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Hanna Sewell regarde au loin.

Les jeunes Autochtones se mobilisent pour sauver des vies

Devant les vagues de suicides qui accablent les Premières Nations de l’Ontario, de jeunes Autochtones s'engagent dans diverses actions pour renverser la tendance.

Selon les dernières statistiques, les jeunes Autochtones sont six fois plus susceptibles de mourir d'un suicide. Pour contrer ce phénomène qui touche de plein fouet les communautés de l’Ontario, plusieurs refusent une quelconque fatalité en se mobilisant pour aider les plus vulnérables.

Les yeux en larmes, Pierre Debassige a roulé plus de six heures en voiture de l’île Manitoulin jusqu’à Toronto afin de participer cette semaine à la Conférence sur le bien-être des Premières Nations. Encore ébranlé par la mort soudaine d’une femme originaire de sa communauté anashinabe, le jeune homme dans la vingtaine membre de la Première Nation M’Chigeeng venait d’assister avant son départ à l’enterrement.

J’y ai pensé pendant tout le trajet. Tout le monde la connaissait. Quand un drame comme celui-ci arrive, on se demande toujours ce qui a cloché. Qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour éviter une telle tragédie. On se sent vraiment démuni, raconte-t-il amer.

Il ne souhaite toutefois pas s’étendre sur les raisons du décès. Il rappelle qu’au moins 599 disparitions par suicide ont été signalées dans 30 Premières Nations du Nord-Ouest de l’Ontario entre 1986 et juin 2023. Et les chiffres ne cessent d’augmenter depuis, dit-il en entrevue.

Pierre Debassige, les mains dans les poches portant un chapeau sur la tête.

Pierre Debassige est membre de la Première Nation M’Chigeeng.

Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine

Les statistiques lui donnent malheureusement raison. Un rapport du Sénat publié en juin 2023 confirmait que les Autochtones (Premières Nations, Métis et Inuit) sont confrontés à des taux de suicide de 6 à 25 fois supérieurs aux taux nationaux, en fonction de la région et des données démographiques.

Le jeune homme précise que les crises sociales qui frappent de nombreuses communautés autochtones de la province, notamment la dépendance aux drogues, la pauvreté, l'isolement et la violence domestique, augmentent les problèmes de santé mentale chez les enfants et les jeunes.

Il faut savoir que beaucoup de nos problèmes sont systémiques, ils viennent de générations de traumatismes. Nous n’avons jamais vraiment choisi. Ce qui nous arrive nous est imposé, dit-il.

Il le voit dans sa propre communauté, confrontée à des défis énormes. Près de 80 % des gens de la Première Nation M’Chigeeng sont sans emploi et au moins la moitié de la population a des problèmes de dépendance aux opioïdes.

Les jeunes vivent des situations particulières. Pour aller étudier, ils doivent quitter la réserve. Ils perdent le lien avec leur famille et leurs amis. La culture et le sens de la communauté sont brisés. Ils sont en proie à la dépression et leur santé mentale décline.

J'ai assisté à plus d'enterrements que de mariages dans ma vie. Et je n'ai que 23 ans.

Une citation de Pierre Debassige, membre de la Première Nation M’Chigeeng
Des voitures sont stationnées derrière une pancarte routière.

La Première Nation M’Chigeeng est située sur l’île Manitoulin.

Photo : Wikipédia

Il raconte aussi que dans les communautés éloignées, les gens n’ont souvent pas accès à temps plein à un thérapeute ou à un travailleur en santé mentale. Ce qui révolte Pierre Debassige, c’est le manque de soins complets en matière de santé mentale et de bien-être. Le manque de ressources est un véritable problème, lâche-t-il.

Quand les jeunes vont mal, ils n’ont personne à qui parler. L’absence de professionnels est souvent due au manque de financement. Si on avait un peu plus d’argent, on pourrait répondre à de nombreux obstacles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Besoin d'aide pour vous ou pour un proche?

