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Squeezie et l'esport : « Gentle Mates est devenu mon projet prioritaire »

De gauche à droite, Brawks, Squeezie et Gotaga, fondateurs de Gentle Mates. (@axeldelai/Gentle Mates)
De gauche à droite, Brawks, Squeezie et Gotaga, fondateurs de Gentle Mates. (@axeldelai/Gentle Mates)

Moins d'un an après avoir officialisé la création de leur club, Gentle Mates, Lucas « Squeezie » Hauchard, Corentin « Gotaga » Houssein et Kevin « Brawks » Georges, trois des youtubers et streamers français les plus suivis, ont déjà bien installé leur structure dans l'esport tricolore. Entretien avec un trio qui vise déjà haut.

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Fondé officiellement il y a moins d'un an par le trio de streamers et youtubers à succès Lucas « Squeezie » Hauchard - Corentin « Gotaga » Houssein - Kévin « Brawks » Georges, fruit d'une longue réflexion de ces deux derniers, ex-joueurs pros de Call of Duty, avant qu'ils ne soient rejoints par le premier, Gentle Mates (un jeu de mots qui croise « gentleman » et « mates », les « compagnons » en français) s'est vite imposé comme incontournable dans le paysage de l'esport français. Champion de France sur Valorant, son jeu phare, le club français s'est aussi qualifié pour l'élite continentale en remportant l'Ascension, l'été dernier, avant de s'étendre sur de nouveaux jeux dont League of Legends et Rocket League début 2024.

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Une croissance rapide, mais rien d'étonnant tant le potentiel de « M8 » (prononcer « m-eight »), porté par ses fondateurs et leurs millions de suiveurs sur les différents réseaux sociaux ou plateformes de streaming, paraît immense aujourd'hui. Rencontre avec un trio qui veut porter l'esport vers de nouveaux sommets.

« D'où vient ce projet de créer un club, un nouveau club même, puisque vous êtes deux cofondateurs (Gotaga, Brawks) de Vitality (le plus gros club d'esport français à l'heure actuelle) ? Qu'est-ce qui vous a poussé à recommencer ?
Corentin « Gotaga » Houssein
 : La compétition. Nous avons cofondé Vitality quand nous étions encore joueurs professionnels, avec cette volonté de partager, mettre en avant l'esport, montrer que c'est cool, que ça rassemble, qu'il y a des similitudes avec le sport. Malheureusement nous ne partagions plus la même vision (ce qui a amené à la séparation du duo avec Vitality en 2021), mais cette envie n'a pas disparu. Et la force qu'on a aujourd'hui, surtout en étant accompagnés par Lucas (Squeezie), c'est de pouvoir s'appuyer sur nos infrastructures, nos autres projets, nos business respectifs. On a créé Gentle Mates par passion, et parce qu'on a tout ça derrière nous.

Kevin « Brawks » Georges : J'ai toujours une flamme en moi. Je n'ai plus envie de faire de compétition, mais j'ai pratiquement tout vécu dans l'esport et je veux transmettre cette expérience à d'autres personnes, à des jeunes. Les bonnes mais surtout les mauvaises expériences, pour qu'ils aient un maximum d'outils, de structure, pour atteindre leurs objectifs, ceux que je n'ai pas forcément atteints moi-même, comme un titre de champion du monde par exemple.

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Gotaga : Nous avons été des précurseurs. Et on a la chance de faire ce qu'on fait aujourd'hui, le streaming, les jeux vidéo, l'esport, grâce à cela. Nous voulons nous en servir pour mettre nos joueurs dans les meilleures conditions possibles mais aussi faire en sorte qu'ils profitent de notre réputation. Parce qu'on s'identifie à eux. Avec TakaS (joueur de Valorant chez Gentle Mates), j'ai l'impression de me voir quand j'étais plus jeune.

Brawks : Et puis, c'est bête mais mon jeu préféré a toujours été Football Manager... Et là on le transpose un peu à la réalité (rires). Ça me galvanise.

Et Squeezie ? Si l'histoire commune de Gotaga et Brawks dans l'esport les a poussés à lancer ce projet, la vôtre est différente... Comment vous êtes-vous retrouvé à la tête de ce club ?
Lucas « Squeezie » Hauchard
 : J'ai toujours été spectateur de l'esport, via ce qu'ils ont construit avec Vitality, puis ce que Kamel (Kameto, fondateur de la Karmine Corp) a fait avec son club. Mais jusque-là j'étais plus un fan d'esport qu'autre chose. Quand Corentin m'a dit que, depuis deux ans, avec Brawks, ils voulaient fonder un nouveau club, j'ai réfléchi : j'adore l'esport et je trouve qu'il y a beaucoup à faire dans ce milieu encore très jeune. J'ai eu envie d'en être et je me suis greffé au truc (rires). On se connaît depuis dix ans, quand on faisait des opés (partenariats commerciaux) sur Cyprien Gaming (une chaîne YouTube)... Je pensais avoir un rôle à jouer.

