D’année en année, la liste s’allonge : Camaïeu, San Marina, Kookaï, Pimkie, Gap… Impossible de toutes les citer tant les enseignes textiles de milieu de gamme en faillite sont nombreuses. Depuis plusieurs années, ce segment du prêt-à-porter fait face à des difficultés dont il peine à s’extirper. Comme pour d’autres secteurs, la conjoncture depuis 2020 – Covid et inflation – n’a pas aidé. Mais les professionnels restent unanimes : ces récents facteurs ont surtout porté un coup fatal à un écosystème déjà très fragilisé.

À commencer par la baisse de la demande : « Depuis 2008 et jusqu’à la crise sanitaire, le pouvoir d’achat progressait peu, de 0,4 % en moyenne par an, analyse Gildas Minvielle, économiste à l’Institut français de la mode (IFM). S’est ajouté à cela un nouveau contexte économique difficile après 2022. Or les arbitrages des consommateurs se font au détriment des achats de vêtements. » De telle sorte qu’entre 2019 et 2023, les ventes ont chuté de 5,6 %, estime l’IFM.

Un marché ultra-concurrentiel

Mais les raisons de la crise se trouvent surtout du côté de l’offre, de plus en plus concurrencée par l’arrivée de nouveaux acteurs et de nouvelles manières de consommer. « Le marché est devenu beaucoup plus violent, témoigne Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l’habillement. La France a attiré beaucoup d’enseignes, arrivées par vagues. »

Il y a d’abord eu la mode rapide à la fin des années 1990, avec des géants comme l’espagnol Zara et le suédois H & M. Suivie de la mode ultra-rapide, avec l’irlandais Primark au cours des années 2010 puis les plateformes chinoises Shein et Temu ces cinq dernières années. « Celles-ci ont rudement diminué les prix, proposant une offre low cost trois fois moins chère que le milieu de gamme. Le rapport qualité/prix de Camaïeu ne tenait plus comparé à celui de Kiabi ou Shein », complète Gildas Minvielle, qui estime que « ces petits prix expliquent aussi le succès de la seconde main ».

À la différence de ces nouveaux acteurs le plus souvent accessibles via Internet, les enseignes du milieu de gamme ont manqué la marche de la numérisation. « Vers 2015, lorsqu’il fallait mettre le paquet sur le numérique, ces marques ont continué d’ouvrir des magasins, explique l’économiste de l’IFM. Aujourd’hui, on assiste à la correction de ce marché hypertrophié, et dont les salariés paient le prix. »

Des sociétés fragilisées par leurs propriétaires

Outre les logiques du marché, les professionnels pointent du doigt la mauvaise santé financière de certains propriétaires d’enseignes. Aux premières loges de ces critiques : l’homme d’affaires Michel Ohayon qui, pour constituer son empire, a acheté plusieurs entreprises en difficulté comme Camaïeu, Gap et Go Sport pour un euro symbolique, promettant d’investir massivement et de sauvegarder l’emploi.

« On est en droit de se demander si les stratégies financières de ce millionnaire ont été vraiment au service de ces commerces… », interroge Pierre Talamon. « C’est un secteur qui nécessite de la stabilité, une vision stratégique pérenne et des investissements dans l’avenir. Or, c’était le cadet de ses soucis », dénonce Gildas Minvielle.

Votée en première lecture le 14 mars, la loi pour réguler la mode ultra-rapide, accusée de concurrence déloyale via des prix cassés et d’inciter à la surconsommation, pourrait jouer un rôle dans la survie de ces enseignes du milieu de gamme selon Gildas Minvielle, ou bien dans leur extinction. « Soit on les aide à s’en sortir en corrigeant cette fausse concurrence et en les aidant à s’améliorer, conclut l’économiste, soit on les condamne, elles et les emplois qu’elles créent en France. »

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42 % des Français ont réduit leurs achats d’habits en 2023

La fréquentation des magasins de prêt-à-porter a diminué de 3 % entre 2022 et 2023. Le chiffre confirme une tendance observée depuis la crise sanitaire : en quatre ans, ce serait près d’un client sur cinq qui aurait déserté les boutiques, selon l’Alliance du commerce.

Selon une enquête du Crédoc de juillet 2023 interrogeant les arbitrages de consommation des Français, 42 % des consommateurs disent qu’ils se sont imposé des restrictions dans leurs achats de vêtements en 2023. C’est le premier poste de « sacrifice » de dépenses, au même titre que les loisirs (42 %) et devant les vacances (40 %).

Le secteur de l’équipement de la personne est le premier employeur du commerce de détail spécialisé et rassemble près de 220 000 salariés, selon l’Alliance du commerce.