  • Ligne d'écoute d'espoir pour le mieux-être : 1 855 242-3310 ou en utilisant le service de clavardage à espoirpourlemieuxetre.ca (Nouvelle fenêtre), 24 heures sur 24, sept jours sur sept (anglais, français et inuktitut sur demande)
  • Jeunesse, j'écoute (24/7) : 1 800 668-6868 (anglais et français)
  • Si vous êtes en détresse, si l'un de vos proches vous inquiète ou si vous êtes en deuil à la suite d'un suicide dans votre entourage, composez le 1 866 APPELLE. Ce service panquébécois est offert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et il est gratuit. Il est aussi possible d’utiliser la plateforme d’intervention par clavardage en visitant le site suicide.ca (Nouvelle fenêtre)
  • Ligne d'aide en cas de crise de suicide : 9-8-8 (par messagerie texte ou par téléphone) 24 heures sur 24, sept jours sur sept)
  • Ligne d'écoute Kamatsiaqtut : 1 800 265-3333 (inuktitut et anglais)
  • Pour un répertoire des ressources par région, vous pouvez consulter cette page (Nouvelle fenêtre) de l'Association canadienne pour la prévention du suicide

Il reste que le grand gaillard de six pieds qui arbore toujours fièrement son chapeau a décidé de s’investir personnellement contre le suicide chez les jeunes Autochtones. Il fait aujourd’hui partie du Conseil des jeunes des Premières Nations de l’Ontario avec la priorité d’aider les plus vulnérables. Je veux que nos peuples s’en sortent. Je veux faire ma part, répète-t-il.

Il observe qu’il n’est pas le seul présent à la Conférence sur le bien-être des Premières Nations qui a réuni des centaines de participants autochtones afin de trouver des solutions communes aux crises sociales que traversent les communautés de l’Ontario. Des filles et des garçons de son âge en provenance des quatre coins de la province ont également fait le voyage en grand nombre.

Regardez comme on est nombreux, lance-t-il fièrement. Les jeunes veulent aussi apprendre et partager auprès des adultes, chefs, aînés ou membre des conseils de bande. Nous aussi, nous avons notre propre vision pour des conditions de vie meilleures dans les communautés.

C’est le cas de Hanna Sewell, une infirmière impliquée auprès des jeunes sur la scène politique depuis l’adolescence. La femme ojibwée de 21 ans, membre de la Première Nation de Batchewana, près de Sault-Sainte-Marie, croit qu’il est devenu nécessaire que les jeunes s’affirment auprès des assemblés ou des rassemblements des Premières Nations.

Nous avons notre mot à dire pour faire entendre nos besoins aussi bien auprès des acteurs sociaux, mais aussi auprès de nos leaders. La qualité de vie et la prévention du suicide nous préoccupent énormément. En tant qu’infirmière, je prends en considération aussi bien la santé physique que mentale de mes jeunes patients.

Une personne regarde au loin.

Hanna Sewell est une ojibwée de 21ans, membre de la Première Nation de Batchewana.

Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine

Hanna Sewell porte une attention particulière à la préservation de la culture et du lien au territoire. La Première Nation de Batchewana ne fait pas exception : elle est confrontée aux mêmes défis sociaux que les autres communautés de l’Ontario, souligne-t-elle. Les traumatismes intergénérationnels affectent les jeunes d’une manière durable. En se réappropriant ses racines traditionnelles, on est plus fort et plus armé pour affronter les tempêtes, suggère-t-elle.

Le suicide a des conséquences horribles sur nos communautés à bien des égards. Ce phénomène est insupportable parce que, pour beaucoup de jeunes, c’est aliénant de vivre dans un monde occidental où personne ne vous comprend.

Une citation de Hanna Sewell, membre de la Première Nation de Batchewana

Elle aussi dénonce le manque de soutien financier des différents ordres de gouvernement. Les forces vives sont là dans les communautés, néanmoins les ressources ne suivent pas, regrette-t-elle. Il y a des programmes de financement de prévention contre le suicide qui existent, mais rien n’est jamais pérenne ou constant. Les autorités peuvent couper quand elles le veulent et quand ça arrive, on se retrouve sans moyens pour aider les gens.

Pour l’infirmière, le fait que les communautés autochtones de l’Ontario soient en grande majorité isolée permet d’invisibiliser les besoins des Premières Nations. On est loin des grandes villes et des préoccupations d’une grande majorité de Canadiens. Nos problèmes sont les nôtres, alors qu’ils devraient concerner l’ensemble de la population de ce pays.

Elle ajoute toutefois que les communautés font de grands efforts pour protéger la jeunesse, malgré l’insuffisance des fonds. Ces dernières années, les organisations regroupant de jeunes Autochtones se sont multipliées un peu partout chez les Premières Nations de l’Ontario, se réjouit-elle.

Je constate un réel mouvement et c’est très encourageant, parce que je pense sincèrement qu’on peut changer les choses si on est assez nombreux pour se rassembler. Les jeunes sont là, il suffit de les écouter et de les convaincre à s’engager pour les bonnes causes.

