Pas d'enfant, ma bataille : ces jeunes qui veulent devenir stériles

Le nombre de vasectomies a été multiplié par 15 en douze ans en France. ©Getty - Westend61
Le nombre de vasectomies a été multiplié par 15 en douze ans en France. ©Getty - Westend61
Le nombre de vasectomies a été multiplié par 15 en douze ans en France. ©Getty - Westend61
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Alors que la natalité et la fécondité baissent en France, le nombre de vasectomies augmente. Plus largement, la stérilisation chez les jeunes qui ne veulent pas d'enfant est de moins en moins taboue. Une décision qui se heurte encore au regard de la société et à un corps médical parfois réticent.

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Mi- février 2024, l 'Assurance maladie et l'Agence nationale de sécurité du médicament ont publié une étude selon laquelle le nombre de vasectomies a été multiplié par 15 en douze ans en France. Depuis 2021, il dépasse le nombre de stérilisations féminines. Pour autant, si les vasectomies sont en forte hausse, elles partent de si bas que leur fréquence reste faible: environ 0,15% des hommes concernés - soit, selon l'étude, les adultes de moins de 70 ans - ont fait ce choix en 2022.

En France, la loi du 4 juillet 2001 autorise toute personne majeure à se faire stériliser. Il faut juste respecter un délai de réflexion obligatoire de quatre mois. À 29 ans, Laurie, fonctionnaire de l'Éducation nationale dans la région de Lille, a donc décidé de sauter le pas. Elle s'est faite opérée il y a quelques mois : "Le jour de l'intervention, ça a été très stressant. Une chirurgie, ce n'est quand même pas anodin. Je me disais : 'je vais pas me réveiller, qu'est-ce que je fais ? Pourquoi je fais ça ?' Et en fait ça ne change rien parce que j'étais tellement sûre et je le savais tellement que ça n'a rien changé à ma vie. "

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À 32 ans, Romain vient de se faire opérer. Professeur à Grenoble, sa vasectomie est une opération simple et rapide, mais surtout le fruit d'une longue réflexion. "C'est une opération en ambulatoire. Ça tire un peu, mais ce n'est pas douloureux du tout. J'avoue que psychologiquement ça ne me fait pas grand chose". Romain n'a jamais ressenti le désir d'avoir un enfant, mais s'est réellement posé la question il y a quelques années. "J'ai répondu non à la question. D'abord la crise environnementale :  un gamin qui naît dans les années 2020, il est adulte en 2050, donc le moment où le GIEC nous dit ça va partir en couille. J'aime beaucoup trop ce potentiel enfant pour le faire. Deuxièmement, je ne pense pas que je serai un bon père. La paternité ne fait pas envie non plus, je n'ai pas un besoin de transmission génétique. Et puis aussi par mon métier. Je suis en contact avec des enfants, des ados toute la semaine, donc l'idée de me taper une deuxième journée avec mes propres gosses, non merci." Pour lui, le cap de la vasectomie vient ensuite de la volonté de prendre en charge sa contraception.

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Pour tous les deux, leur absence de désir d'enfant date de l'adolescence. "Je savais depuis très jeune explique Laurie, depuis que j'étais adolescente, que je n'aurais pas d'enfants, ou du moins je n'enfanterai pas. Tomber enceinte était d'ailleurs une peur. Et puis en grandissant il y a eu d'autres dimensions dans cette réflexion puisque comme je travaille dans l'éducation nationale, j'ai vu des enfants. J'ai vu aussi l'aide sociale à l'enfance, le manque de soins en pédopsychiatrie en pédopsychologie, la prise en charge des enfants. J'ai vu tellement d'enfants souffrir des problèmes de leurs parents qu'ils n'avaient pas réglés avant de les avoir. Je me dis c'est c'est parfois irresponsable".

Un parcours médical parfois laborieux, surtout pour les femmes

Aujourd'hui encore, il n'est pas rare de se retrouver face à des médecins réticents à pratiquer des stérilisations chez les jeunes sans enfant. C'est particulièrement vrai pour les jeunes femmes nullipares, c'est à dire qui n'en n'ont jamais eu . Leur parcours de stérilisation est souvent plus laborieux que celui des hommes. Camille et Antoine habitent à Poitiers, ils sont en couple et avaient chacun entamé une procédure de stérilisation avant de se connaître. Mais Camille rencontre davantage de difficultés à se faire opérer. "J'ai commencé les démarches avant Antoine, mais il sera stérile avant moi! J'ai tellement été habituée à ce que on me renvoie des choses que j'ai cherché les contre-arguments pour tout ce qu'on pouvait m'opposer. En fait, j'ai l'impression que mon mon discours, j'étais obligée de l'argumenter, de le nourrir". Son chirurgien lui a en effet imposé un délai de réflexion d'un an, ce qui est illégal. Antoine abonde : "Mes démarches pour une vasectomie, c'est vraiment bien vu. J'ai des encouragements. Comme on a l'habitude que ce soit les femmes qui endossent la charge contraceptive, c'est normal que je fasse cette démarche là."

