«Je vous implore de libérer mon père pour que l’on puisse enfin redevenir une famille», supplie ce jeune Ouïghour «le cœur serré». Voilà plus d’une décennie que ce fils – dissimulant son identité pour des raisons de sécurité –, exilé en Turquie depuis plusieurs année, n’a pas vu son père. Ce dernier est incarcéré depuis mars 2014 dans un centre de rétention en Thaïlande avec une cinquantaine d’autres Ouïghours ayant fui la province chinoise du Xinjiang. Arrêtés il y a dix ans pour entrée illégale dans le royaume de Thaïlande après avoir fui les persécutions du régime chinois, ils n’ont toujours pas retrouvé leur liberté.

Une liberté encore lointaine

«Les années passent et sa libération semble de moins en moins probable,» poursuit-il dans ce message adressé au gouvernement diffusé début mars à Bangkok lors d’une conférence organisée par l’ONG locale The Fort engagée auprès de ces Ouïghours. L’association Human Rights Watch (HRW) a dénombré 350 Ouïghours arrêtés par les autorités thaïlandaises depuis 2014. Alors que 172 femmes et enfants avaient pu, en juillet 2015, être réinstallés en Turquie, 109 hommes furent renvoyés en Chine sous pression de Pékin. «On ne les a plus jamais revus», a déclaré Phil Robertson, de HRW.

Aujourd’hui, la cinquantaine d’Ouïghours croupit dans un centre de rétention pour une durée indéfinie. S’ils étaient déportés en Chine, « il est clair qu’ils seraient torturés », ajoute Phil Robertson. Leur si longue incarcération, pour des réfugiés en transit, contrevient aux normes internationales relatives aux droits humains. Pour HRW, Bangkok est tiraillé entre d’un côté les États-Unis et de l’autre la Chine qu’il ne faut pas froisser. Ainsi, la Thaïlande a coupé la poire en deux en choisissant de ne pas choisir. Avec, au milieu, les 50 Ouïghours maintenus dans des conditions déplorables.

Des Ouïghours maltraités

Les services d’immigration thaïlandaise ont maintes fois refusé les demandes de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) d’assister ces Ouïghours, privés aussi de représentation légale et de rencontre avec leurs proches. « Cette politique vise délibérément à les isoler », estime Phil Robertson.

À cela s’ajoutent des centres de rétention surpeuplés et en manque de personnel, pointe la Commission nationale des droits de l’homme en Thaïlande. Rare institution à avoir pu visiter ces établissements, elle demande aux autorités concernées de « trouver d’urgence des pays tiers appropriés » pour ces demandeurs d’asile, a déclaré une conseillère pendant la conférence.

Cinq Ouïghours sont morts depuis 2014

En attendant, au moins cinq Ouïghours sont morts en détention depuis 2014, dont deux l’an dernier. « Aux dernières nouvelles, 7 ou 8 étaient gravement malades, confie à La Croix Abdullah Sami, un Ouïghour installé en Europe, en contact avec certains détenus. Ils se demandent s’ils vont mourir là-bas. » Tous vivent la peur au ventre à l’idée d’être renvoyés en Chine. Car ils savent que Pékin ne lâche pas l’affaire. « La Chine envoie tous les jours des lettres avec suivi au ministère thaïlandais des affaires étrangères », a affirmé Chalida Tajaroensuk, directrice d’une ONG thaïe d’aide aux réfugiés ouïghours.

Pour Puttanee Kangkun, spécialiste des questions migratoires, « la protection des réfugiés en Thaïlande est généralement faible. Mais s’agissant des Ouïghours, c’est encore pire car ils ne sont même pas considérés comme tels par les autorités », indique-t-elle. « Certains criminels passent moins de temps en prison », note la directrice de The Fort, qui appelle le gouvernement thaïlandais au « courage et au respect de sa souveraineté ».