Florence Besson : « J'ai envie d'emmener Jésus danser »

Florence Besson, qui « renaît » d’un AVC, livre le récit tintinnabulant de sa retraite chez les jésuites.
Anna Cabana
La journaliste Florence Besson et écrivain à son domicile parisien, vendredi.
La journaliste Florence Besson et écrivain à son domicile parisien, vendredi. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Imaginez une fée clochette qui, après avoir cherché à « toucher terre »* en oubliant qu'elle avait des ailes, après que son « cœur fendu » a failli l'« emporter de l'autre côté » pour la « punir », croit-elle - ce qui, en langage moins poético-mystique, se résume en trois lettres : AVC -, se décide à faire une cure d'amour auprès de... Jésus.

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Notre fée clochette, journaliste au magazine Elle depuis vingt ans, s'appelle Florence Besson. Elle raconte la retraite d'une semaine que, pour tenter de revenir à la vie, elle a faite au « centre spirituel » de Penboc'h - il faudra attendre les remerciements pour
en connaître le nom - en Bretagne, au bord de la mer. Ça se présente comme un journal, faisant donc mine de cheminer sagement du lundi au dimanche, mais en fait c'est une tempête de larmes - qui partent - et de lumière - qui arrive.

Depuis son « accident » - elle ne réussit pas à dire AVC sans que ses yeux se remplissent d'eau -, elle pleure beaucoup. Dans ce livre il y a souvent des coulées de larmes, mais elles n'accablent pas, ni elle ni nous, et c'est fort, cette légèreté, et c'est doux ; les larmes coulent « comme un orage qui s'en va », écrit-elle. La lumière, c'est celle de Jésus, évidemment, mais attention, elle ne vous en accable pas davantage que de ses pleurs. Elle veut seulement dire « ce bonheur-là » tout en sachant que ça ne se dit pas ; au mieux « ça se partage comme une mousse au chocolat ».

Du reste elle écrit comme on croque dans une framboise - ça se marie bien avec la mousse au chocolat - quand on est capable d'attraper à la volée le plaisir à l'instant où il passe par ici, parce qu'on sait que, contrairement à ce que dit la chanson, il ne repassera pas par là. Parce qu'on a compris que la mort nous surveille. L'auteure l'a vécu. Un caillot a fait trébucher son cœur tandis qu'elle marchait vers la table pour aller déjeuner. « Soudain la moitié de mon corps s'est retrouvée paralysée. » Elle a poussé un cri, « un grand gémissement de bête ». « Une peur comme ça n'existe pas. Ce cri, c'était ma vie sauvage. C'était l'amour, je ne saurais dire autrement, le désir de vivre encore, d'entendre, de voir le ciel encore une petite seconde, une feuille, un arbre. Je voulais rester. » Elle s'en est sortie « vite, bien, avec tellement de chance », mais la peur est demeurée, avec son cortège incessant de questions qui tuent : combien de framboises puis-je encore espérer manger avant de mourir ?

C'est pour cesser de se poser des questions à chaque framboise, pour « renaître », qu'elle s'est imposé ces sept jours de silence chez les jésuites. Il s'agissait de « découvrir les exercices de saint Ignace de Loyola ». Oui, formulé ainsi, ça vous met à distance. Une distance qu'abolit la force de sa candeur perchée-acidulée. Surtout lorsqu'elle restitue les trois leçons quotidiennes, d'une demi-heure chacune, qu'elle y a prises. La première : « Ils ont dit qu'on n'avait rien à prouver, que Dieu nous aime complètement. [...] Donc, il m'aime. Entièrement. Je pense à Brigitte Bardot. C'est pareil, quoi, mais en mieux : mes fesses mes seins ma tête mes oreilles mais aussi mes aigreurs mes chagrins mes tendresses mes peurs mes joies, il aime tout. Ça fait bizarre de se dire ça. Il me connaît mieux que moi-même. C'est merveilleux, d'être deviné. » On sourit, mais pas pour se moquer; on sourit parce qu'on est bien dans ce texte qui aurait dû nous rebuter.

La quadragénaire ne laisse pas le sceptique de côté, car elle-même est tiraillée, son écriture est élastique, elle se promène entre le besoin de croire et le grand doute, elle va et vient entre les deux, elle y retourne, et elle revient. Elle regarde sur son « ordi » le dernier épisode de La Chronique des Bridgerton. « C'est bon de voir tous ces gens beaux qui se désirent. C'est trop sérieux, cette retraite, trop gris, j'ai envie de chair, de cul, de rires dans la bouche de celui qu'on embrasse, de danses. Je mets pas trop fort quand même, en plus, il y a des scènes de cunnilingus... Bon sang je ne me sens pas à ma place ici. » Et même à la fin, au moment où ils se retrouvent tous ensemble pour remercier Jésus et chanter « le Seigneur est mon berger, il me mène vers les eaux tranquilles, il me conduit par le chemin », elle commente : « J'aimerais bien que ce soit vrai, qu'on puisse s'y abandonner. »