Un appel entendu par Makayla Mcwatch, originaire de la communauté autochtone de Pic Mobert (Netmizaaggamig Nishnaabeg), à 350 kilomètres au nord-ouest de Sault-Sainte-Marie. Je suis arrivé à la conférence sur le bien-être des Premières Nations accompagnée de plusieurs autres jeunes de mon âge. Ensemble, on veut trouver des solutions afin de permettre à notre communauté de faire face à ces problèmes graves.

Elle relate que son frère de 17 ans a récemment traversé des moments critiques, et qu'elle craignait qu’il mette fin à ses jours. J’ai souffert de le voir dans cet état-là. Je viens d’une communauté incroyablement résiliente et ça me rend triste de voir que des jeunes comme moi ne voient plus aucun futur devant eux, affirme l’ojibwée de 19 ans.

Le visage d'une personne.

Makayla Mcwatch est membre de la Première Nation de Pic Mobert.

Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine

L’impact des médias sociaux

À seulement 20 ans, Eagle Blackbird, de la Première Nation de l'île Walpole (Bkejwanong), à la frontière entre l'Ontario et le Michigan, est devenu célèbre grâce à l’utilisation des réseaux sociaux comme TikTok. Avec Facebook et Instragram, il cumule plus d’un million d’abonnés, des jeunes, autochtones ou pas, friands de ses prestations sur Internet.

Je réalise des vidéos sur le quotidien et l'humour autochtone. J’en fais aussi pour faire de la sensibilisation auprès des jeunes issus des Premières Nations. Les jeunes sont très connectés. Ils ont tous un compte sur un réseau social, c’est donc une manière de les atteindre sans filtre pour leur parler directement., déclare-t-il.

Durant la pandémie, il s’est par exemple impliqué personnellement pour les encourager à aller se vacciner. Il n’hésite pas non plus à publier des vidéos sur des sujets plus graves comme la prévention au suicide. Sa communauté a récemment été touchée par une vague de décès sans précédent.

Je veux essayer de faire tout ce que je peux pour aider ces jeunes, leur éviter le suicide. J'aimerais aider le plus grand nombre de personnes possible avec les outils que je maîtrise.

La réalité, c’est qu’il y a des jeunes très isolés. Il suffit parfois de dire "bonjour" et de maintenir une conversation pour mettre de la lumière dans la vie d’une personne.

Une citation de Eagle Blackbird, membre de la Première Nation de l'île Walpole
Eagle Blackbird portant un chapeau pose pour la caméra.

Eagle Blackbird de la Première Nation de l'île Walpole

Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine

Même s’il a conscience que le travail social sur le terrain demeure primordial et nécessaire dans les communautés, Eagle Blackbird voit sa participation comme un plus. Le suicide est un phénomène multifactoriel. Bien des jeunes Autochtones consomment des drogues ou de l'alcool. C’est donc majeur de trouver tous les moyens possibles pour aborder des enjeux comme la santé mentale ou les dépendances.

L’art pour compenser l’éloignement

Shoshanna Fox est une artiste oji-crie de la Première Nation Bearskin Lake, non loin du Manitoba. Elle œuvre pour le Centre Kwayaciiwin, une ressource éducative destinée aux élèves autochtones de la région de Sioux Lookout. Les gens qui grandissent dans ma communauté possèdent un lien important avec le territoire. Mais la surpopulation ou les conditions économiques difficiles obligent souvent les jeunes à quitter leur chez eux très tôt.

C’est ce qu’elle a d’ailleurs vécu. Elle raconte que c’est à travers l’art qu’elle a pu trouver un moyen de rester connectée avec ses racines, malgré la distance qui la séparait des siens. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé dessiner et peindre, indique-t-elle. Ça m’a probablement permis de tenir et de devenir aujourd’hui une artiste.

Le visage d'une personne.

Shoshanna Fox est membre de la Première Nation Bearskin Lake.

Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine

La femme de 23 ans, mère d’un jeune garçon, tente de partager cet amour de l’art avec les jeunes en situation de vulnérabilité pour les aider à ne pas tomber dans la dépression ou les dépendances. Elle indique que dans les territoires traditionnels, il y a mille et une façons de garder des contacts avec les savoirs ancestraux.

On est entourés par les adultes et les aînés qui nous enseignent nos histoires. Cependant, la réalité peut être beaucoup plus sombre pour celles et ceux qui vivent hors communauté.

Alors, un coup de pinceau ou des traits de crayon sur une page blanche peuvent véritablement avoir l’effet de refaire vivre la communauté, croit-elle. Oui, j’en ai la conviction. L’art est un antidote au mal-être. Si ça a fonctionné pour moi, je suis certaine que cela peut fonctionner pour d’autres jeunes, conclut-elle.

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