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ReportageMontagne

À Tomorrowland Winter, les riches clubbeurs en plein déni climatique

Les scènes de Tomorrowland Winter sont installées au cœur du domaine skiable de l'Alpe d'Huez.

Étrillé par des associations écologistes, le festival Tomorrowland Winter se tient à l’Alpe d’Huez, au cœur des Alpes françaises. Sur place, les riches festivaliers ont du mal à comprendre les critiques.

L’Alpe d’Huez (Isère), reportage

Les pieds dans la neige, ils sont plusieurs centaines à danser et à chanter face aux montagnes. Derrière les platines, la star néerlandaise de l’électro, Afrojack, est abritée sous un immense décor d’oiseau qui déploie ses ailes, prêt à s’envoler. Au fond, les skieurs dévalent les pistes sous un soleil printanier. En ce samedi après-midi de la mi-mars, la température est douce. Si certains festivaliers sont en tenue de ski, d’autres portent simplement un tee-shirt. Des fumigènes et effets pyrotechniques s’élancent dans les airs. Nous sommes à 2 400 mètres d’altitude.

Bienvenue au festival Tomorrowland Winter à l’Alpe d’Huez. Le plus gros événement de musique électronique du monde, créé en Belgique en 2005, tient pour la quatrième fois sa version hivernale dans la station iséroise, du 16 au 23 mars. Un événement décrié par plusieurs associations et collectifs, notamment pour son « bilan carbone outrancier » et les nuisances sonores et visuelles générées à quelques centaines de mètres du parc national des Écrins.

Ski, électro et champagne

Vingt-deux mille personnes sont attendues, dont la moitié venue de l’étranger, sur les huit scènes que compte le festival, dont quatre en altitude. Ces fêtards disposent d’un fort pouvoir d’achat : le prix du billet d’entrée pour une semaine, qui comprend un forfait de ski, démarre à 675 euros. La facture peut grimper jusqu’à 1 405 euros, sans compter l’hébergement ni le transport.

Martin et Anna sont venus de Norvège en voiture pour participer à Tomorrowland Winter. © Jeanne Cassard / Reporterre

C’est notamment pour ce décor de carte postale qu’Anna et Martin ont fait le déplacement depuis Oslo (Norvège), en voiture. Le drapeau de leur pays affiché en évidence, le couple danse derrière des rambardes, un verre à la main, sur le côté de la foule. Nous sommes ici dans l’espace Comfort de l’événement, réservé aux festivaliers qui ont payé les billets les plus chers. Sur leur table trône une bouteille de champagne rosé.

De là où ils sont, « on est assez près du DJ et on a de l’espace pour danser », expliquent-ils, les visages souriants, l’air heureux d’être là. Ils n’ont pas hésité à parcourir 2 300 kilomètres, parce que « Tomorrowland Winter, entre la musique et les montagnes, c’est le meilleur festival du monde ! », s’exclame Martin, qui dit avoir écumé les plus grands festivals d’Europe. Le couple ne skie pas vraiment, toutes les scènes sont accessibles pour les piétons en téléphérique. Âgés de 38 et 35 ans, Martin et Anna ont déboursé 5 000 euros à eux deux pour passer la semaine dans « ce décor de rêve ». Une somme qu’ils peuvent aisément débourser grâce à leur salaire de promoteurs immobiliers.

« Il faut bien vivre »

Le couple ne comprend pas les critiques adressées au festival. Pour Anna, il faut relativiser la pollution du festival : « Tout le monde ne vient pas en avion, regardez-nous ». Aussi, « rencontrer des gens de toute la planète, c’est tout l’intérêt de Tomorrowland ». Ils se disent conscients du changement climatique, « mais bon, il faut bien vivre ». La discussion s’arrête là, les deux fêtards sont là pour s’amuser, pas pour converser sur la hausse des températures.

Sur la table d’à côté, Redah et Franz se prennent en selfie, un magnum de champagne posé à côté. Son prix ? 300 euros. « Ce n’est pas très cher pour un magnum, en boîte de nuit ça peut grimper bien plus haut », dit Redah, lunettes de soleil noires sur le nez. Le Parisien de 23 ans comprend les critiques des opposants au festival : « Plus le décor est grandiose, plus ça pollue, c’est évident. »

De nombreux festivaliers sont en tee-shirt sous le soleil printanier. © Jeanne Cassard / Reporterre

Toutefois, « il ne faut pas faire reposer toute la responsabilité sur les festivaliers de manière individuelle, c’est tout un schéma économique qui est en cause, on ne peut pas lutter contre », estime-t-il. Pour le jeune homme, « il faudrait mettre en place un système de compensation pour ce genre d’évènement, comme on le fait déjà avec les avions en replantant des arbres ». En réalité, les mécanismes de compensation carbone visant à alléger la conscience écologique des voyageurs aériens ne sont pas efficaces.

