Ryanair à Bordeaux : pourquoi ça coince entre la compagnie low-cost et l'aéroport

DÉCRYPTAGE. La menace de Ryanair de fermer sa base à Bordeaux doit-elle être prise au sérieux par l'aéroport et par ses 120 salariés en Gironde ? Ce bras de fer médiatique intervient en pleines renégociations de la politique tarifaire de l'aéroport bordelais alors que celle-ci souhaite rééquilibrer le poids des compagnies low-cost qui est plus que jamais écrasant.
L'aéroport de Bordeaux et Ryanair sont en pleines négociations tarifaires.
L'aéroport de Bordeaux et Ryanair sont en pleines négociations tarifaires. (Crédits : SA ADBM / Appa)

« Il y a un vrai risque que nous fermions notre base à Bordeaux, peut-être à la fin de la saison d'été », a tranquillement lâché Michael O'Leary, le patron de Ryanair, la semaine dernière. Ciblant publiquement un aéroport français où la compagnie low-cost irlandaise a basé trois avions et emploie 120 salariés. Un aéroport qui lui a aussi réservé un très bon accueil depuis des années au point de tirer du low-cost, représenté par Easyjet, Ryanair et Volotea, 71 % de ses 6,6 millions de passagers en 2023, contre 31 % dix ans plus tôt. Arrivé en 2009 à Bordeaux, Ryanair y a ouvert une base et deux avions en 2019 puis un troisième appareil en 2022 pour un investissement global chiffré autour de 100 millions de dollars.

Un cran en dessous d'Easyjet, Ryanair transporte aujourd'hui environ un quart des passagers de l'aéroport bordelais qui a perdu un million de passagers annuels avec l'arrêt de la navette vers Orly et a, de fait, du mal à renouer avec son trafic d'avant Covid. « Avec ce poids significatif Ryanair est d'une certaine manière en position de force dans les négociations qui se déroulent actuellement et pour lesquelles il choisit de mettre un coup de pression sur ses salariés pour viser indirectement l'aéroport », observe Alain Falque, consultant spécialiste du transport aérien et ancien directeur général délégué d'Aéroport de Paris.

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120 salariés à Bordeaux

Car ce sont biens les syndicats, alertés par la direction de Ryanair, qui se sont inquiétés les premiers du scénario d'une fermeture. « La compagnie nous a réunis le 15 mars dernier pour nous informer du risque d'une fermeture de la base de Bordeaux et nous inviter à nous positionner sur des préférences géographiques en cas de mutation. C'est la première fois que cela arrive », témoigne Damien Mourgues, le délégué syndical SNPNC-FO de Ryanair à Bordeaux. « Nous ne sommes pas là pour arbitrer une négociation commerciale entre la direction et l'aéroport mais nous ne pouvons que souhaiter un accord pour éviter de bouleverser la vie des 120 salariés bordelais et de leurs familles. »

Car il s'agit bien d'abord d'une négociation commerciale autour des tarifs fixés par l'aéroport. La plateforme bordelaise, dont les tarifs étaient historiquement faibles, dispose de deux outils : une grille tarifaire globale et des négociations de gré-à-gré avec chaque compagnie. L'aéroport a sollicité l'an dernier une hausse de 10 % de sa grille tarifaire qui a été refusée par l'Autorité de régulation des transports (ART) car jugée trop élevée. C'est finalement une hausse de 5 % qui a été appliquée du 1er août 2023 au 31 juillet 2024. Et si à ce stade, l'ART indique à La Tribune ne pas avoir été saisie de la nouvelle proposition tarifaire de l'aéroport de Bordeaux, celle-ci est néanmoins déjà en préparation.

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Les coûteuses incitations au low-cost

Mais ce sont surtout les négociations gré-à-gré avec Ryanair qui sont au centre de ces frictions publiques. « L'aéroport veut doubler nos charges, et nous ne voulons pas payer cela », affirme Michael O'Leary tandis que la direction de l'aéroport dans une déclaration à l'AFP, « regrette que Ryanair ait fait connaître à ses employés, sans concertation préalable avec l'aéroport de Bordeaux, l'hypothèse d'une fermeture de sa base, comme il est tout aussi regrettable que Ryanair et ses dirigeants se permettent des déclarations publiques totalement erronées quant au niveau des redevances aéroportuaires ».

Depuis des années, l'aéroport bordelais a massivement soutenu l'essor du trafic low-cost avec des redevances inférieures de 30 % au sein du terminal Billi dédié aux compagnies à bas coût et mis en service en 2010. Comme l'explique la Cour des comptes, dans son rapport d'octobre 2023, les contrats avec ces compagnies « prévoient une aide financière par passager versée par l'aéroport conditionnée à une certaine croissance de trafic ou à l'ouverture de lignes, ainsi qu'un soutien marketing [...] L'ampleur des aides accordées est considérable, le montant versé par passager amené (au départ) étant sans commune mesure avec les mesures incitatives générales. » Il est question de plusieurs millions d'euros par an, jusqu'à représenter 55 % de l'excédent brut d'exploitation de la plateforme en 2021, selon la Cour des comptes qui alertait à l'époque sur « le caractère non transparent, potentiellement discriminatoire et disproportionné des aides incitatives perçues par certaines compagnies dans le cadre des contrats spéciaux ».