Le chirurgien a le droit de refuser de pratiquer une stérilisation chez une personne en bonne santé mais il a l'obligation de la rediriger vers un confrère, une consœur qui sera d'accord pour le faire. Mais il n'y en a pas toujours dans la même région. Souvent, les jeunes femmes se communiquent donc les noms de médecins d'accord pour pratiquer une ligature des trompes chez les jeunes nullipares. Le docteur Anne Thoury, gynécologue chirurgienne à la clinique internationale du Parc Monceau à Paris, en fait partie. "J'ai eu des conflits avec mes collègues qui me disaient que je faisais n'importe quoi, qui voulaient absolument revoir mes dossiers. Ils voulaient faire un un comité d'éthique, donc je leur ai renvoyé la loi pour leur demander, qui va être dans ce comité d'éthique pour me dire que ce que je fais c'est bien ou c'est pas bien puisqu'il y a une loi qui statue sur ce sujet ?" La chirurgienne poursuit : "Moi, j'essaie de d'écouter ce qu'elles ont à me dire et de répondre à leur désarroi en fait, puisque souvent il y a une souffrance derrière, il y a un désarroi, il y a une incompréhension, pourquoi leur volonté n'est pas respectée ?"

Il n'existe aucun chiffre sur d'éventuels regrets

L'argument du regret est souvent brandi par les médecins qui refusent de faire ces stérilisations. Or il n'existe aucun chiffre sur les éventuels regrets après des stérilisations. Mais les réticences persistent. Le docteur Richard Sarfati, gynécologue obstétricien au CHU de Poitiers, accepte de stériliser certaines femmes nullipares, et sous conditions. "Si j'ai une patiente qui a, disons, 40 ans qui est nullipare, ça ne me gêne absolument pas de faire une stérilisation. Elle a montré dans tout son parcours qu'elle ne veut pas d'enfant. Donc ça c'est relativement facile pour moi. Chez les femmes beaucoup plus jeunes, c'est déjà un peu plus difficile. J'en ai reçu quelques-unes qui avaient 18, 20 ans, qui voulaient une stérilisation. J'ai refusé, même si la loi l'autorise. On ne sait jamais ce que l'avenir va leur dire."

Pour autant, le chirurgien admet n'avoir jamais vu de regrets de la part de femmes nullipares, et être en pleine réflexion sur ces questions. "J'ai baissé un petit peu mes exigences concernant la stérilisation, j'ai encore un cap difficile à passer, 18, 25 ans et j'ai encore du mal. C'est toujours un jugement de la part du médecin vis-à-vis du corps de la femme. Je suis médecin, je sais mieux que toi, je sais ce que ton corps a besoin et ça me met mal à l'aise. Peut être que dans 4-5 ans je serai un petit peu plus souple et j'espère évoluer dans le sens des femmes."

Prendre la décision de devenir stérile implique forcément une réflexion poussée. Si bien que les jeunes qui font ce choix font partie de ceux qui ont le plus réfléchi à la question de la parentalité ! Et qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas là de personnes qui haïssent les enfants. Laurie, Antoine et Camille n'excluent pas, un jour, de participer à l'éducation de l'un d'eux, à travers un lieu de vie avec des enfants ou en étant famille d'accueil.

"L'intime est politique"

Refuser de procréer questionne aussi le modèle de la famille nucléaire, c'est à dire la famille construite autour du couple entre deux adultes. Bettina Zourli est autrice du livre Le temps du choix, aux éditions Payot, elle est aussi derrière le compte Instagram @jeneveuxpasdenfant. "Mon objectif, c'est d'essayer de de mettre fin à cette scission entre d'un côté les gens qui ne veulent pas d'enfants et de l'autre les futurs parents. En réalité, il y a énormément d'exemples qui montrent qu'on peut ne pas vouloir d'enfant, mais savoir s'en occuper. Je trouve très important d'ouvrir son imaginaire à des manières de faire famille autrement. Et donc nous les "Child Free", on permet de faire fonctionner cette créativité. La famille nucléaire autour du couple est très récente à l'échelle de l'humanité."

Bettina Zourli est l'autrice du livre "Le temps du choix" aux éditions Payot.
Bettina Zourli est l'autrice du livre "Le temps du choix" aux éditions Payot.
© Radio France - Laura Dulieu

En France, la natalité baisse. Elle a diminué de près de 7% en 2023, et la fécondité n'a jamais été aussi basse depuis la Seconde Guerre mondiale. De quoi faire réagir fin janvier au plus haut sommet de l'Etat : Emmanuel Macron parlait fin janvier de "réarmement démographique".

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Selon Bettina Zourli, cette déclaration présidentielle s'inscrit dans "un besoin d'instrumentaliser la natalité. "Ce genre de discours orienté militaire montre bien que dans l'idée d'Emmanuel Macron, le fait de faire des enfants doit servir un projet national. C'est un discours productiviste de réindustrialisation. Cela me pose problème parce qu'au regard de la crise climatique, on n'a pas du tout besoin de plus de productivité, on n'a pas du tout besoin d'aller toujours vers plus de croissance, on a besoin de décroissance, on a besoin de sobriété."

L'autrice conclut en rappelant ce slogan féministe des années 1970 : "Un enfant si je veux, quand je veux". "Cinquante ans plus tard, est-on bien sûr de pouvoir avoir un enfant si on veut et quand on le veut ? La réponse est toujours non. Donc je pense qu'il y a encore ce besoin de réaffirmer que l'intime est politique, parce que dès lors qu'il y a des rapports de domination et de la violence, il faut le politiser. Même si je pense qu'on est sur la bonne voie, il y a des discours qui s'ouvrent et qui sont de plus en plus entendus. Mais ce n'est pas encore un acquis formel, ça c'est sûr."

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