"En matière de journalisme, il n’y a pas de prescription", a souligné Elise Lucet jeudi 25 novembre sur le plateau de C à vous. La veille, Nicolas Hulot s'était rendu sur le plateau de BFMTV pour affirmer : "Les journalistes ne sont pas des procureurs ni des juges".

À l'origine de cet échange, l'enquête sur France 2 d'un Envoyé Spécial dans lequel quatre femmes accusent l'ancien ministre et journaliste d'agressions sexuelles. Des faits commis pour la plupart entre 1989 et 2001, et sans doute prescrits aujourd'hui.

Le lendemain du reportage diffusé le jeudi 25 novembre, le parquet de Paris ouvrait une enquête pour "viol, agression sexuelle et des faits susceptibles d'avoir été commis à Paris à l'égard d'une victime mineure".

Mais quelles sont les suites possibles de cette affaire ?

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Sylvia, Cécile, Claire... : des témoignages glaçants 

Dans la grande enquête menée par Virginie Vilar pendant quatre ans, les témoignages de ces femmes recontextualisent avec détails "où, quand, comment" Nicolas Hulot les aurait agressées.

Si certains faits sont "invérifiables", comme le dit la voix off du documentaire, la date, le lieu, les échanges écrits, eux, ont pu et ont été vérifiés par les enquêteurs d'Elise Lucet.

Sylvia, première femme à témoigner, a rencontré Nicolas Hulot quand elle avait 16 ans, en mai 1989. Après avoir participé à son émission sur FranceInter, ils vont prendre un petit-déjeuner dans un café. Alors qu'il lui propose de la déposer en voiture à une bouche de métro, il se rend finalement sur un parking aérien. "Il voulait que je l'embrasse, que je lui embrasse le sexe. Il me force à lui faire une fellation, que je ne fais pas réellement parce que je crois que je suis tétanisée", raconte-t-elle. À l'époque elle ne parle pas car entre "une gamine de 16 ans [et] Nicolas Hulot, qui allait me croire ?"

Cécile raconte avoir été agressée sexuellement par l'ancien présentateur d'Ushuaïa à Moscou, en 1998. Alors qu'elle travaille pour l'ambassade de France, elle débloque une situation à l'aéroport pour l'équipe de tournage de Nicolas Hulot. La jeune femme âgée alors de 23 ans est invitée par ce dernier pour la remercier à un dîner avec d'autres membres de l'équipe.

Ils finissent la soirée dans une boite de nuit mais très vite Cécile sent une situation gênante s'installer entre Nicolas Hulot et elle. Elle décide donc de rentrer. Lui aussi. Sans vraiment avoir eu le choix, elle partage son taxi avec Nicolas Hulot. De nouveau insistant, elle le repousse. "Il se jette sur moi, il essaie de m'embrasser, il me touche les seins, l'entrejambe", témoigne Cécile.

Il se jette sur moi, il essaie de m'embrasser, il me touche les seins, l'entrejambe

"Je me débats. Je l'ai repoussé. Je l'ai frappé au visage.[...] J'ai frappé comme j'ai pu [...] Je crois que le 'Non' a été très clair. [...] Je crois que j'ai clairement exprimé que je ne souhaitais pas avoir une relation sexuelle avec ce monsieur."

D'autres femmes témoignent ensuite dans Envoyé Spécial. Claire Nouvian, militante écologiste, assure avoir été mise en garde par l'entourage politique de Nicolas Hulot en 2008. Quelques années plus tard, il tente d'un coup de l'embrasser après une réunion de travail. Une ancienne collaboratrice raconte également avoir été embrassée de force après une réunion en 2001.

Sur FranceInfo, les lettres de deux autres victimes sont disponibles : celle de Maureen Dor et celle d'une ancienne employée de TF1, qui a préféré rester anonyme

Solliciter à plusieurs reprises par Elise Lucet et Virginie Vilar pour venir témoigner dans le reportage, Nicolas Hulot a refusé de raconter sa version des faits sur France 2. Seul le premier appel téléphonique a été diffusé dans Envoyé Spécial, dans le respect du contradictoire (la parole aux deux parties, ndlr).

La défense de Nicolas Hulot : recyclage de 2018

S'il a dit non à Envoyé Spécial, il s’est rendu sur une autre chaîne (BFMTV) pour réfuter les accusations, la veille de la diffusion de l'émission.

Face à Bruce Toussaint, Nicolas Hulot a ainsi plaidé son innocence : "Je veux dire que ni de près ni de loin je n’ai commis ces actes. Ces affirmations sont purement mensongères. Je le dis ici une fois pour toutes fermement et définitivement. Où sont les preuves? On ne peut plus les établir."