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« Tout le monde abat ses cartes »

Si des modifications juridiques ont été apportées depuis, les magistrats notent que ces contrats, qui fondent leur rentabilité sur de très fortes croissances du trafic, ne correspondent plus au contexte du transport aérien post-Covid et à l'urgence climatique. D'autant que les 71 % de passagers low-cost à Bordeaux créent « un risque de dépendance, associé à l'éventualité qu'une de ces compagnies quitte subitement la plateforme si le niveau d'aide ne lui semble pas suffisant. » C'est bien ce cas de figure qui semble se rapprocher aujourd'hui et qui a été pris en compte par Simon Dreschel, le nouveau patron de l'aéroport arrivé mi-2021. Mais s'il répète vouloir rééquilibrer le trafic en attirant davantage de compagnies régulières, le low-cost continue de progresser. Les opérateurs à bas coût ont d'ailleurs redressé la barre bien plus vite que les compagnies traditionnelles après la crise sanitaire et gagnent des parts de marché dans toutes les régions. En 2023, ils ont représenté plus de 60 % du trafic des grands aéroports régionaux selon l'Union des aéroports français (UAF).

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Le moment est-il venu de couper drastiquement dans ces aides ? C'est dans ce contexte qu'interviennent les négociations avec les compagnies low-cost. « Les discussions ont lieu en ce moment et tout le monde abat ses cartes plus ou moins légitimes, y compris en mettant la pression sur son propre personnel comme le fait Ryanair, » confirme Mathieu Berger, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine et membre du conseil de surveillance de l'aéroport. « Nous avons une confiance totale dans le directoire de l'aéroport pour mener ces discussions à bien en prenant en compte les équilibres économiques, la sécurité juridique et l'implication de l'aéroport dans son territoire », ajoute l'élu.

Les redevances dans le collimateur

Et c'est bien le montant des redevances facturées à Ryanair qui semble être dans le collimateur. « La redevance-passager au terminal Billi est inférieure d'environ un tiers à celle des terminaux classiques, 3,71 € contre 5,53 €. C'est possiblement autour de ce sujet que les discussions achoppent et vu le contexte et les risques de distorsion de concurrence, c'est logique que les deux parties ne s'expriment pas publiquement sur cette question », commente Alain Falque. Le consultant juge néanmoins « le risque réel de fermeture de la base relativement faible car Ryanair n'a pas vraiment d'alternative pertinente en France. » Malgré plusieurs sollicitations, l'aéroport de Bordeaux n'a pas souhaité s'exprimer sur ce dossier alors qu'un conseil de surveillance se tiendra ce jeudi 28 mars.

Mais faute d'accord d'ici la fin de l'été, le scénario n'est pas non plus totalement à exclure. Pour des problèmes de trafic et/ou de poursuites juridiques, la compagnie irlandaise a déjà fermé brutalement ses opérations à Marseille en 2011, à Montpellier en 2019 et aux Canaries début 2020 avant de faire volte-face aussi rapidement. Ryanair est revenue à Marseille quelques mois plus tard et aux Canaries au printemps 2023.

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Commentaires 9
à écrit le 04/04/2024 à 11:12
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Chiche!!!

à écrit le 04/04/2024 à 11:12
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Chiche!!!

à écrit le 02/04/2024 à 11:49
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Bon débarras Ryanair ! Les compagnies low cost sérieuses (easyJet, Volotea, Transavia) prendront le relais !

à écrit le 28/03/2024 à 15:15
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Air France etait detruit par l'Etat Français.Le premier n'a pas crée une compagnie aerienne low cost avant 15-20 ans, c'est trop tard dans nos jours.

à écrit le 28/03/2024 à 14:33
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Ryanair va gagner et l'aéroport de Bordeaux va céder , sinon il va perdre plus d'un million de passagers🤣 Ce petit aéroport n'est pas de taille face à O Leary 👎 Mais surtout Bordeaux excepté tout le monde s'en fout😂

le 28/03/2024 à 16:14
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Le transport aérien ,'est pas "open market"; mais régi par les autorités qui octroient (ou non...) des autorisations pour chaque ligne. Si Ryanair part, d'autres peuvent être preneurs. Volotéa voit grand.

à écrit le 28/03/2024 à 13:37
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Le magazine World's Travellers a procédé à une étude concernant la clientèle des compagnies aériennes low-cost. Selon celle-ci 75% des passagers jettent leurs déchets depuis leur automobile, 80% sont supporters d'une équipe de foot, 72% sont homopho...

à écrit le 28/03/2024 à 8:46
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Combien de chantage de la part de ces compagnies dites à bas coût faudra t'il encore endurer ??? La raison d'être de ces compagnies repose sur un combustible (le pétrole) le moins cher possible et évidemment non taxé (à l'opposé , regardez les taxes ...

à écrit le 28/03/2024 à 7:51
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Qu'ils se barrent, les multinationales font la pluie et le beau temps depuis le TINA de Reagan Thatcher et le résultat ? La moitié de la biodiversité mondiale anéantie et un humain qui meure de faim toutes les 4 secondes. Alors oui ça rapportera c'es...

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