Et puis il y a une drôlerie tristement tintinnabulante, celle du Petit Prince, qui jaillit par endroits, notamment dans cet échange avec Catherine, son « accompagnatrice », c'est-à-dire la psy qui n'est pas une psy, seule personne à laquelle elle a le droit de parler chaque jour pendant trente minutes : « J'ai besoin de Jésus, je le sens, mais je crois que je trouve le catholicisme sinistre. Je trouve les chants moches. Les églises tristes. [...] Et puis pourquoi des croix partout ? Pourquoi représenter Jésus au pire de sa souffrance ? [...] Et les prêtres, ils ont parfois l'air si sévère... Je me souviens de l'un d'eux à qui j'avais dit à la sortie d'une messe "Pourquoi n'avez-vous pas fait 'la paix du Christ' ? Parce que c'est mon passage préféré, vous savez, chaque fois ça me fait le cœur qui bat comme une grand-voile au-dedans, qui claque au vent, comme en voilier quand on fait du trapèze, la course folle sur la mer ce cri de joie, arhhhhh on vole ! et puis pam on se prend de l'écume plein la figure et on rit, on rit aux éclats, c'est cette joie-là que je recherche. Elle fait oublier le passé, le futur, tout disparaît.

Bref, le prêtre, il avait répondu, en haussant la voix : "Parce que vous croyez que l'Église, c'est les Bisounours ? Vous voulez des bisous?!" Eh bien oui, Catherine. Oui, moi, j'ai pas peur de le dire, je veux des bisous. Et pas sur des petits garçons. [...] Je veux de l'amour avec un grand A et si c'est pas là alors je ne sais plus. [...] J'ai peur Catherine, parce que Dieu n'est pas rigolo. Je la regarde, sûre que j'ai fait n'importe quoi... [...]
- Je vais me faire renvoyer ?
Elle n'a pas l'air choquée. Elle sourit.
"Vraiment, pour vous c'est triste les catholiques ?
Mais, à vos yeux, qui vit sa religion joyeusement ?
- Les juifs ! J'aime Delphine Horvilleur, Gad Elmaleh, eux, je trouve que, quand ils parlent de Dieu, c'est joyeux.
- "Alors devenez juive !"
- Oh non ! (Est-ce une technique pour me virer en douce...?) Non non non ! Déjà, comme si c'était facile... et en plus, je n'en ai aucune envie, j'aime trop Jésus ! »

Plus tard, plus loin dans son récit, elle parviendra, le temps d'une phrase, à réconcilier la « catho » avec la « déglingo » - celle qui, contrairement aux « autres », comme elle dit, n'a pas eu un mariage, « Gaspard et Léontine, qui sont trop mignons » et « des "tu sais que les Bernet aussi seront à l'île de Ré? » « Les autres, je sais qu'ils n'ont pas bu des litres de vodka au fond du Whisky à Gogo, je sais qu'ils n'ont pas couché avec des gens à qui ils avaient juste dit bonjour une heure avant, les autres n'ont pas fait des trucs comme ça. » La phrase de la réconciliation promise se fait attendre, pardon. Mais quelle phrase ! « J'ai envie d'emmener Jésus danser », s'enflamme celle qui écrit avoir dansé toute seule dans sa cellule. « Je tournoyais les yeux fermés. J'avais de la joie à pas savoir qu'en faire. C'est Jésus qui m'a fait ça. Ce truc fou. » « Foufou », même, pour reprendre un mot qui vient bien sous sa plume, et qu'elle emploie ailleurs.

Il y a souvent des coulées de larmes, mais elles n'accablent pas, ni elle ni nous, et c'est fort, cette légèreté, et c'est doux. Elle écrit comme on croque dans une framboise

Florence Besson

Une semaine de silence

Au passage, on prend quelques cours : sur la prière (avec cette technique consistant à s'imaginer dans la Bible et à parler avec Jésus comme s'il était là), sur le « discernement » selon les jésuites (à savoir la capacité à distinguer les pensées qui font du bien et rendent plus vivant de celles qui font du mal), sur la miséricorde. Florence Besson voudrait que « toutes ses copines » lisent la lettre de saint Jean : « Quand ton cœur te condamne, sache que Dieu est plus grand que ton cœur. » Franchement, ça ne peut pas
faire de mal.

Ah, on allait oublier le cours sur le péché. « On nous explique que "pécher", en hébreu, ça ne veut pas dire éprouver de l'envie de la colère faire du mal, non, ça veut dire "manquer sa cible". Pécher, en réalité, c'est se manquer à soi-même. Elle [la prof] dit "c'est ne pas prendre soin de soi, de la vie en soi, c'est ne pas s'aimer assez". Au fond, pécher, c'est être malheureux. C'est du français. Et c'est du cosmos. » Florence Besson ne prend pas d'airs, elle en donne à la langue, à la foi, à la vie.

*Toucher terre (Flammarion, 2019).

Anna Cabana

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Commentaire 1
à écrit le 24/03/2024 à 10:38
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Sur la photo du moins elle ne semble pas avoir gardé de séquelles importantes de son Accident Vasculaire Cérébral. "Cœur fendu" et moi qui pensais qu'un avc concernait le cerveau ?

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