Définir ce qu'est la voix verdienne n'est pas chose aisée
tant Verdi a considérablement fait évoluer le chant romantique
du XIXème siècle. D'ailleurs, à l'intérieur
même de son uvre, les évolutions se font sentir de
façon très nette.
Quand Verdi crée Oberto en 1839, le chant italien est incontestablement
dominé par Donizetti. En effet, en 1838 ce dernier avait obtenu
un succès retentissant avec Roberto Devereux, ouvrage de pur bel
canto dans lequel il s'était assuré la participation de
l'une des plus illustres divas de l'époque, Giuseppina Ronzi de
Begnis dans le rôle d'Elisabeth I, reine d'Angleterre.
Pour bien comprendre le contexte dans lequel arrive Verdi, il convient
de préciser ou de rappeler que bel canto n'est pas synonyme de
"belle voix" mais qu'il désigne avant tout un chant dont
Rossini, Bellini, Donizetti, Pacini et Mercadante sont les maîtres
absolus. La caractéristique principale de ce chant est d'allier
la virtuosité et la vaillance avec l'expression dramatique. En
cela, nos compositeurs faisaient faire au chant un bond immense par rapport
au bel canto baroque de Haendel ou de Vivaldi (pour ne citer que ces deux
là!) qui réduisaient la virtuosité à de la
brillance décorative. Mais Verdi va donner une autre impulsion
au chant italien. Certes, il a entendu la plupart des uvres de ses
prédécesseurs mais c'est avec Donizetti qu'il doit compter
le plus. L'année de la création d'Oberto, Donizetti a déjà
composé plus de soixante opéras et il lui en reste environ
dix à créer (parmi les plus beaux!). Au début, Verdi
applique consciencieusement les règles du moment, mais avec Nabucco,
il va se montrer particulièrement novateur notamment en termes
de tessiture et d'écriture vocale! Le principal rôle féminin,
Abigaille, est un grand soprano dramatique coloratura: sa tessiture est
à peu près la même que celle de Norma mais la grande
différence d'avec le rôle bellinien, c'est que Verdi exige
une autorité vocale absolue, une projection hallucinante du timbre
et une vaillance à toute épreuve dans les passages di forza.
Ce rôle est considéré encore aujourd'hui comme l'un
des plus assassins pour la voix. D'ailleurs la créatrice du rôle,
Giuseppina Strepponi, y a perdu la sienne! Toujours est-il qu'une nouvelle
manière de chanter vient de naître et qu'elle va influencer
toute la deuxième moitié du XIXème siècle
et permettre à un Puccini d'être à la base de ce qu'on
appellera le vérisme!
En fait Verdi sera toujours à la charnière de deux temps,
de deux styles, de deux chants différents: en situation permanente
d'équilibre entre deux époques de l'histoire lyrique, il
saura concilier, par fidélité, certaines lois traditionnelles
et son besoin d'innover! L'innovation, elle commence dans le choix des
livrets qu'il veut dramatiques à l'action violente, aux personnages
complexes et aux situations tragiques et qu'il peut caractériser
vocalement de façon adéquate. En bouleversant ainsi les
critères du théâtre, Verdi va être amené
progressivement à "inventer" de nouvelles voix et ce,
dans toutes les catégories vocales! Autant dire tout de suite qu'il
n'ira pas aussi loin qu'un Wagner qui, à force de révolutionner
les tessitures, aboutira à un chant inhumain comme celui de Brünnhilde
par exemple.
Quelles sont donc les exigences de Verdi en matière de chant? Avant
tout la maîtrise technique et stylistique du bel canto romantique
à savoir le mélange des registres, le contrôle absolu
du legato, le sens de l'inflexion, l'art des nuances, la virtuosité
(largement présente encore dans Les Vêpres siciliennes!).
Mais cela ne suffit pas pour rendre justice à l'écriture
verdienne: d'autres critères sont nécessaires pour respecter
ce qu'on appellera par la suite le chant di slancio: des tempos ralentis
jusque dans les cabalettes demandant à l'interprète de projeter
le son de façon percutante, de nombreuses indications d'effets
provoquant de rapides changements de dynamique, un recours fréquent
aux extrémités de la tessiture et enfin une solide capacité
pulmonaire afin de rendre justice aux passages les plus ardents!
Parallèlement à ces exigences techniques, Verdi en a d'autres
beaucoup plus stylistiques: en effet, il veut fusionner le chant avec
l'action dramatique et pour cela, il va demander à ses chanteurs
une nouvelle émission vocale, la "voix sombrée",
et une articulation plus agressive.