Gotaga : Les gens l'ont un peu oublié mais Lucas est un gros joueur. Et aujourd'hui chez M8 c'est un de ceux qui jouent le plus...

Squeezie : Parmi les youtubers, nous sommes nombreux à avoir commencé par le jeu vidéo, nous avons percé avec ça et puis nous sommes partis vers des concepts qui s'en sont éloignés... pour finalement tous se dire que ça nous manquait, créer une chaîne Twitch et continuer à jouer (rires). Mais ce n'est pas la même audience que sur YouTube, donc les gens ont cru que j'avais complètement arrêté. Pourtant j'ai toujours eu ça en moi. Bon, je l'ai quand même renié pendant un moment parce que ça me bouffait beaucoup de temps. Et puis finalement j'ai décidé que je m'en fichais et aujourd'hui on se bute à Valorant. C'est même devenu mon jeu préféré, tout court. Avec Dofus, peut-être, mais j'ai commencé les jeux de tir sur Counter-Strike 1.6 alors ça fait remonter des souvenirs...

18,7
C'est, en millions, le nombre de comptes abonnés à Squeezie sur YouTube. Le n°1 en France. Brawks et Gotaga sont eux aussi suivis par des centaines de milliers ou des millions de personnes, selon leurs réseaux sociaux.

On sent qu'une part de vous veut, assez simplement finalement, rendre au jeu vidéo ce qu'il vous a apporté dans vos carrières respectives...
Squeezie
 : C'est marrant, c'est précisément le pitch de l'épisode cinq de mon documentaire (« Merci Internet », sorti mi-janvier sur la plateforme Amazon Prime). « Rendre au gaming ce qu'il m'a apporté ». Mais ça va au-delà, je me suis imposé une mission, celle de rendre cette discipline un peu plus glamour, ou plutôt un peu moins « nerdy » (« ringarde »). Je pense qu'elle peut le devenir avec le temps. Comme Schumacher ou Lewis Hamilton par exemple ont permis à la F1 d'être plus attractive. Il y a des trucs à faire : starifier les joueurs, produire des contenus autour qui plaisent visuellement... La Karmine Corp a réussi à intéresser à l'esport des gens qui jouaient sans s'en préoccuper. Ce qui est une étape exceptionnelle et nécessaire mais plus simple que celle d'après : toucher ceux qui ne jouent carrément pas. C'est difficile de les atteindre, de les sensibiliser même. Ça passe par beaucoup de pédagogie. Mais c'est crucial dans le développement du milieu, selon moi. On a des clubs qui ont soulevé des montagnes en France : Vitality, la KC, et nous, oui, on veut essayer d'amener ça à un autre niveau encore.

Gotaga : Et d'un autre côté, on a des facilités parce que justement il y a eu Vitality avant, la Karmine...

Squeezie : Quelque part, on a déjà l'expérience d'un club qui a sept ans, en termes de vision, de connaissance, d'expérience... Après, en termes de structuration, on doit encore apprendre. Et on fait des erreurs, évidemment.

Photo de famille pour Gentle Mates, début janvier. (@axeldelai/Gentle Mates)
Photo de famille pour Gentle Mates, début janvier. (@axeldelai/Gentle Mates)

Après l'Ascension (qui a propulsé le club dans l'élite continentale sur Valorant), Kévin « Ex6tenz » Droolans (coach de l'équipe, ancienne gloire de Counter-Strike) nous expliquait qu'il avait un peu hésité à vous rejoindre parce qu'il avait peur d'un manque d'implication de votre part, avant d'être agréablement surpris, en fin de compte. Vous êtes totalement investis dans ce club, au point d'avoir mis des choses de côté ?
Brawks
 : Il m'avait dit qu'il avait conditionné sa décision à nous. Il connaissait le potentiel de l'équipe mais il nous a observés pour savoir si nous étions vraiment investis (rires)...

Gotaga : Mais clairement. Moi je vais même sacrifier un peu le côté « Gotaga » en solo pour me focaliser à 200 % sur M8. C'est notre bébé. J'aime dire que j'ai eu deux enfants en 2023, mon fils et ce club (sourire). Maintenant je pense que c'est surtout Lucas qui a choqué.

Squeezie : Je me suis choqué moi-même, parce que je pensais que ça prendrait entre quatre et cinq fois moins de temps que ça. Finalement je me retrouve avec un bulldozer, mais c'est passionnant ! Aujourd'hui, oui, Gentle Mates est devenu mon projet prioritaire, principal, de loin même je dirais. Celui que je vais garder le plus longtemps dans ma vie, probablement. Parce que c'est l'une des plus grandes aventures humaines que j'ai pu vivre, de celles qui te donnent envie de soulever des montagnes. Quand tu fondes un club, peu importe le sport, tu construis un peu une famille. Et si tu fais partie des dirigeants, tu as une responsabilité colossale vis-à-vis de tous les jeunes qui sont là-dedans. Mais tu as aussi envie de les pouponner. Parce que je vois des gens auxquels je m'identifie. Bon, même si j'étais bien moins fort qu'eux.

