L'histoire de la défense des droits des femmes dans le monde depuis 1945 commence seulement à s'écrire1. Pour bien comprendre les épisodes et les changements qui ont marqué la défense des droits des femmes, il faut revenir à l'époque de la Société des Nations à laquelle ont succédé les Nations Unies. Il faut aussi examiner de manière plus approfondie le rôle important dans la promotion des droits des femmes sur la scène internationale de ce qu'on appelle souvent aujourd'hui « les organisations féminines traditionnelles », au moins avant 1975.

En 1975, consacrée Année internationale de la femme, trois organisations féminines internationales sur un total de 24 organisations internationales non gouvernementales (ONG) bénéficiant du statut consultatif étaient dotées du « statut consultatif, catégorie 1 » auprès des Nations Unies : le Conseil international des femmes (CIF), l'Alliance internationale des femmes (AIF) et la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF). Ce très bref aperçu de l'histoire des droits des femmes de 1945 à 2009 permettra de comprendre pourquoi ces trois organisations féminines ont bénéficié de ce statut.

LES ORGANISATIONS FÉMININES DANS LA SOCIÉTÉ DES NATIONS

Les organisations féminines internationales du temps de la Société des Nations, dont le CIF, créé en 1888, et l'AIF, créée en 19042, ont accompli deux choses qui seront cruciales dans la lutte pour l'égalité des femmes. La première a été de reconnaítre que la condition de la femme devait être traitée au niveau international. La deuxième a été la création en 1937 du Comité d'experts de la Société des Nations sur le statut juridique des femmes qui a jeté les fondements de la Commission de la condition de la femme (CCF)3.

Le Comité d'experts était composé de trois hommes et de quatre femmes, dont la Suédoise Kersten Hesselgren, la Française Suzanne Basti-Basdevant, qui, toutes les deux, travaillaient au Conseil international des femmes, ainsi que la juge américaine Dorothy Kenyon, qui sera membre de la Commission de la condition de la femme de 1946 à 1950 et à la tête de l'Alliance internationale des femmes de 1946 à 19524.

LA PÉRIODE ALLANT DE 1945 À 1975

Un nombre limité de féministes venant de différents pays et d'horizons très divers ont participé à la création de la conférence de l'ONU en 1945 en tant que membres de leur délégation nationale. Poursuivant le travail entrepris à la Société des Nations, tout en s'appuyant sur les expériences récentes des femmes pendant la guerre et la résistance ainsi que sur la conviction que les femmes devaient contribuer à créer un monde plus pacifique, elles ont œuvré pour que les droits des femmes soient reconnus au titre de l'engagement plus vaste de l'ONU en matière de droits de l'homme. Bertha Lutz, Vice-présidente de l'AIF de 1952 à 1958, Minerva Bernadino, Vice-présidente du CIF de 1947 à 1957, Amelia Caballlero de Castillo Ledón, Isabel Sanchez de Urdaneta, Isabel P. de Vidal et Jessie Street ont œuvré à l'inclusion de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes dans le Préambule de la Charte des Nations Unies ainsi qu'à la création d'une Sous-Commission de la condition de la femme5.

Pendant une session inaugurale de l'Assemblée générale de l'ONU au début de 1946, Eleanor Roosevelt a lu une « Lettre ouverte aux femmes du monde » décrite comme la « première expression de la voix des femmes à l'ONU et une mise en avant du rôle des femmes dans la nouvelle arène de la politique et de la coopération internationales6 ». La lettre avait été rédigée à l'initiative de Hélène Lefaucheux, membre de la délégation française, qui fut ensuite Présidente de la Commission de la condition de la femme de 1948 à 1952, Présidente du Conseil national des femmes françaises et Présidente du CIF de 1957 à 1963. Elle a été précédée à la Commission par Bodil Begtrup, Présidente du Conseil national des femmes danoises et membre du conseil de l'AIF de 1946 à 1949.

