ELLE. Quelle est la genèse de votre livre ? 

Clara Robert-Motta. Je donne mon sang, mon plasma aussi. J’ai toujours su que c’était important, que cela sauvait des vies mais sans trop savoir comment. J'ai lu sur un fascicule que 90% du plasma est utilisé pour faire des médicaments. J’ai voulu creuser mais je n'avais pas en tête toute l'industrie derrière.

ELLE. Pourriez-vous rappeler ce qu’est le plasma ?

C. R.-M. Le plasma est le liquide dans lequel baignent les cellules du sang. Il compose 55% du sang. Ce plasma est composé à 90 % d'eau et le reste sont des protéines, utiles pour les cellules, pour les défenses immunitaires, coaguler, etc. Il permet de soigner les personnes immunodéprimées et certaines maladies auto-immunes grâce aux immunoglobulines, les hémophiles grâce aux facteurs de coagulation et les personnes en réanimation grâce à l’albumine. Selon le rapport Véran, il y aurait 500 000 personnes qui ont besoin de médicaments dérivés du plasma.

ELLE. L'établissement français du sang s’est lancé dans le Plan Plasma, est-il réalisable ?

C. R.-M. Ce plan consiste à prélever 1,4 million de litres de plasma d'ici quatre ans, sachant que la France récolte aujourd'hui environ 800 000 litres par an. C'est réalisable mais cela demande d’y mettre les moyens. Depuis le rapport Véran, on a fait le constat qu’il nous manque du plasma en France, que ce sont des médicaments avec une croissance exponentielle et qu'on en a besoin. Pour cela, il faut avoir les capacités de fractionnement suffisantes (le fractionnement est le procédé de fabrication pendant lequel les composants du plasma sont séparés et purifiés par diverses méthodes physiques et chimiques, N.D.L.R). C'est ce qui se passe avec l'usine d'Arras, plus gros chantier industriel de production de médicaments en France depuis des années, qui augmentera nos capacités de fractionnement. L’infrastructure sera bientôt prête mais il faut que le reste suive derrière : ouvrir des centres pour collecter plus de plasma donc embaucher, faire des campagnes de communication pour faire comprendre l’importance du don, etc. Le plasma ne se récolte pas de la même manière que le sang. Les collectes mobiles ne sont pas possibles car les appareils de plasmaphérèse, conçus pour la séparation et la collecte des composants sanguins, ne sont pas transportables.

ELLE. Pourquoi un gros pourcentage des médicaments sont fabriqués avec du plasma américain ?

C. R.-M. Aux États-Unis, le don de plasma est rémunéré entre 40 et 70 dollars selon le poids du donneur, faisable jusqu'à deux fois par semaine, jusqu'à 104 fois par an. À titre de comparaison en France, c'est 24 fois par an maximum, en attendant deux semaines entre chaque don. En fait, ces dix dernières années, tous les industriels du plasma ont été obligés d’aller chercher leur plasma aux États-Unis. En France, 65% des médicaments utilisés proviennent du plasma américain. Comme me l’a dit un chercheur en géographie, il y a des gens assez pauvres aux États-Unis pour avoir besoin de vendre leur plasma mais dont le niveau de santé est suffisamment bon pour pouvoir donner. Par le passé, les industriels allaient le chercher dans des pays moins riches dans lesquels il y a eu des scandales de sang contaminé. Depuis, des lois assez draconiennes en matière de sécurité ont été mises en place et sont respectées. Aux États-Unis, le pays du capitalisme et de la marchandisation du corps, le nombre de centres de collecte a doublé en cinq ans, avec plus de 1200 centres de collecte.

ELLE. Quel est le profil des donneurs aux États-Unis ?

C. R.-M. Ce sont plutôt des jeunes, plutôt des hommes, dans la moyenne basse de la population et souvent issus d'une minorité aussi. Des études montrent qu'il y a plus de chances qu'un centre de collecte ouvre dans un quartier pauvre et minorisé qu'ailleurs. Ce serait le portrait-type dans les grandes lignes. Ce sont surtout des gens qui ont un besoin d'argent pressant. Ils ne donnent pas forcément toute l’année mais plutôt occasionnellement. J’ai rencontré Richard qui le faisait pendant trois mois pour compenser le creux de son activité professionnelle. Souvent, cela devient un petit complément d’argent. C’est le cas pour les étudiants aussi. Pour toutes les personnes qui le font, c’est surtout une façon moins pire qu'une autre de gagner un peu d'argent. Si elles avaient d’autres moyens, elles feraient autrement.

ELLE. C'est un marché qui se porte bien ?

C. R.-M. C’est très rentable, c'est une industrie qui pèse 31 milliards de dollars en 2023, qui devrait grimper à 50 milliards de dollars en 2050. Ce chiffre est drivé par les immunoglobulines, qui vont être de plus en plus utilisées pour soigner de plus en plus de maladies. Les patients pour qui ce médicament est essentiel sont vraiment inquiets car il n’existe pas d'alternative pour eux.

ELLE. Est-ce qu’une pénurie pourrait être possible ?

C. R.-M. Selon les associations de patients, il y a déjà eu des pénuries. Pendant la pandémie notamment à cause d'une baisse des dons aux États-unis car les gens avaient moins besoin d'argent. Pour un grand nombre de personnes, la motivation repose sur l’argent. Quand ce n’est plus si nécessaire, elles n’y vont plus. C'est pour ça que des fédérations de donneurs se sont organisées en Europe et en France. Pour les donneurs, la seule solution serait de collecter plus pour fabriquer plus de médicaments. Mais il ne faut pas mettre en concurrence l'éthique du donneur et l'éthique du patient. Ce dernier veut faire un acte altruiste et non rémunéré en France. Dans d'autres pays, on parle de marchandisation du corps. Il y a aussi des patients qui ont besoin de ces médicaments, qu'il ne faut pas non plus enlever de l'équation. En fait, c’est juste un marché en extrême tension : les lignes ne se recoupent pas entre l'offre et la demande. Les prix augmentent et ceux qui en pâtissent le plus sont les pays pauvres qui n'ont pas assez d'argent à mettre dans ces médicaments qui effectivement concernent peu de personnes.