« Ce festival, c’est de l’argent pour la station, tant mieux pour les commerçants », estime Sebastian, croisé un peu plus haut sur la scène Frozen Lotus, située au niveau de l’enseigne de restaurants festifs La Folie Douce. Le Colombien est venu rendre visite à son amie Manuela quelques jours à Barcelone, et ils ont souhaité faire un crochet par Tomorrowland Winter, juste pour le week-end, en avion. Coût du séjour pour les deux amis : 800 euros. Aussi, « si on arrête le festival, il reste le ski et ça aussi ça a un impact sur l’environnement », indique le jeune homme.

« La neige était bien meilleure au Japon ! »

À 16 heures, c’est la fin du set. Tandis que la moitié des festivaliers rechausse ses skis, les autres repartent à pied rejoindre le téléphérique qui les ramène en bas de la station. Un peu plus loin sur les pistes, Elaine est bien visible avec son anorak rose. Après une journée de snowboard, elle se dit fatiguée par le décalage horaire. Il faut dire qu’elle a fait le voyage depuis Sydney, en Australie, juste pour passer la semaine ici, puis quelques jours à Nice. Elle ne s’est pas arrêtée à Paris, elle y est déjà allée deux fois.

Elaine, venue d’Australie exprès pour le festival, ne fait pas le lien entre son mode de vie et le réchauffement climatique. © Jeanne Cassard / Reporterre

« Des amis qui habitent à New York, en Chine et à Singapour m’ont proposé de les rejoindre, ils viennent au festival chaque année », explique la jeune femme de 30 ans, ses longs cheveux noirs cachés sous son casque. Si elle ne sait pas combien exactement ces vacances lui ont coûté, la banquière a déboursé 1 500 euros rien que pour le vol.

La médaille d’or du « saccage des cimes »

Ravie d’être là, Elaine est tout de même un peu déçue par la qualité de la neige, « c’est de la soupe, il y a beaucoup d’eau ». Pour elle, pas de doute, c’est à cause du réchauffement climatique : « C’est de pire en pire, en Australie, c’est pareil, avant on pouvait skier quatre mois de l’année. Maintenant il y a seulement de la neige en juillet et en août ». Au Japon le mois dernier, « la neige était bien meilleure ! » Celle qui prend l’avion plusieurs fois par an pour voyager ne fait pas le lien entre son mode de vie et le climat qui se réchauffe. Les nuisances sonores et visuelles pour la faune pendant le festival ? « Je n’y avais pas pensé », dit-elle, l’air un peu gêné. Avant de rejoindre ses amis, qui préfèrent danser que skier, elle propose de prendre un selfie et de le poster sur Instagram.

« Les technologies permettront de fabriquer de la neige en quantité suffisante d’ici les prochaines années », affirme quant à lui Mads, qui rêvait de participer à ce festival et est venu du Danemark avec deux amis.

Dimanche 17 mars, la neige était presque absente dans la station de l’Alpe d’Huez. © Jeanne Cassard / Reporterre

Après une pause de trois heures, à 19 heures, la fête reprend en bas de la station. Freed from Desire de Gala, Sexy Bitch de David Guetta, et même Vois sur ton chemin, du film Les Choristes… Tandis que les remix s’enchaînent sur la scène Core, les festivaliers dansent, les bras en l’air, au rythme de la techno.

À l’extérieur, Valeria et Soven rejoignent la file d’attente d’un des nombreux stands de nourriture. Venus de Londres en avion, ils en ont eu pour 1 500 euros par personne pour la semaine. « On était déjà venu l’année dernière, ici c’est la parfaite combinaison entre la montagne et la musique », racontent-ils. S’ils ont vu un peu plus tôt dans l’après-midi la cinquantaine de manifestants du collectif Stop Tomorrowland Alpe d’Huez pendant leur marche festive dans le village, ils n’ont pas compris leurs revendications. Après explications, le couple explique n’avoir aucun avis sur les problématiques soulevées par les manifestants, ni sur le réchauffement climatique en général.

Les opposants ont symboliquement remis la médaille d’or du « saccage des cimes » à la mairie de l’Alpe d’Huez pour avoir accepté d’accueillir ce festival jusqu’en 2030, tout en se targuant d’être l’« inspiration d’un mode de vie durable » et « créateur de solutions pour un meilleur avenir ».

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