Après des mois de vaines tentatives pour lancer une gauche unie dans ces élections européennes, Manon Aubry s’engage finalement seule, en tant que tête de liste LFI. Sa campagne est lancée officiellement, ce samedi, lors d’un meeting à Villepinte.
Élue en 2019 à l’âge de 29 ans, la native de Fréjus (Var) n’est pas du tout issue du monde politique, même si elle a croisé quelques figures lors de sa scolarité, comme David Rachline au lycée, actuel maire RN de la ville, ou encore Gabriel Attal, son camarade de promotion à Sciences Po Paris. Elle y étudie l’économie et le droit international. Manon Aubry s’inscrit en parallèle en fac de sociologie, où elle se sent plus à l’aise. Mais elle persiste dans le prestigieux établissement « parce que, pour battre l’élite, il faut en connaître l’identité, en apprendre les codes. »
L’humanitaire comme base
À la fin de ses études, elle s’engage dans l’humanitaire au sein de Médecins du monde pour une mission d’un an au Liberia. Puis, elle part deux ans en République démocratique du Congo avec l’ONG Carter Center pour lutter contre les projets miniers et l’évasion fiscale. Elle rentre en France et devient porte-parole de l’association Oxfam.
La politique ? Elle ne l’avait jamais envisagée : « Le premier meeting auquel j’ai assisté, c’est le mien, quand on m’a officialisée tête de liste à Bordeaux, en 2019 ! », s’amuse-t-elle. C’est Jean-Luc Mélenchon qui est venu la chercher, lors d’une journée des universités d’été où elle intervenait pour le compte d’Oxfam. Avant d’accepter son offre, elle hésite, lui demande un entretien auquel elle débarque avec douze pages de questions : « Il savait que j’allais être casse-pieds. Je voulais savoir où j’allais. »
« Le défaut de sa génération »
Elle est élue avec 6,3 % des voix. « Elle a pris très vite ses marques, et occupe une fonction éminente, c’est la plus jeune coprésidente de groupe », confirme Manuel Bompard, son confrère au Parlement européen, avant d’être élu député national en 2022. Un autre eurodéputé se montre plus critique sur la méthode Aubry : « Même si son travail est incontestable, elle est plutôt égoïste dans sa façon de faire. Elle s’attribue des victoires personnelles alors qu’elles sont collectives. Elle pratique une politique que je ne trouve pas efficace avec le défaut de sa génération : obsédée par le buzz, le scandale. » Nathalie Loiseau, eurodéputée Horizons, reproche le ton activiste de sa jeune collègue au Parlement : « C’est toujours dans la véhémence ou l’ironie, elle ne cherche pas à construire quelque chose mais uniquement à critiquer, au niveau européen, la politique nationale menée par Emmanuel Macron. »
Coup de théâtre au Parlement
L’ancienne militante joue hors des conventions. Elle n’hésite pas à se déguiser en Rosie la riveteuse, à l’occasion d’un débat sur les droits des femmes, ou offre en cadeau à Jean-Claude Juncker (ancien président de la Commission européenne), pour sa retraite, une boîte en carton remplie de faux billets de 500 euros, dénonçant les scandales d’évasion fiscale lors son mandat. Après ces cinq premières années en politique, Manon Aubry dit avoir perdu en naïveté : « J’espère juste ne pas perdre ma révolte et devenir aigrie, là, j’arrêterai. » Pour ne pas perdre le cap, elle s’est écrit une lettre, confiée à des amis proches, non politiques, dans laquelle elle liste les lignes rouges à ne pas franchir : continuer le water-polo, sport qu’elle pratique en compétition, savoir qui sont ses adversaires politiques, comprendre l’extrême droite, « et non pas la gauche ou les trahisons subies. » Manon Aubry pense à la dislocation de la Nupes pour cette campagne. Mais, en interne, plusieurs sources indiquent que la présidente ne serait plus en phase avec le grand chef. Mélenchon l’aurait désignée tête de liste, faute de mieux. Une théorie démentie par Manuel Bompard : « Cette rumeur ne s’appuie sur aucun élément réel. »
Où se situe-t-elle sur l’échiquier européen ?
Au Parlement européen, les eurodéputés insoumis siègent au sein du Groupe de la Gauche. Coprésidé par l’Allemand Martin Schirdewan et la Française Manon Aubry, c’est le septième et plus petit groupe de l’actuel hémicycle, avec 37 eurodéputés issus de 13 États membres.
La ligne politique de ce groupe, situé tout à gauche de l’échiquier, peut être qualifiée d’« alter européenne ». Opposé à la construction européenne actuelle, il prône un autre modèle de développement économique, en alternative aux politiques d’austérité. Avec cinq eurodéputés, La France insoumise constitue l’une des deux premières délégations (à égalité avec les Allemands de Die Linke).
Le Groupe de la Gauche est l’héritier des différents groupes parlementaires communistes ayant existé au Parlement européen. Sa ligne ne tranche pas clairement entre réformisme et révolution, laissant à chaque parti le choix sur la méthode la plus efficace de parvenir aux objectifs communs.
À noter que le Parti communiste français (PCF), en concurrence avec La France insoumise pour capter les voix des électeurs, est également candidat à l’intégration du Groupe de la Gauche. Pour cette raison, Manon Aubry n’a pas été désignée comme candidate à la Commission européenne (un poste que le Groupe de la Gauche n’a aucune chance de décrocher). « En France, nous avons deux partis de gauche qui s’affrontent, et la philosophie de notre parti est d’être neutre dans ce genre de compétition. Nous ne voulons pas interférer d’une manière ou d’une autre », a justifié l’Autrichien Walter Baier, qui endossera le rôle pour cette campagne.