En décembre 1948, l'ONU a adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme. C'est grâce aux femmes comme Minerva Benardino qui ont participé à l'élaboration de la Déclaration que l'article premier stipule : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » au lieu de « Tous les hommes.7 ». Begum Anwar G. Ahmed, Présidente de la CCF dans les années 1950, fut membre du conseil de l'AIF, ainsi que Vice-présidente et Présidente de 1955 à 1970. La longue liste des femmes membres du CIF et de l'AIF qui ont participé aux travaux de l'ONU comprend Helvi Sipilä qui, en 1972, a été la première femme à occuper le poste de Secrétaire générale adjointe et qui, au moment de sa nomination, était Vice-présidente du CIF ainsi que Présidente du Conseil national des femmes finlandaises8.

La Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF), créée à Paris en 1945, un mouvement de femmes anti-fasciste et de gauche, a été la troisième organisation internationale de femmes à l'ONU. En 1947-48, le CIF, l'AIF et la FDIF ont reçu le « statut consultatif catégorie B9 » auprès du Conseil économique et social, ce qui leur a permis d'assister en tant qu'observateurs aux sessions de la CCF et d'accéder à ses rapports ainsi qu'à ses documents. Avec l'accord de la CCF, ces organisations pouvaient également prendre la parole durant ses sessions. Les archives et les publications de ces trois organisations montrent qu'elles ont exercé activement leurs droits et ont assuré consciencieusement la liaison entre l'ONU et les femmes qu'elles représentaient.

LA GUERRE FROIDE

Mais après la période de coopération initiale entre les féministes d'horizons et de champs d'intérêt divers, la guerre froide a changé de manière décisive le climat et eu un impact négatif sur la lutte mondiale pour la défense des droits de femmes, même si la CCF a réussi à « établir un cadre juridique » jusqu'en 196210.
La FDIF, l'organisation internationale de femmes probablement la plus active à cette époque, en est un exemple très concret. En avril 1954, elle a perdu son statut consultatif uniquement pour des raisons d'ordre politique liées à la guerre froide, ce que leurs amis et leurs ennemis ont reconnu comme une procédure antidémocratique. Parmi celles qui ont protesté en vain figurent Jessie Street (dans une lettre personnelle adressée qu Secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjöld) et la Britannique Dora Russell. Ce n'est qu'en juin 1967 que la FDIF a retrouvé son statut consultatif auprès de l'ONU. Une fois réintégrée, cette organisation a contribué de manière décisive à la cause des femmes. Ce fut la Présidente de la FDIF, la Finlandaise Hertta Kuusinen, qui a proposé en 1972 d'organiser une Année internationale de la femme11.

L'ANNÉE INTERNATIONALE DE LA FEMME, 1975 ET LA DÉCENNIE POUR LES FEMMES 1976-1985

L'Année internationale de la femme a eu un impact qui a dépassé ce que l'on attendait et a été suivie par la Décennie des Nations Unies pour les femmes. Le mouvement des femmes au niveau mondial tel que nous le connaissons est, en grande partie, né dans le contexte des quatre Conférences mondiales des Nations Unies sur les femmes - à Mexico en 1975, à Copenhague en 1980, à Nairobi en 1985 et à Beijing en 1995 - chacune consistant en une conférence officielle de l'ONU et en un forum parallèle des ONG, et étant élargie et plus diverse que la précédente12. Les femmes des pays du Sud et du Nord se sont affrontées pendant les deux premières conférences mondiales mais, « à Nairobi, un consensus a été atteint lorsque les femmes du Sud ont accepté [.] de parler plus librement des relations entre les hommes et les femmes et que les femmes du Nord [.] ont compris que les questions féminines n'étaient pas limitées à l'égalité des sexes et ont enfin reconnu que les facteurs de portée mondiale avaient une influence sur la situation des femmes. [.] De nouvelles organisations féministes internationales ont été créées, comme Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN)13.
En 1979, l'ONU a adopté la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), incorporant « les principes des droits des femmes et l'égalité des sexes dans les dispositions du droit international14 ». Toutefois, le fait que cette Convention existe indiquait « que les droits de l'homme universellement reconnus n'étaient pas exercés par les femmes et les hommes dans des conditions d'égalité. S'ils l'étaient, on n'aurait pas eu besoin d'une convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes15 ».

