Gilles Kepel : les Jeux olympiques, "le moment rêvé pour tous les ennemis de la France et de l'Occident"

Gilles Kepel ©AFP - Ludovic Marin
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Le politologue Gilles Kepel, spécialiste de l’Islam et du monde arabe, est l'invité du Grand Entretien. Il est l'auteur de "Holocaustes. Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident" chez Plon.

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"Ça fait apparaître un fort défaut dans la cuirasse russe", estime Gilles Kepel lorsqu'on évoque l'attentat de Moscou, qui a fait près de 140 morts ce week-end. "Quand les services russes sont surtout occupés à persécuter les gens qui mettent des fleurs sur le tombeau de Navalny, et à s'occuper de l'Ukraine, ils ne peuvent pas prendre ça [la menace terroriste] en compte."

"La Russie ne s'attendait pas à cette attaque"

Le politologue rappelle que l'État islamique n'est "pas comme Hamas", "une organisation structurée, constituée, un mouvement de masse, avec des réseaux" : "Là, ce sont des mouvements assez nébuleux, dans lequel le niveau d'intervention des services de renseignements est quelque chose qu'on ne saura jamais. Ce qui est intéressant, c'est que la Russie se fait le porte-parole du Sud global, ce qui me semble une aberration, et tout à coup elle prend dans la figure quelque chose qui vient du Sud global. Elle ne s'attendait pas à cette attaque."

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Il se méfie également de l'arrestation rapide de quatre personnes présentées comme les auteurs de l'attentat. "C'est vrai que ça semble un peu téléphoné. De là à dire que l'attentat a été monté par les Russes, les effets délétères sur l'image de la Russie à l’internationale l'emportent sur les effets intérieurs."

La menace est-elle plus forte aussi en France, où la vigilance a été augmentée à son maximum ce week-end. "Ce n'est pas vraiment la question russe, mais le fait que dans la perspective des Jeux olympiques, tous les services de renseignements français sont sur les dents, font des exercices, il va y avoir une masse de touristes étrangers et c'est le moment rêvé pour tous les ennemis de la France, de l'Occident, pour commettre des attentats. C'est une manière de dire à nos concitoyens que ce n'est pas une invention, et qu'il faut se préparer [à des attentats]."

"Redéfinition complète des fondements moraux de l'organisation du monde"

Dans son dernier livre, Gilles Kepel revient sur le massacre du 7 octobre et la riposte meurtrière d'Israël depuis. "L'attentat du 7 octobre et ses conséquences ont des répercussions mondiales, qui dépassent Israël et Palestine. Ça s'est traduit par un bouleversement au Moyen-Orient. D'une certaine manière, ce qui s'est passé à Moscou en est l'onde de choc."

"Aujourd'hui, on a une espèce de redéfinition complète des fondements moraux de l'organisation du monde", analyse le politologue. "L'Holocauste récupéré par l'Afrique du Sud, sur le terme de génocide que je n'ai pas employé à dessein pour ne pas ajouter à la confusion, en disant qu'au fond, le peuple génocidé, sur lequel l'ONU avait construit l'État d'Israël, était devenu le peuple génocidaire, et qu'en vérité, l'ordre mondial c'est la lutte contre le colonialisme, contre l'apartheid, et qu'il faut restructurer le système mondial. Tout ça est une volonté de réécrire le système du monde en se réappropriant la notion de l'Holocauste comme le symbole du mal absolu. C'est ça que j'essaie de montrer."

"Les deux mobilisations puisent dans des registres religieux et politiques"

"Il y a deux flux qui se sont manifestés : d'abord l'horreur du 7 octobre, dont on a pas complètement pris la mesure parce que les enquêtes sont en cours", rappelle Gilles Kepel. "Et il faut bien noter que, à part en Israël ou pour les Juifs à travers le monde, la mémoire du 7 octobre a été largement occultée par l'ampleur de l'hécatombe qui s'est produite ensuite à Gaza. Dans les deux cas, il y a un usage de l'exécution, de la mort des autres, qui est d'une certaine façon totalement irrationnelle politiquement, et qui se réfère aussi à des impératifs religieux exacerbés."

Il assume de comparer "le sionisme religieux et les frères musulmans", "cette comparaison a été faite depuis longtemps". "Quand vous pensez aux attaques du 7 octobre, il y a toutes sortes de dimensions : une dimension nationaliste, les gens disant 'on est chez nous, c'est notre territoire', mais aussi une référence aux textes sacrés. De l'autre côté, la façon dont M. Netanyahou se réfère à l'Amalek, donc l'ennemi des Juifs qu'il faut détruire, quand des ministres en appellent à la disparition des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, pour la transformer en Judée-Samarie biblique, vous avez un mélange des registres religieux et politiques qui est du même ordre. Les deux mobilisations puisent dans le même type de registres."

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