Marek Hudon: “Les banques sont devenues plus prudentes et craintives”

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Observateur attentif des régulations européennes, le professeur Marek Hudon met en lumière les effets de la montée en puissance des critères ESG sur le financement de l’industrie de la défense européenne.

Comme nous l’explique le professeur à la Solvay Brussels School, le débat fait rage dans les cénacles européens : comment concilier le renouveau d’une politique industrielle européenne avec une vision sociétale, sans en outre faire du secteur de l’armement la première “victime” ?

TRENDS-TENDANCES. Les contraintes ESG sont-elles un problème pour le financement de l’industrie de la défense ?

MAREK HUDON. Oui, le secteur de l’armement est particulièrement sujet aux pratiques d’exclusion, le negative screening, qui sont souvent utilisées dans les évaluations ESG. Il faut se rendre compte que l’armement était encore il y a peu un des secteurs d’exclusion les plus consensuels, avec l’industrie du tabac. Cette exclusion peut être due à un conflit avec les valeurs des institutions financières ou à la peur d’un risque réputationnel. Plusieurs banques ont été critiquées par le passé pour avoir contribué au financement d’armes qui ont fini dans de “mauvaises mains”. Elles sont devenues plus prudentes et craintives sur ceci.

“On peut tout à fait imaginer une réflexion ‘positive’ avec des critères ESG sur le secteur de l’armement.”

Certains voudraient faire entrer l’armement dans les investissements durables.

L’invasion de l’Ukraine a fait naître des craintes légitimes, particulièrement en Europe de l’Est, sur les ris­ques d’invasion de l’Europe ou à tout le moins, la nécessité de disposer de forces de dissuasion. Or ces moyens manquent dans de nombreux pays européens. Le risque, aujourd’hui, est que les difficultés posées par l’ESG mettent à mal les nombreuses années qu’il a fallu pour construire un cadre d’investissement de financement durable, une taxonomie, qui sont certes imparfaits mais qui ont permis d’apporter un peu de transparence. Ceux qui veulent rendre la taxonomie environnementale ou d’autres outils incohérents pourraient porter la responsabilité de cette déconfiture.

Comment résoudre le paradoxe ?

On peut tout à fait imaginer une réflexion “positive” avec des critères ESG sur le secteur de l’armement, sur la base des budgets qui seront définis sur ce secteur dans le futur. Ceci peut être fait d’un point de vue social, certainement, mais aussi environnemental. Il y a de multiples pratiques et modes de fonctionnement, de production, dans le secteur de l’armement ; favorisons les plus innovants et ceux qui sont cohérents avec nos autres objectifs sociétaux.

Tout cela, en plus, à l’heure où on parle d’un Green Deal 2.0…

Les ruptures d’approvisionnement à répétition et les soudaines fluctuations de prix de ressources naturelles, que ce soit dans le cadre de la crise du covid ou plus tard, avec l’invasion de l’Ukraine, ont eu un impact substantiel sur la manière dont de nombreux acteurs économiques conçoivent leur chaîne d’approvisionnement. Deux éléments ressortent fréquemment : la nécessité d’une réindustrialisation, y compris du secteur de l’armement, et le renfor­cement de circuits courts. Dans le même temps, plusieurs textes législatifs européens permettant d’implémenter le Green Deal aboutissent, dans un contexte de forte perturbation. La grande ques­tion est donc de savoir comment on conciliera un Green Deal 2.0, une nouvelle version qui intégrerait sans doute plus fortement la dimension sociale, avec une politique de réindustrialisation.

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