Se dédouanant ainsi de toute accusation future, avant même que la parole des victimes ne soit entendue. "Là ça a été très difficile pour elles (les victimes, ndlr). Elles m'ont dit 'on ne nous croit pas, il nous impose le silence, il dit que nous sommes des menteuses'", a rapporté la réalisatrice du documentaire, Virginie Vilar. 

Une stratégie qu’il avait déjà adoptée en 2018 alors que le magazine l’Ebdo révélait entre autres, qu’une plainte pour viol avait été déposée contre lui en 2008. Comme il l’a fait cette année, Nicolas Hulot s'était rendu sur un plateau la veille de la sortie, avant même que le public ait pu entendre et découvrir l’enquête. Une occasion pour lui de démentir et se placer en victime face à ces accusations.

Niant en bloc la totalité des déclarations, il rappelle aussi, toujours comme en 2018, que les faits dénoncés sont prescrits.

Tribunal médiatique VS tribunal judiciaire

Nouveauté dans son argumentaire de 2021, il dénonce avec ce reportage, un "tribunal médiatique". Un terme largement repris sur les réseaux sociaux et au sein de la classe politique, qu'a refusé Elise Lucet, invitée sur le plateau de C à Vous.

"Dire à des journalistes qui font simplement leur travail - recueil de témoignages, vérification journalistique de recoupement, de contradictoire - qui proposent à Monsieur Hulot une interview, qui proposent à ses avocats une interview, si ça, ce n’est pas du journalisme et si là on nous accuse de faire un tribunal médiatique, je ne comprends pas. Ce n’est pas un tribunal, ça s’appelle une enquête journalistique", a-t-elle assené.

"Quand on me dit #tribunalmédiatique je réponds : cirque judiciaire. Cette image éculée qui permet à certains confrères d'éructer pour se dispenser de travailler est un MENSONGE. Le "tribunal médiatique" n’existe pas !", a ainsi publié sur Twitter l'avocate pénaliste Me Elodie Tuaillon-Hibon, qui poursuit en rappelant qu'il n'y a "ni Procureur ni avocat général, ni jurés, il n'y a surtout, aucune privation de liberté, aucune condamnation pécuniaire, aucune réparation aux victimes, il n'y a aucune confrontation publique de l'entier dossier, non, rien". 

Le fait de condamner de telles émissions, qui sont pourtant nécessaires pour que la parole des victimes supposées soient entendues, perpétue en réalité la loi du silence. De plus, la visibilité médiatique peut donner le courage à d’autres victimes de s’exprimer, de témoigner. Leur montrer qu’elles ne sont pas seules et qu’elles ont un espace pour être écoutées.

Alors que les agressions sexuelles ont une date de péremption au tribunal judiciaire, les victimes peuvent s’exprimer aussi longtemps qu’elles le veulent dans les médias.

"Imaginons qu’on découvre un scandale qui date de 25 ans, qui est une affaire d’état, qui concerne des politiques, est-ce qu’on s’interdirait d’en parler parce que cette affaire a 25 ans ? Il n’y a pas de prescription dans le journalisme. Il y a même parfois du journaliste historique qui remonte à deux siècles et on a raison de le faire", a défendu Elise Lucet dans C à vous.

La possibilité d'une prescription glissante

Dans la loi française, si la victime est majeure, elle peut porter plainte jusqu'à 6 ans après une agression sexuelle et 20 ans après un viol. Pour les mineurs, le délai est de 30 ans à partir de la majorité pour agression sexuelle et viol.

Concernant cette affaire en particulier, la justice a finalement ouvert une enquête au lendemain de la diffusion d'Envoyé Spécial, grâce aux nombreux éléments révélés par le documentaire. Si pour rappel, Nicolas Hulot reste présumé innocent, il faudra aussi prendre en compte la question de la prescription.

Les six témoignages connus pour le moment, relatent des faits qui semblent être anciens. 

Néanmoins, Virginie Vilar a révélé sur le plateau d'Envoyé Spécial, à la suite de son reportage, être en contact avec une dizaine des femmes. Face à la prise de parole de Nicolas Hulot, ces mêmes femmes se demandent "si elles peuvent continuer à se taire", a précisé la journaliste.

Si l’une d’elles dénonce des faits qui ne sont pas prescrits, toutes les autres femmes qui l’accusent pourront le poursuivre en justice. Il s’agit de la prescription glissante, mise en place en 2021. Elle permet "si l’une des victimes n’est pas prescrite, aux autres de se constituer partie civile. Donc, si on trouve une seule victime pour qui les faits ne sont pas prescrits, cela autorise les autres à avoir droit à un procès", avait ainsi expliqué l'avocate Carine Diebolt, à Marie Claire.

Pour rappel, seulement 1% des plaintes pour viols ou tentatives de viols aboutissent à une condamnation. Et ce même dans le cadre d'affaires très médiatisées.