Géraldine Nakache : « Si j’arrête de croire, je dépéris »

ENTRETIEN - À l’affiche de « Paternel », en salles mercredi, l’actrice se confie sur le sens de la famille, sa foi et la complexité de son métier.
La comédienne et réalisatrice, début mars à Paris.
La comédienne et réalisatrice, début mars à Paris. (Crédits : © LTD / Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

Un tête‐à‐tête dans son QG rue de Turenne, ça passe ou Nakache ? C'est cash, bien évidemment. Ça tchatche, tout naturellement ! Pas de minauderie, de faux‐semblants ou d'humilité travestie. Et dans ce milieu où l'hypocrisie est souvent une arme de défense, l'actrice n'a pas besoin d'armure. De lentilles ou de lunettes peut‐être, pour corriger sa myopie, car sans, elle « enten[d] moins ». Et il suffit de presque rien pour qu'elle soit « saoulée » par elle‐même : « Tout ce que je raconte, je le sais déjà. Alors je préfère écouter les autres. » Pas de bol, Géraldine, ce n'est qu'un bon moment à passer...

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous incarnez une mère solitaire en plein burn-out. Un sentiment que vous connaissez ?

GÉRALDINE NAKACHE - J'ai déjà ressenti des périodes de fatigue extrême, de ups and downs. Mais je reconnais que j'ai eu la chance d'avoir été préservée de toute forme de dépression. En revanche, j'ai l'impression que le burn‐out guette tout un chacun, que tout peut basculer d'une seconde à l'autre.

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Des signes avant-coureurs ?

Pas du tout. Mais si un jour mon corps envoie un signal d'alerte à mon cerveau, j'ai le sentiment que ce sera déjà trop tard. La culpabilité fait partie de nos gènes. Si je ne travaille pas dix‐neuf heures par jour, je me sens bonne à rien. Et si je n'allaite pas mon enfant, je suis une mauvaise mère...

Vous arrivez à lutter contre cette culpabilité ?

Ah, mais je ne lutte plus ! J'ai arrêté au moment où j'ai accepté le fait que la culpabilité était inhérente à ma personnalité. J'essaie juste de ne pas le faire ressentir à ma fille, même si je pense qu'elle commence déjà à trop vouloir faire plaisir à ses parents. L'atavisme, quoi.

Ouh là, ça sent le dossier !

C'est vrai. J'ai couru après le prix de camaraderie. Peut‐être parce que j'étais celle que l'on appelait en dernier pour former les équipes à la balle aux prisonniers. J'étais là, pleine de bonne volonté, mais personne ne croyait en moi. En revanche, j'étais la première pour faire rire, pour organiser les meilleurs anniversaires de l'école. J'étais celle qui fédérait, et c'est encore une force aujourd'hui.

On parle toujours de vous comme de la « bonne copine »...

[Elle coupe.] C'est formidable, non ? Et entre nous, je suis quand même très chiante. Je juge trop vite les gens, me fie beaucoup trop à mon instinct. Mon problème, qui est en soi une qualité : je reconnais les cons trop vite.

On est toujours le con de quelqu'un...

Et je le suis très souvent ! Voire tous les jours. Je peux culpabiliser de l'avoir été si je n'ai pas tenu la porte des toilettes parce que j'étais beaucoup trop pressée. Et puis après je relativise, car je pense être quelqu'un de gentil.

Aujourd'hui, avez-vous l'impression d'être choisie ?

De plus en plus. C'est toute la complexité de notre métier. J'ai eu besoin d'écrire mes propres films, de me choisir moi‐même parce que j'ai toujours craint que personne d'autre ne le fasse. Puis, une fois que les regards se sont posés sur moi, j'ai fini par accepter tous les rôles qui s'offraient. Il y avait à boire et à manger ! Mais il fallait en passer par là pour m'affranchir de ce sentiment d'être l'élue. Ou non.

Encore le traumatisme de la dernière choisie dans les équipes de sport...

[Rires.] Très certainement. Avec l'âge, la maternité, j'ai fini par comprendre que je ne suis plus dans cette quête d'être aimée à tout prix. Quel repos de l'esprit !

La place du père est très importante dans vos films...