LA DÉFENSE DES DROITS
 DES FEMMES DEPUIS 1985

Depuis 1985, la notion des « droits des femmes » a été élargie et a gagné en influence. Une percée a été réalisée lors de la Conférence mondiale de 1993 sur les droits de l'homme qui s'est tenue à Vienne, où les droits des femmes ont enfin été reconnus de manière explicite comme des droits humains - en faisant partie intégrante et sur le même pied d'égalité.

En outre, le Programme d'action de Beijing, adopté lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes de 1995, comportait comme objectif essentiel « l'élimination de toutes les formes de violence à l'égard des femmes », alors que la CEDAW de 1979 ne fait même pas mention de la violence à l'égard des femmes16 ! » De plus, bien qu'il n'existe toujours pas de Convention sur l'élimination de toutes les formes de violence à l'égard des femmes, l'ONU considère la violence comme une question relevant de la sécurité, des droits de l'homme et des crimes de guerres, comme l'illustre la Résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité ainsi que le soutien du Secrétaire général Ban Ki-moon à l'effort mené pour mettre fin à la violence sexuelle.

« LES DROITS DE L'HOMME
 POUR TOUS » ?

Une perspective à long terme permet non seulement de comprendre les diverses phases de la lutte des femmes, mais aussi d'apprécier les progrès qui ont été réalisés au cours de l'histoire. L'oppression des femmes n'est pas « naturelle » mais historique et, de ce fait, remonte à des milliers d'années17. Il y a seulement 200 ans, en 1793, le Gouvernement français a guillotiné Olympe de Gouges qui, pendant la Révolution française, avait rédigé « La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». S'appuyant sur les réalisations des féministes au sein de la Société des Nations, l'ONU est devenue depuis 1945 le centre transnational et la « marraine improbable18 » des droits des femmes, non pas comme une réalité allant de soi, mais grâce au travail acharné et à la coopération (principalement) entre les femmes qui représentaient leur gouvernement et/ou les organisations internationales des femmes à l'ONU. Au cours de ce processus, mais surtout depuis 1975, le mouvement international des femmes est devenu un mouvement féministe mondial, communautaire et moins dominé par les femmes du Nord19. Par ailleurs, dans le cadre de la politique de l'ONU, un changement a eu lieu au niveau du discours où les femmes ne sont plus présentées comme des victimes ou des objets mais comme des personnes responsables, en mettant l'accent sur leur autonomisation20.

Un autre résultat important directement lié au développement irréversible et à la plus grande diversité du mouvement féministe concerne la signification des droits des femmes qui a évolué depuis les années 1940 d'une interprétation principalement juridique dont les pays occidentaux ont fait la priorité à la reconnaissance des droits socio-économiques comme des droits tout aussi fondamentaux que les droits politiques; l'inclusion du droit à la « planification familiale, c'est-à-dire le droit d'une femme à disposer librement de son corps et, plus récemment, le droit de vivre à l'abri de la violence. L'idée que les droits des femmes sont des droits qui relèvent des droits de l'homme a fait son chemin depuis 1993, et le lien qui existe entre les droits des femmes et le développement (aujourd'hui « le développement durable ») et la paix a été clairement établi.

LA TÂCHE QUI RESTE À ACCOMPLIR

Alors qu'il est important de comprendre les progrès qui ont été réalisés, il est tout aussi essentiel d'être conscient de l'immense tâche qui reste à accomplir. Malgré la reconnaissance presque universelle des droits des femmes au niveau officiel, les « traditions profondément enracinées » qui relèguent les femmes dans des rôles subalternes et/ou dans l'oppression persistent dans tous les pays, qu'ils soient en tête de la liste de l'indice de parité des sexes de l'ONU ou en bas. Il n'existe aucun pays au monde où les femmes jouissent d'un statut égal à celui des hommes. En outre, dans le paradigme néolibéral, l'écart entre les pays riches et les pays pauvres s'est considérablement creusé et la montée du fondamentalisme religieux est devenue dans de nombreux pays une menace pour les droits des femmes21.