Gotaga : On va souffrir quand on devra se séparer d'un joueur.

Squeezie : C'est l'un des premiers trucs que tu (Gotaga) m'as dit : « Je te vois, tu t'attaches avec les joueurs et tout, mais fais attention quand même. Tu sais, il y aura des départs. » Ça m'a mis une claque. Parce que ça reste du sport.

Vous faites partie de cette vague de clubs portés par des figures de YouTube ou du streaming : au sein de la Karmine Corp, Kameto incarne son club au point que cela occupe une immense part de son emploi du temps : en multipliant votre présence sur de nouveaux jeux (Rocket League, League of Legends cette année), cette incarnation va vous occuper encore plus. Vous l'avez anticipé ?

Gotaga : À moitié (rires). Même la qualification en VCT, nous savions que c'était un petit cadeau empoisonné... Nous étions heureux forcément, mais en prenant plusieurs pas de recul : bon, ça fait six mois qu'on existe, il nous faut des locaux à Berlin (où se déroule le Championnat d'élite continental sur Valorant), sur Paris aussi, et en termes de dépenses, de salariés, c'est énorme.

Brawks : Mais être trois, c'est une force. On se répartit les tâches et on a déjà des infrastructures.

Gotaga : Maintenant, oui, on va beaucoup me voir commenter les équipes. Et j'espère que ça se passera bien parce que quand on perd, avec Brawks, on s'éteint. Je déteste encore plus la défaite que j'aime gagner et pourtant j'adore gagner (sourire).

Brawks : Mais c'est aussi une éducation, la victoire. On retrouve ça dans le sport : quand tu signes au Real Madrid tu es là pour l'excellence. Tu viens pour gagner, tu n'as pas le droit d'y aller sans ambition. C'est ce qu'on veut inculquer ici : tu n'es pas seulement dans la structure de Gotaga, Squeezie, Brawks. Tu viens ici pour gagner. Et si jamais tu en sors, tu le feras en étant la meilleure version de toi-même.

D'ailleurs, on le voit dans vos recrutements : il y a une volonté d'investir pour faire partie des meilleurs tout de suite...
Gotaga
 : Il y a beaucoup de spéculations par rapport à ça. Mais financièrement, nous sommes à l'équilibre. Nous ne dépensons pas n'importe comment notre argent pour recruter nos joueurs. Nous ne sommes pas parmi les plus modestes non plus bien sûr, notre adc sur LoL coûte cher, mais par rapport à Rekkles...

Squeezie : Il y a des structures avec des investissements de milliardaires et il y a les autres. Nous faisons partie des autres : oui, il y a des noms derrière, mais ce que ça permet surtout c'est d'avoir des sponsors qui nous évitent d'avoir à investir de notre poche. Il n'y a pas de petits caprices d'ego non plus, on ne se dit pas : « On veut le meilleur, on double les salaires, on s'en fout », ce qui détruit le milieu petit à petit... On a ce challenge, qui est de se structurer.

Gotaga : Mais on avance vite. On peut avoir des budgets, grâce aux sponsors, qui sont ceux de clubs présents depuis six ans. Avec notre position, on arrive aussi à sensibiliser des marques. On a fait plein de choses, on a plutôt bonne réputation, Lucas organise le GP Explorer : on nous fait confiance.

Squeezie : Aujourd'hui, l'économie de l'esport repose surtout sur les sponsors et le merchandising. Je suis fan de ce qu'on est en train de créer ensemble et je mets entièrement à contribution l'image « Squeezie » pour le club et c'est normal. À condition que ça ne la dégrade pas. Mais bon, pour l'instant c'est sans doute l'inverse...

Je vais encore pousser un peu la comparaison avec la Karmine : le rêve de son fondateur est de gagner les Worlds de League of Legends, et pour cela il fallait rejoindre le LEC (l'élite continentale). Avant que M8 existe, l'objectif pour vous était d'intégrer la ligue mondiale de Call of Duty. Est-ce toujours votre rêve, même si cela peut prendre du temps ?
Gotaga : Toujours. C'est un truc qu'on veut faire. On suit de loin la scène CoD, il y a une référence française, HyDra, qui nous aide à suivre... C'est un rêve, comme pour Kamel, mais les contextes sont différents. Aujourd'hui il n'y a plus de circuit sur Call of Duty en France. C'est plus dur d'envisager des retours sur investissement par rapport à League of Legends. Si on y va, et ça coûte cher, est-ce que ça va intéresser les gens ici ? Aujourd'hui c'est un jeu américain, pour les Américains... Maintenant, c'est dans nos têtes, d'ailleurs initialement on voulait une équipe amateur sur le jeu pour se lancer. Mais c'est compliqué. J'espère qu'un jour on recrutera HyDra. Et si ça prend trop de temps, on l'aura comme ambassadeur (rires). »

publié le 7 février 2024 à 17h00 mis à jour le 7 février 2024 à 17h00
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