Absolument. J'ai grandi à Puteaux avec des parents aimants et je n'ai jamais manqué de rien. Mon père était autant « mère juive » que sa femme. Ma mère a eu l'élégance de lui laisser endosser ce rôle, car chez nous il n'y a pas de places pour deux mères juives. [Rires.] Elle se fichait d'être dans l'ombre mais était consciente de tenir à bout de bras une chaise à trois pieds. Ça n'empêche pas les séances de psychanalyse, mais ma mère nous a épargné bien des maux...

Mais pas ceux de la crise d'adolescence !

J'ai ressenti un vrai problème d'appartenance. Je ne comprenais pas pourquoi je n'habitais pas à Paris. Mon père a été merveilleux. Il a fait le taxi à n'importe quelle heure pour me déposer chez mes amis dans les beaux quartiers parisiens. J'avais toujours le souci qu'il stationne dans la rue d'à côté pour ne pas me faire honte. Et il jouait le jeu sans me le dire.

Mon problème, qui est en soi une qualité : je reconnais les cons trop vite

Vous partagiez ce sentiment avec votre frère aîné, Olivier Nakache ?

Je faisais beaucoup plus de bruit que lui car j'étais en demande permanente d'attention. Si je lui ai imposé mes spectacles de danse sur Lio ou Mylène Farmer, il ne m'a jamais reproché d'être la petite sœur relou. Évidemment, il m'a fait croire pendant des années que j'avais été adoptée, mais c'est le rôle d'un grand frère, non ? Olivier était le sage de la famille, celui qui travaillait dans son coin sans vouloir prouver qu'il existe à tout prix.

L'année dernière, vous êtes partie avec vos parents en Algérie, leur terre natale...

Malgré toute cette joie à la maison, je ressentais une pudeur chez mes parents, leurs souvenirs d'enfance chahutés par leur arrachement à leur terre. Mon frère et moi avons eu besoin de les accompagner à Constantine, soixante ans après leur départ. Mon père vivait dans un ghetto. Ce n'était pas la religion qui les divisait ni la couleur de peau, mais le niveau social.

Malgré tout ce qui se passe, vous restez croyante ?

Toujours. Ce n'est pas la vie qui me challenge sur mes croyances, c'est moi qui en ai besoin au quotidien. Si j'arrête de croire, je dépéris. J'ai de l'attirance pour les gens qui croient, D'ailleurs, c'est une fascination que je partage avec mes amis les plus proches.

Vous pensez à Leïla Bekhti ?

Entre autres. Nos croyances respectives sont plus fortes que tout.

Même depuis le 7 octobre ?

Je veux croire que le « ensemble » nous sauvera de tout.

C'est comment, le dimanche de Géraldine Nakache ?

Le dimanche a été une énorme angoisse pendant très longtemps. J'entendais le générique flippant de 7 sur 7 et je me réfugiais dans celui de Benny Hill. Je dormais souvent chez mes copines le samedi soir mais mon père me récupérait systématiquement à midi. J'avais beau lui demander de me laisser jusqu'au goûter, c'était toujours un refus. Et puis le dimanche, c'était aussi l'odeur des soupes et des gâteaux préparés par ma mère. Aujourd'hui, si ma fille me demande de confectionner un gâteau au yaourt, le blues peut débarquer sans prévenir !

Paternel, de Ronan Tronchot, avec Grégory Gadebois, Géraldine Nakache. Sortie mercredi.

Ses coups de coeur

Salles obscures, mélodies et gourmandise 
Simple comme Sylvain, de Monia Chokri, et Le Dernier des Juifs, de Noé Debré, sont les deux derniers bijoux qu'elle a vus au ciné. Elle s'évade avec les mélodies de Yamê, un chanteur franco-camerounais qui, selon elle, est le nouveau Stromae. Elle peut traverser tout Paris pour assouvir son envie irrépressible de houmous. Mais celui de chez Afendi*, un resto libanais, est pour elle une valeur sûre. « Il a le goût de pop-corn ! Allez-y, c'est une tuerie. » OK, Géraldine, on ira où tu iras...

*Afendi, 84, rue du Faubourg-Saint-Denis, Paris (10e).

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