Enfin, même si leur taux d'alphabétisme augmente, les femmes représentent toujours près des deux tiers des analphabètes au monde. Elles constituent aussi les deux tiers des pauvres dans le monde (vivant avec 1 dollar par jour ou moins), font les deux tiers du travail et produisent 50 % de la nourriture, alors qu'elles gagnent seulement 10 % du revenu et possèdent 1 % des biens fonciers22. Ces chiffres défient tout autant l'entendement qu'ils ne l'avaient fait lors de leur première publication il y a plusieurs décennies, alors qu'ils étaient pratiquement identiques. D'autre part, la violence à l'égard des femmes est un phénomène mondial d'une grande ampleur. Selon le Fonds de développement des Nations Unies pour les femmes, « la violence est une cause majeure de mort et d'incapacité pour les femmes de 15 à 44 ans23 ».

Ce qui a donc été accompli est un processus qui, au mieux, continue d'évoluer. Pour la majorité des femmes, leurs droits n'existent que sur le papier. Les « femmes du monde ne veulent donc plus de promesses de la part de leur gouvernement - elles veulent des mesures concrètes24 ». Il reste à voir si le mouvement actuel qui se déplace de l'ONU « vers les mouvements mondiaux pour la justice en tant que pivots de l'attention portée sur le mouvement mondial des femmes25 » sera efficace.

Notes

1. Je tiens à remercier Sara de Jong et Arlette Strijland d'Aletta, de l'Institute for Women's History à Amsterdam, qui m'ont conseillée des textes à consulter pour cet article; ainsi qu'Ellen Dubois (UCLA) pour avoir éclairci un point concernant Minerva Bernardino.
2. Fondée en tant qu'Alliance internationale pour le suffrage des femmes, l'AIF a été rebaptisée l'Alliance internationale des femmes pour le suffrage et l'égalité des droits en matière de citoyenneté en 1926 et simplement l'Alliance internationale des femmes en 1946.
3. Miller 1994; Winslow 1995
4. Rapports du Congrès de l'AIF; Lake 2001; Miller 1994; Offen 2001;Whittick 1979; Women in a Changing World 1966
5. Coltheart 2004; Galey 1995; Pietilä 2007; Whittick 1979. La Sous-Commission est devenue une commission à part entière en 1947.
6. Pietilä 2007, 12
7. Pietilä 2007, 18
8. Rapports du Congrès de l'AIF; bulletin d'information du CIF; rapports du CIF
9. À partir de 1970, les statuts consultatifs A, B, et C ont été désignés par 1, 2 et 3. Le CIF, l'AIF et la DDIF ont accédé du statut « B » ou « 2 » au statut « A » ou « 1 » entre 1969 et 1975 (Yearbooks of the United Nations).
10. Pietilä 2007, 21
11. D'après mes connaissances, l'Union of Australian Women, affiliée à la FDIF, dans une lettre adressée au Secrétaire général datée du 23 février 1972, a été la première à proposer une Année internationale des femmes et la CEDAW. Voir les archives de l'ONU à New York, S-0446-0228-0005, fichier « Consultative Arrangements and Relations with WIDF ». (UN archives; Yearbooks of the United Nations; Pietilä 2007, 39; De Haan 2009; Popa 2009; sur la CCF, voir esp. Reanda 1992)
12. Pour en savoir plus sur ces conférences, visiter le site WomenWatch (http://www. un.org/womenwatch/directory/); voir aussi Pietilä 2007, disponible en ligne.
13. Snyder 2006, 36; voir aussi Walter 2001, xxi
14. Pietilä et Vickers 1996, 126
15. Pietilä 2007, 27
16. Pietilä 2007, 30-32
17. Lerner 1986
18. Snyder 2006
19. Antrobus 2004; Basu 1995; Ferree et Tripp 2006; Fraser et Tinker 2004; Jain 2005; Peters et Wolper 1995
20. Zinsser 2002
21. voir e.g., Chen at al 2005; Ross 2008
22. http://www.unifem.org//gender_issues/women_poverty_economics/
23. http://www.unifem.org//gender_issues/violence_against_women/facts_figures.php
24. WEDO 2005, cité dans Harcourt 2006, 16
25. Harcourt 2006, 1