D’entrée, on est dans le vif du sujet. « Bonjour, je suis Damien. Je suis la victime qui a tenté d’arrêter Chérif Chekatt lors de sa course meurtrière ». C’est un grand jeune homme, pas loin de 2 mètres, qui vient d’arriver en boitant à la barre, ce mercredi 13 mars. Une chemise blanche, des lunettes, une barbe et des cheveux longs.

Un récit attendu

Sa voix, au départ, est inaudible. Alors, il finit par s’asseoir pour mieux parler dans le micro. « L’émotion est intense, excusez-moi », murmure-t-il avant de poursuivre un récit que tout le monde attend à la cour d’assises spéciale de Paris.

Car l’histoire de ce grand jeune homme au regard doux, c’est celui d’un garçon qui, ce 11 décembre 2018 à Strasbourg, sans être militaire, ni policier, a eu l’incroyable courage, avec un de ses amis, de tenter de désarmer le terroriste du marché de Noël.

Alors, en début d’après-midi, toute l’assistance est suspendue à sa parole. Mais très vite, on comprend que ce témoin pas comme les autres n’est pas venu jouer les fiers-à-bras, ni les bateleurs de prétoire. Ce qui frappe, c’est la réserve pudique avec laquelle s’exprime Damien, visiblement peu désireux d’endosser ce costume de « héros » sans doute un peu trop lourd à porter.

« J’étais médusé »

Cette soirée du 11 décembre, c’était d’abord un immense moment de « joie » pour ce musicien alors âgé de 28 ans. « Je venais de quitter mon travail avec, en poche, une avance de 100 €. Cela allait permettre de payer un billet de bus à ma compagne, Rosa, pour qu’elle rencontre ma famille », raconte Damien qui, ce soir-là avec son groupe, doit jouer dans un bar de la ville. « Ensemble, on rêvait un peu. On tirait des plans sur la comète. On pensait à ce qu’on pourrait faire l’année suivante pour se professionnaliser en tant que musiciens ».

Un peu avant 20 heures, Damien est avec deux amis, Tom et Jérémy, quand ils voient arriver des gens qui courent, paniqués. « Je me souviens notamment d’une petite fille qui était à bout de souffle et qui n’avait qu’une seule envie : s’arrêter. Mais son père lui disait : continue, continue, continue. Je les ai suivis du regard. J’étais médusé ».

Le petit groupe décide de se réfugier dans un bar. Mais c’est trop tard. Le terroriste arrive et tire une balle à l’arrière du crâne de Jérémy. « Je me retrouve alors projeté au sol sans que je puisse expliquer pourquoi. C’est la première fois que j’entends des coups de feu. Je suis apeuré, tétanisé. Je reste figé sur le sol », raconte Damien.

À cet instant, il n’a pas encore compris que c’est Jérémy qui vient d’être visé par Chérif Chekatt.« J’ai entendu un cri, un hurlement que j’entends encore aujourd’hui quand il m’arrive de rêver ou de ressasser le passé ». En entendant ce cri, Damien décide d’agir. « Je comprends qu’il faut que je me lève et que je combatte pour survivre. À cause de la chute, j’ai perdu mes lunettes et je ne vois alors pratiquement rien. Mais, j’y vais ».

Une lutte au corps-à-corps

Damien se jette alors sur le terroriste, parvient à le désarmer de son revolver et les deux hommes luttent au corps-à-corps. « Mais je n’ai pas conscience qu’il a un couteau et il m’en assène une dizaine de coups, dans le dos. Le dernier touche la moelle épinière et je m’effondre sur le sol ».

Pendant que les deux hommes se battent, Tom tente d’intervenir. « Avec son couteau, il essayait de le planter. Alors, je me suis mis derrière lui pour essayer de lui prendre son couteau. Je n’ai pas réussi », a expliqué Tom la veille, dans un témoignage aussi sobre que celui de Damien aujourd’hui.

La cour d’assises n’en saura pas plus sur cette bagarre qui a opposé les deux musiciens au terroriste. Sur ces quelques secondes de pure bravoure. « Vous avez quand même fait, avec vos amis, quelque chose que n’auraient pas fait tous les citoyens », a lancé la veille l’avocat général à Tom.

Juste après s’être battu avec les deux hommes, Chérif Chekatt échangera des coups de feu avec des militaires de l’opération Sentinelle. Puis, il prendra la fuite en laissant derrière lui Jérémy et Damien au sol. Très grièvement blessé, ce dernier ne pense plus qu’à une chose : tenir pour « continuer ma vie avec Rosa ». Un pompier, qui n’est pas de service ce soir-là, arrive très vite à ses côtés. « Il est resté présent tout le temps. Il me disait : tiens bon, tiens bon ».

De lourdes séquelles

Après l’arrivée des secours, Jérémy est placé en coma artificiel et opéré avec succès. Pour sa part, Damien reste hospitalisé dix jours, « entubé de partout ». Avec une énorme envie de « manger une pizza » le soir de la Saint Sylvestre. Mais à cause du coup de couteau à la moelle épinière, le jeune homme est alors incapable de marcher.

C’est en fauteuil roulant que, le soir du Nouvel an, il va au restaurant. « Mais il n’était pas fait pour les personnes à mobilité réduite. On a été obligé de me lever pour y entrer. Cette confrontation avec mon nouveau handicap a été atroce. Le soir, j’en ai vomi la pizza que je voulais tellement manger ».

Damien a gardé de lourdes séquelles physiques de l’attentat. Mais il a déjoué les pronostics des médecins qui craignaient qu’il ne puisse jamais remarcher. À la barre, il parle de sa femme, Rosana, présente à d’audience. Et dans ses mots, on comprend que leur amour a été un précieux ciment dans l’épreuve. Malgré le traumatisme qui fait désormais partie de leur vie : « Chaque fois que je sors avec des amis, je suis obligé de lui envoyer des messages. Pour la rassurer. Je lui dis : tout va bien, je rentre »