’Union. Le président français était rentré directement à Paris, provoquant une crise diplomatique avec ses homologues.

Il est un peu plus de 22 h 30, le président convie son staff au Bar Magritte, tournée de bières et planches de charcuterie. Pendant deux heures, la discussion s’engage, le ton s’emballe parfois. Deuxième tournée de bières. Au JDD, le président déroule : débrief du sommet, campagne des européennes, politique française, crise agricole, premiers pas du nouveau Premier ministre… Plus les questions sont directes et les interpellations tranchantes, plus le président-boxeur monte en régime, provoquant le rire ou la stupéfaction de collaborateurs peu familiers de ces échanges musclés, sans filtre, entre le président et un journaliste.

Emmanuel Macron communique l’avancée des négociations à son équipe par textos

Plus tôt dans l’après-midi, Emmanuel Macron aborde le Conseil avec un objectif ambitieux. Cranter la position offensive de l’Union face à la Russie – en n’écartant aucune option – et dégager des financements pour développer une industrie européenne d’armement alors que 63 % des matériels militaires des pays membres sont achetés aux États-Unis. Le projet de texte final circule dans les différentes délégations pendant que les chefs d’État se réunissent autour de la table du Conseil vers 15 heures. Aucun collaborateur n’assiste au sommet, on se parle de dirigeant à dirigeant directement, sans témoin. Emmanuel Macron communique l’avancée des négociations à son équipe par textos.

Ambiance studieuse au 9e étage du bâtiment Lex. Philippe Léglise-Costa, Jean-Noël Barrot et Alexis Dutertre, installés dans le bureau-salon du président, suivent l’évolution des discussions, certains chefs d’État font passer des demandes : « Le Roumain veut voir le président en bilatéral. Il veut défendre sa candidature comme secrétaire général de l’Otan… » ; « Il y a le Grec aussi, pour parler d’un sujet technique. » Dans la pièce d’à côté, un colonel, adjoint du chef d’état-major des armées, annote des documents classifiés. Il demande qu’on ferme la porte de son bureau, secret défense oblige.

À son hôtel, Emmanuel Macron et ses conseillers débriefent la première journée du Conseil européen.
À son hôtel, Emmanuel Macron et ses conseillers débriefent la première journée du Conseil européen. © Sarah Steck

« Il arrive ! » Ça s’agite dans la délégation, le sommet est en pause, le président remonte, précédé de quatre membres de la garde présidentielle (GSPR) qui se positionnent pour « sécuriser » l’espace. Macron s’engouffre dans son bureau. « C’est long, mais Orbán ne bloquera pas. On avance, tout a été aplani », glisse le président. « Le Roumain veut vous voir, pour l’Otan », intervient Alexis Dutertre. « OK. » « Il faut qu’il y ait un mot dans la déclaration finale sur Haïti, on ne peut pas laisser croire qu’on se désintéresse de la zone Caraïbe, poursuit le PR, je vais en dire un mot à Charles Michel. » Les conseillers acquiescent. Un sujet sensible doit être évoqué, la collaboratrice chargée de la communication fait signe aux journalistes de sortir de la pièce. Quelques minutes après, Emmanuel Macron repart. « En forme ? » lance-t-il à la cantonade, adressant à celui qu’il croise un clin d’œil amical.

16 h 30. Retour autour de la table du Conseil. Le Français reprend sa place entre le Tchèque et le Slovaque. Légèrement sur sa droite, de l’autre côté de la table en forme d’ellipse, Viktor Orbán vient de demander à son porte-parole Zoltán Kovács, de publier sur X un message dans lequel il félicite Vladimir Poutine pour sa réélection, soulignant en substance que la Hongrie et la Russie poursuivent leurs échanges fructueux malgré les tensions géopolitiques. Un petit bras d’honneur à ses homologues européens, alors que vient d’être abordée la mention d’une condamnation de la tenue des élections russes dans les territoires annexés de l’Ukraine. Orbán ne s’y oppose pas, mais il marque sa désapprobation, à sa façon. Provocation ? « Viktor Orban n’a pas bloqué les choses comme il a pu le faire par le passé en exigeant des contreparties, décrypte Emmanuel Macron. Cependant, il continue de se singulariser pour montrer aux Chinois ou à d’autres qu’il n’est pas suiviste. »

« On a topé sur l’Ukraine, sur l’élargissement »

Le temps est parfois long à la délégation française pendant que les dirigeants palabrent. Un conseiller diplomatique partage avec l’une des permanentes du bureau ses souvenirs bruxellois. « Je me souviens de Montebourg, ministre du Redressement, qui s’était payé le commissaire à la Concurrence, Almunia, devant tout le monde ! Hollande avait été obligé de le convier à dîner à l’Élysée pour rétablir des relations normales avec le commissaire. » « Ségolène Royal… Je me suis tapé trois ans de Conseil européen avec elle au moment de la COP21. L’Irlandais bloquait sur la question de la stabilité du marché du carbone. Elle m’avait dit : “C’est qui ?” “C’est le ministre irlandais, Madame.” »

19 h 50. Les chefs d’État entament le dîner. SMS du président à Alexis Dutertre : « On a topé sur l’Ukraine, sur l’élargissement. J’ai fait valoir nos points, et on sera sur une position commune sur le Proche-Orient. » Entre soulagement et fierté, le staff constate l’aboutissement de trois semaines de négociations tendues, en coulisse, pour convaincre l’ensemble des partenaires de la France, Hongrie et Slovaquie comprises, qu’il faut monter d’un cran dans la riposte promise à la Russie.

