Groupe d’intérêts, non de valeurs
Le «Sud global» ne s’est toutefois imposé dans le langage courant que récemment sous l’influence d’une réappropriation par la Chine, l’Inde et le Brésil. Pékin parle du «développement et du redressement du Sud global» en se positionnant en leader d’un «front mondial pour la justice», comme vient de le déclarer Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères. Ce «Sud global» a l’avantage des concepts flous et englobants qui semblent attester d’une majorité silencieuse mais n’a aucune réalité politique ou géographique. Il se résume le plus souvent aux BRICS.
Qu’est-ce que les BRICS ont en commun? «Des intérêts», déclare l’ancien ministre des Affaires étrangères brésilien Celso Amorim lors d’un débatorganisé par le Geneva Observer dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) de Genève. Et des valeurs? «Non», tranche le Brésilien, qui rappelle qu’au début il y avait un groupe IBSA, pour Inde, Brésil et Afrique du Sud, tous des Etats démocratiques, auxquels ont ensuite demandé de se joindre la Chine et la Russie pour devenir les BRICS. L’objectif déclaré est un ordre mondial sans domination d’une seule puissance. «Ni les Etats-Unis, ni la Chine», précise l’ancien ministre de Lula.
Problème d’identité russe
Longtemps, les BRICS ont passé pour un habillage marketing plutôt qu’un véritable groupe d’intérêt tant leurs divergences sont nombreuses. Depuis deux ans, l’organisation, qui vient de s’élargir, affiche toutefois de nouvelles ambitions. Elle s’affirme comme alternative à l’«ordre occidental». Quelle alternative? «Les BRICS sont-ils le nouvel horizon d’un monde meilleur ou une simple variante du néolibéralisme?» interrogeait lors de ce même débat l’ancienne ministre malienne de la Culture Aminata Traoré. Après le «néocolonialisme» européen, l’Afrique se questionne sur le «néocolonialisme» chinois, russe, indien, brésilien ou turc.
Le «Sud global» n’a rien de global, tout comme les BRICS ont peu en commun sinon un intérêt à faire contrepoids aux Etats-Unis. Quant à l’«Occident collectif», c’est une invention du Kremlin que même la Chine hésite à reprendre à son compte. Que désigne-t-il sinon un supposé bloc hostile à Moscou? Et où se situe alors la Russie? Est-elle européenne ou orientale? «Les Russes ont toujours un gros problème d’identités contradictoires», note un diplomate chinois. A moins de se laisser convaincre par un abus de propagande, la mise en scène d’une lutte entre «Sud global» et «Occident collectif» n’est en définitive qu’une pure fiction.