Cette alliance de l'ancien et du moderne va durer jusqu'en 1857, date
de la création de Simon Boccanegra, opéra à partir
duquel Verdi va s'affranchir de plus en plus des règles du bel
canto pour définir son propre style qui aboutira avec Falstaff
en 1893. Le grand soprano Verdi est désormais établi avec
son accent autoritaire et vaillant, son timbre large et consistant, son
aigu éclatant et sûr, son grave ouvert et franc, caractéristiques
qui seront aussi celles du ténor et du baryton. En effet, Amelia
(Un Ballo in Maschera) a peu de choses à voir avec Gilda (Rigoletto);
il en est de même pour Radamès (Aïda) et Alfredo (La
Traviata), pour Rodrigo (Don Carlo) et Nabucco (rôle-titre).
D'uvre en uvre, au fur et à mesure qu'il est confronté
à des textes plus littéraires, Verdi compose un chant de
plus en plus dépouillé pour atteindre l'essentiel alors
que parallèlement son orchestration sera de plus en plus fouillée.
L'apothéose sera atteinte avec Falstaff qui fait exploser définitivement
les canons de la tradition en supprimant définitivement la notion
de morceau fermé! La voie est ouverte à Puccini et à
ses successeurs!
Nos
plus grandes voix verdiennes:
Elles appartiennent
essentiellement à nos souvenirs, à nos enregistrements car,
à l'heure actuelle, il semble bien difficile de trouver les voix
adéquates pour chanter le répertoire verdien! Dans la liste
ci-dessous ne figurent pas certains noms illustres tels que ceux de Maria
Callas, Luciano Pavarotti et même Placido Domingo.
Maria Callas n'est pas à proprement parler une vraie grande voix
verdienne même si certains rôles lui allaient comme un gant,
mais elle s'est illustrée et a enregistré à une époque
où sa voix commençait à l'abandonner un grand nombre
de témoignages verdiens très discutables tels que Rigoletto
et surtout: Un Ballo in Maschera, La Forza del destino et Aïda, les
opéras qui exigent justement le format du grand soprano Verdi.
Il en est de même pour Luciano Pavarotti qui est un merveilleux
Duc de Mantoue dans Rigoletto (et encore! En 1971!!) mais qui a tendance
à confondre Radamès (Aïda) avec Tonio (La Fille du
régiment de Donizetti).
Quant à Placido Domingo, bien qu'il ait pratiquement abordé
tout Verdi, ce qui le dessert c'est sa tendance à tout chanter
de la même manière et une certaine crispation dans l'aigu!
- Leontyne Price (soprano)
dont la voix est d'une lumineuse beauté, surtout dans les années
1960, a beaucoup chanté et enregistré Verdi notamment Ernani,
Il Trovatore, Un Ballo in Maschera, La forza del destino. Son plus grand
rôle verdien restera à tout jamais Aïda (rôle-titre).
- Fiorenza Cossotto (mezzo soprano) aux moyens vocaux très impressionnants,
a marqué le chant verdien du XXème siècle avec son
Azucena (Il Trovatore) et son Amnéris (Aïda).
- Dolora Zajick (mezzo soprano) suit les pas de Cossotto tant en termes
de moyens vocaux qu'en termes d'emplois!
- Carlo Bergonzi et Franco Corelli (ténors): avec des moyens radicalement
différents, ils représentent tous deux ce qu'est le ténor
verdien: à Bergonzi, l'élégance, la ligne de chant
suprêmement châtiée, le style; à Corelli, la
beauté incandescente de la voix, l'ardeur de la projection, la
vaillance de l'aigu et du suraigu (au contre-ré), l'art des nuances!
Depuis, on n'a pas fait mieux! Les grands rôles verdiens de Bergonzi
sont Alfredo (La Traviata) et Riccardo (Un Ballo in Maschera) et ceux
de Corelli sont Alvaro (La Forza del destino), Radamès (Aïda)
et Don Carlo (rôle-titre)
- Ettore Bastianini et Sherrill Milnes (barytons) reproduisent un peu
le même schéma que les ténors cités ci-dessus:
Bastianini a une voix de bronze superbement homogène sur toute
la tessiture. Seul l'aigu lui fait parfois défaut ce qui n'est
nullement le cas du baryton américain Sherrill Milnes qui étale
avec insolence ses trois octaves et qui joue de son suraigu à la
moindre occasion. Tous deux ont servi Verdi avec un rare bonheur, les
plus grands rôles de Bastianini étant Il Conte di Luna (Il
Trovatore), Carlo (La Forza del destino) et ceux de Milnes étant
Rigoletto (rôle-titre), Monforte (I Vespri Siciliani) et Carlo (La
Forza del destino).
- Cesare Siepi( basse noble) qui a chanté et enregistré
à peu près tous les emplois verdiens et dont les plus grands
rôles resteront Zaccaria (Nabucco) et Philippe II (Don Carlo).
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