En politique étrangère, chaque mot pèse

En politique étrangère, chaque mot pèse. À l’engagement de l’Union de soutenir « aussi longtemps que nécessaire » l’Ukraine dans la guerre, la France obtient un engagement sur les moyens : « Aussi longtemps et aussi intensément que nécessaire. » Le président Macron analyse cette inflexion de l’Europe comme l’aboutissement de l’alerte déclenchée le 26 février lorsqu’en réponse à la possibilité de déploiement de troupes françaises en Ukraine, il avait répondu : « Rien ne doit être exclu, nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre. »

Malgré les réactions parfois très fraîches de certaines chancelleries, l’Élysée a persisté et – selon sa version – n’a pas eu à batailler longtemps pour convaincre tout le monde. « Nous avons fait converger les positions des uns et des autres sur l’Ukraine. Avec Volodymyr Zelensky, nous avons fait le constat que nous étions en train de s’habituer à l’enlisement, au blocage des Hongrois, à un adversaire qui ne dit jamais clairement ce qu’il veut, ni ses buts de guerre, confie le président au JDD. Il fallait un sursaut et c’est ce qu’on fait en changeant de cadre et en donnant de la visibilité à notre détermination. »

La situation sur le terrain montre que la contre-offensive ukrainienne a rencontré des difficultés

Emmanuel Macron

Un sursaut rendu d’autant plus nécessaire que l’Ukraine est aujourd’hui en grande difficulté. « La situation sur le terrain montre que la contre-offensive ukrainienne a rencontré des difficultés, commente Macron. Le 26 février, nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de nouvelles actions très importantes pour les Ukrainiens sur le terrain. » D’où la nécessité de renforcer sérieusement l’effort de guerre des Occidentaux. Les 27 se sont mis d’accord pour permettre des tirs longue portée pour atteindre les Russes dans la profondeur sur le sol ukrainien. L’Allemagne accepte de participer à des opérations de maintenance sur place, les Polonais vont encadrer la formation en matière de déminage.

Autre mesure de soutien immédiat : les revenus des avoirs russes gelés en Europe – de 2 à 3 milliards d’euros chaque année –, seront saisis au profit de l’aide à l’Ukraine, y compris pour le financement d’armement capable d’atteindre les Russes. Plus qu’un réarmement ponctuel, la France a également plaidé et convaincu de la nécessité d’une Europe de la défense, financée par des nouvelles ressources. Qu’il s’agisse d’eurobonds ou d’emprunts auprès de la Banque européenne d’investissements (BEI), la Commission a jusqu’en juin pour faire des propositions. Le président français y voit un changement d’ère qui rompt définitivement avec l’équilibre de la guerre froide : « Ce qui change aujourd’hui c’est que l’Europe sort d’un état de minorité géopolitique. Jusqu’ici, nous nous en remettions aux États-Unis pour nous protéger. Cette fois on ne sait pas s’ils vont le faire. C’est donc à l’Europe de prendre en main sa défense. »

Vendredi, dans le Falcon 7X présidentiel, Emmanuel Macron revient sur l'accord entre les 27 avec notre reporter Antonin André.
Vendredi, dans le Falcon 7X présidentiel, Emmanuel Macron revient sur l'accord entre les 27 avec notre reporter Antonin André. © Sarah Steck

Tout au long de ces deux jours de sommet, les menaces de plus en plus agressives adressées par Moscou contre la France ont achevé de convaincre le président que le message d’un durcissement sévère de l’Europe avait été bien compris par Poutine. Les propos du vice-président de la Douma, Piotr Tolstoï, proche du Kremlin, annonçant que la Russie allait « tuer tous les soldats français » ou menaçant Paris d’une frappe nucléaire sont, selon Emmanuel Macron : « le signe d’une fébrilité et d’une perte de sang-froid du pouvoir russe ». Un argument de plus pour souder les Européens autour d’une résistance plus offensive.

Vendredi matin, nouvelle réunion du Conseil, puis conseil de la zone euro. Les 27 actent le principe d’une loi Egalim au niveau européen pour garantir un prix minimum aux agriculteurs. L’accord avec l’Ukraine lui permettant de bénéficier d’exonérations sera réduit et encadré pour ne pas excéder certains volumes. Devant les membres de la zone euro, Christine Lagarde, présidente de la BCE, se montre optimiste : « Nous avons gagné la bataille contre l’inflation. » L’Europe a évité la récession et Lagarde prédit une reprise significative de l’économie pour la seconde moitié de l’année.

Une dernière course contre l'Allemagne

Après un dernier échange avec Ursula von der Leyen, le président retrouve la délégation française vers 14 heures. « Tout le monde est content, on a bien bossé », lâche-t-il. Dernière étape avant de regagner Paris, le passage en salle de presse pour répondre aux journalistes français. Il est un peu plus de 15 heures quand le convoi présidentiel quitte le Conseil européen pour rejoindre le tarmac de l’aéroport. L’impressionnant déploiement de forces de l’ordre mobiles, ainsi que la présence d’un hélicoptère en vol de surveillance aux abords de la zone aéroportuaire, rappellent que le contexte géopolitique s’est brutalement dégradé.

À bord du Falcon 7X de la République française, le président revient sur son tête-à-tête avec Giorgia Meloni avec laquelle les relations sont apaisées. Au roulage, on aperçoit en bout de piste l’Airbus de la délégation allemande prêt à décoller. « Ce sont les Allemands qui sont devant nous ? lance Emmanuel Macron. Allez-y les gars ! Mettez les gaz ! Tout droit ! »

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