No Manga, No Life Vol.1 - Actualité manga
No Manga, No Life Vol.1 - Manga

No Manga, No Life Vol.1 : Critiques

Botsuyû Manga Botsuyû Jinsei - No Comic No Life

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 28 Mars 2024

Avec les bijoux Chiisakobé (pour lequel a été annoncé, tout récemment, une nouvelle édition en coffret deluxe pour la fin d'année), Tokyo Kaido puis L'île aux chiens (d'après l'excellentissime film éponyme de Wes Anderson), Minetarô Mochizuki s'est confortable installé comme un auteur de prestige dans le catalogue du Lézard Noir, si bien que l'on attendait son retour en France avec impatience. C'est désormais chose faite avec la sortie, il y a quelques jours, du premier volume (sur un total de deux) de sa dernière oeuvre en date: No Manga,No Life, de son nom original "Botsuyû Manga Botsuyû Jinsei - No Comic No Life".

Prépubliée au Japon entre janvier 2022 et septembre 2023 dans les pages du magazine Big Comic Original des éditions Shôgakukan, cette oeuvre est tout à fait particulière dans la carrière du mangaka: en ne racontant aucune histoire précise sur la longueur, elle se compose en réalité de courts chapitres de dix pages chacun (voire moins de pages pour les premiers chapitres), globalement indépendants, au fil desquels Mochizuki raconte diverses petits choses sur sa propre vie, d'une façon qui est donc grandement autobiographique, le tout sous les traits de son double immédiatement reconnaissable Mochitarô Minezuki.

L'idée du projet est partie d'une constatation simple: alors qu'il fut un auteur à succès dès ses débuts (avec le cultissime Dragon Head, entre autres), l'artiste, âgé de la cinquantaine bien tassée (désormais, il a atteint les 60 ans le 29 janvier dernier) et père de famille depuis quelque temps, a vu le succès le fuir ces dernières années, ses projets capoter (on pense à "Frederick", manga lancé au Japon en 2020 et mis en hiatus très peu de temps après ses débuts), les doutes s'installer en lui concernant sa faculté à trouver l'inspiration en tant qu'auteur. Et alors qu'il songeait à créer un essai en manga sans savoir comment s'y prendre, c'est son épouse qui lui a suggéré de tout simplement ce à quoi il pense quand il est assis, devant son bureau, à dessiner.

Le résultat se révèle alors très diversifié, dans la mesure où le mangaka couche sur papier ce qui lui passe par la tête le moment venu. Forcément, au vu de l'exercice, cela donne des chapitres parfois inégaux, mais dans l'ensemble chacun d'eux a quelque chose à nous dire sur l'homme qu'est Mochizuki (enfin, Minezuki) sur de nombreux points, puisqu'il est capable de partir dans pas mal de directions différentes.

Certains chapitres le voient aborder différentes choses sur sa famille, comme les allergies de son fils ou ses super-pouvoirs ( ?! ), mais avec tout de même une mention spéciale à son épouse avec son obsession pour les cheveux tondus, sa façon de lui préparer le même smoothie healthy chaque matin dans son verre Playboy, ou sa détermination à monter elle-même un PC gamer de compétition.

D'autres séquences sont l'occasion pour lui de se livrer sur lui-même, voire de poser un regard assez passionnant sur sa personne: ses lunettes, son début d'alopécie, quelques anecdotes de son enfance, l'époque où il faisait souvent de la moto, la fois où il s'est fait renverser par une voiture car il était trop distrait, ses poisses, son incapacité à marcher bien droit, son sentiment d'être souvent en décalage avec son côté dans la lune et son allure de vieux daron... Et quand il ne se livre pas à de simples réflexions sur des choses insignifiantes (par exemple sur le nom de la musique shoegaze), il fait part de ses moments de crise existentielle tels que tout le monde peut en vivre.

Enfin, il y a aussi, bien sûr, tout ce que ce manga a à nous dire sur l'artiste lui-même, cet artiste qui peine justement à retrouver l'inspiration. Au gré de certaines remises en question nous faisant également bien ressentir les hauts et les bases de la vie de mangaka et plus généralement d'artiste créateur, Mochizuki livre également pas mal d'autres petites choses, que ce soit sur son procédé créatif, sur ce que représente le dessin à ses yeux, sur l'accueil mitigé de Tokyo Kaido qui n'a pas eu de succès, sur la genèse de Chiisakobé, sur sa fascination pour le dessin des jambes et des chaussures...

Une autre qualité de l'oeuvre, c'est de mettre tout ceci en images avec sobriété, où l'on reconnaît bien le trait de l'auteur, où il pousse la chose jusqu'à faire de son double Minezuki une copie visuelle parfaite de lui-même, et où les émotions sont toujours contenues (comme elles l'était dans Tokyo Kaido et plus encore dans Chiisakobé). Une sobriété visuelle qui, souvent, jure délicieusement avec une bonne part d'humour un peu pince-sans-rire et passant surtout par les textes, chaque saynète dévoilant en vérité une narration maîtrisée.

A l'arrivée No Manga, No Life demande forcément à ce que l'on adhère à son concept, ce qui peut demander un temps d'adaptation. Mais sitôt que l'on se laisse avoir par cette sorte d'essai autobiographique épisodique, on découvre un manga à-part, assez délicieux dans son genre, et qu'il vaut sans doute mieux déguster à petites doses pour mieux profiter de chaque saynète, de chacune des anecdotes diverses et variées. Et ainsi, au bout du compte, on prend un certain plaisir à découvrir l'homme derrière l'artiste, avec son lot de choses sur ses doutes créatifs, sur ses proches, sur son quotidien, sur ses réflexions, le tout dans une atmosphère teintée d'humour un peu décalé.

Enfin, côté édition française, Le Lézard Noir a choisi de proposer l'oeuvre en grand format cartonné rigide avec reliure de qualité supérieure et présence d'un signet marque-page. Cela change des éditions de Chiisakobé ou de Tokyo Kaido qui étaient en format souple (L'île aux chiens, lui, était déjà en format cartonné, mais dans des dimensions plus grandes), mais il faut avouer que l'objet est assez joli, encore plus avec sa couverture différente de la version japonaise et faisant joliment ressortir le côté introspectif et un peu dans la lune du mangaka. A l'intérieur, le papier est souple et assez épais malgré une très légère transparence, l'impression est bonne (on regrettera juste que l'imprimeur ne soit pas précisé, puisqu'on a juste droit à un vague "Imprimé en U.E."), le lettrage est propre, et la traduction effectuée par Constant Voisin sonne vraiment juste dans ses tournures de phrase et dans ses petits décalages de langage.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs