Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Sarrazin : "Odermatt m'a pris dans ses bras, il était désolé que ça se termine comme ça"

Mis à jour 28/03/2024 à 09:31 GMT+1

Il a pris une nouvelle dimension cet hiver pour devenir l'un des meilleurs skieurs du monde. Cyprien Sarrazin est revenu sur sa saison exceptionnelle dans un entretien accordé à Eurosport. Il a vécu des moments forts avec son ami Marco Odermatt et tous ses proches, qu'il associe à son succès. Le Français n'est plus perçu de la même manière. Mais il se regarde différemment lui aussi.

Kitzbühel, Odermatt, ses proches : Sarrazin, la séquence émotions

Cyprien Sarrazin, on vous voit un peu partout dans les médias, comment vivez-vous cette frénésie autour de vous ?
Cyprien Sarrazin : J'en profite ! C'est chouette que ça arrive, déjà. C'est une certaine récompense. Je le prends comme ça et je le fais avec plaisir, sinon je ne serais pas là ! Ce sont des bons moments.
Vous êtes devenu l'un des meilleurs skieurs du monde. Comment avez-vous ressenti ce changement de perception dans le regard des autres ?
C.S. : Je l'ai senti au fur et à mesure de la saison. Dans mon milieu, je l'ai senti dès les Etats-Unis, lors des deux entraînements de Beaver Creek. Le regard sur moi avait changé. Les coaches des autres nations me regardaient différemment. Mes coaches, ils savaient que j'étais capable de faire ça, ça ne les a pas étonnés. J'ai vu cette évolution au fur et à mesure, c'était chouette.
Et intérieurement, comment avez-vous géré cela ?
C.S. : Intérieurement, c'est quand mon regard a changé sur moi-même que j'ai vu le regard des autres changer sur moi. Maintenant, j'aime me regarder skier, c'est déjà une bonne évolution. Ça a été assez naturel, ce que j'ai mis en place pour devenir moi-même. Ça a été un beau chemin.
picture

Sarrazin : "Je me suis dit : je peux mourir tranquille !"

C'est une nouveauté d'aimer se regarder skier ?
C.S. : Oui, complètement. Il y avait eu une course à Alta Badia en 2016 où j'avais gagné en parallèle, j'avais kiffé regarder ma finale. Mais après… Il y a eu d'autres courses comme à Val Gardena l'an dernier, où j'ai fait 6e avec le dossard 61, mais c'était rare. Et là cette année, j'aime bien regarder toutes mes courses.
Qu'est-ce qui vous fait plaisir quand vous vous regardez skier ?
C.S. : La façon dont je skie, mon relâchement. C'est quelque chose que je n'ai pas eu tout le temps dans ma carrière, de temps en temps mais je l'avais vite perdu. J'avais tendance à être sur la défensive, surtout sur les portions pentues. Et là de voir cet engagement, cette concentration, j'ai l'impression de me voir m'amuser. Et puis de voir les commentateurs, leurs émotions. Arriver à transmettre des émotions en skiant, à des personnes qui en transmettent encore plus, toute cette communion et cette énergie qui passe, c'est chouette.
Parmi les commentateurs, il y a d'anciens skieurs, des skieurs qui ont gagné. Cela doit être particulier de les rendre fiers…
C.S. : Oui, je les connais en plus de ça. Comme Jo (Clarey), j'avais pu partager toute la saison dernière avec lui, on avait beaucoup échangé. Et là de le voir commenter comme ça… Il est naturel à ce moment-là, ça sort du fond du cœur. Ça veut dire beaucoup.
picture

Sarrazin nous a fait vibrer : "C'est féérique, c'est magique !"

Avec cette nouvelle dimension, avez-vous dû vous entourer différemment ?
C.S. : Oui, pour travailler cette saison, pour en arriver là, j'ai dû m'entourer, me faire aider. J'ai créé une certaine base de confiance avec des personnes. Et j'ai continué à le faire pour être le plus serein possible et pouvoir skier à tête reposée, parce que je ne peux pas tout gérer. Et à partir du moment où je l'ai compris, derrière ça a quand même été bien plus simple. C'était très important pour moi de m'entourer de gens de confiance, pour pouvoir être juste skieur en fait.
Vous parliez de soulagement à la fin de la saison à Saalbach. Cela veut dire qu'il y a eu de la souffrance cette saison ?
C.S. : En un an, j'ai énormément souffert pour ensuite être heureux. Après, avec la blessure en Norvège, ça a été un peu plus compliqué. Malgré toute l'euphorie d'avant, et même si ma saison était déjà réussie, il y avait un truc qui bloquait encore un petit peu. Il y a eu déjà de la souffrance physique parce que j'étais blessé. Des doutes aussi, je ne savais pas si j'étais capable de revenir à temps pour faire cette finale. Et si j'avais vraiment envie d'y retourner. Mais je suis très fier de moi. Et c'est là où m'entourer de personnes de confiance, de travailler avec un ami comme Valentin Giraud Moine (son manager, NDLR) qui a ce recul, parce qu'il a été un athlète avec un énorme palmarès et des énormes blessures aussi, ça a été une source d'inspiration.
Il m'a bien aidé à ce moment-là en me disant 'si tu ne le sens pas, n'y va pas'. À partir de ce moment, je me suis dit que je pouvais choisir. Et au retour, je me suis demandé pourquoi j'avais douté de moi. Pendant un mois, dans ma tête, j'ai dû lâcher complètement pour me soigner, et ensuite m'y remettre. Et je me suis prouvé dans les finales avec le Super-G (4e) que je pouvais être là après un mois sans skier. Ça, j'en suis très fier, et c'est à l'image de toute cette année.
A Saalbach, il y a cette dernière image sublime avec Marco Odermatt, la descente en godille, est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous est venue l'idée ?
C.S. : On a passé la journée ensemble avec Marco, on était au Team Hospitality, l'un à côté de l'autre. Il y avait tout le monde, mais avec Marco on discutait un peu tout au long de la matinée en attendant les décisions. On parlait de tout et de rien, d'où il allait partir en vacances… Et quand on a appris que c'était annulé, on s'est pris dans les bras. Il m'a dit qu'il ne se sentait pas bien, qu'il était désolé que ça se termine comme ça. Je sentais vraiment que c'était sincère. En même temps, il avait une forme de soulagement aussi, parce qu'il sentait que je revenais. Il m'a dit qu'il aurait aimé partager ce dernier duel de la saison. Je pense comme tout le monde, et moi aussi. Ça fait partie du sport, il faut l'accepter.
Après, on a eu naturellement l'idée de descendre ensemble. On faisait un peu n'importe quoi, des sauts… et on se disait que les conditions n'étaient vraiment pas bonnes. Donc on s'arrête avant le dernier mur et là je lui dis 'viens, on se fait un parallèle synchro' pour remercier le public. Donc on est partis, et sans même se faire un 'top' à chaque fois, on l'a fait naturellement en se regardant l'un l'autre. C'était chouette, parce qu'elle était plutôt bien réussie cette synchro ! Donc ça montre qu'on a cette connexion, et les mêmes valeurs qu'on essaie de transmettre. Et aussi qu'on peut être des rivaux en bonne amitié.
Qu'est-ce que ça représente pour vous de rivaliser avec une légende comme Odermatt ?
C.S. : Il a déjà marqué l'histoire, bien plus que la légende… Je suis fier de pouvoir me battre avec lui et de partager ces moments. Et lui en est très content aussi, il espère que ça continue. Il y a cette bataille avec lui, mais aussi avec tout le monde, tout le circuit. Il y a ce duel avec Marco qui a fait vibrer tout le monde, mais de l'intérieur, ce que je retiens, ce sont les moments de partage, de vie qu'on a dans le groupe, qui m'ont permis de m'élever.
On sent que chez vous, la notion de groupe est très importante…
C.S. : Oui. Au final, on fait un sport individuel, on est seul avec le chrono, on est seul au départ… Mais avant ça, on vit en groupe, on est une équipe et on passe la moitié de l'année ensemble. C'est là où on apprend le plus, c'est là où on partage toutes ces émotions. Le temps de ski, en un an, c'est 40 minutes de descente. Le reste… On ne fait pas que du ski.
A Kitzbühel, votre vie a changé en deux minutes, entre le moment du départ et celui de l'arrivée. Avez-vous senti quelque chose de particulier dans le portillon de départ ?
C.S. : J'ai des frissons encore… Oui, j'ai ressenti des choses, mais j'ai encore du mal à les exprimer vraiment. Je les ai vécues, je les ai assimilées, mais avant de mettre des mots dessus, je pense que ça va être un peu compliqué. Il s'est passé des choses, avant cette course, pendant cette course et après cette course. Mais je ne pourrais pas vraiment dire quoi. Toute cette journée, avec ce qui s'était passé la veille, le matin, la décontraction que j'avais, j'avais l'impression que quelqu'un m'aidait… C'était chouette. Je pense qu'il y a plein de personnes qui ont compté pour moi dans ma carrière pour faire cette descente de rêve.
picture

"Schwarzi m'a dit 'bravo pour ton discours'" : Sarrazin raconte sa soirée mythique à Kitzbühel

Avant cela, la première image qu'on a de vous cette saison, elle était frustrante avec votre sortie de piste à Val Gardena. Qu'est-ce qui s'est passé dans votre tête après cette course ?
C.S. : C'est vrai que quand j'ai regardé la course, je m'en suis voulu, vraiment beaucoup. Je me disais que je n'avais pas le droit de faire cette erreur. Mais après, on a analysé avec les coaches, il y a d'autres choses qui ont été prises en compte et au final, c'était une très petite erreur. Ça, les coaches ont très bien réussi à me le dire. Même tous les athlètes, Adrien Théaux a eu des mots très importants qui m'ont remobilisé pour le lendemain. Il m'a dit "ne t'inquiète pas, tu as le ski, ce n'est pas parce que tu as raté une course que ça va tout changer, au contraire tu vas apprendre et demain tu seras plus fort."
Sur le coup, j'étais encore un peu énervé ! Mais avec un peu de calme, de recul, l'équipe qui m'a mis en confiance, on a analysé cette erreur-là et ce n'était pas une erreur où mon cerveau avait lâché comme les années d'avant. L'analyse, la discussion avec les coaches, écouter mes sensations, c'est ce que j'ai travaillé cette année. Je me suis dit que ce n'était pas une 'vraie' erreur, que je n'allais pas m'arrêter là-dessus.
On a l'impression que cela a agi comme un déclic pour la suite…
C.S. : Exactement. Et puis je me suis dit qu'il fallait bosser. Que le ski était là mais qu'il y avait encore deux ou trois trucs à travailler. Le déclic, il arrive un poil après, quand je me dis "t'as le droit d'aller gagner".
picture

"Autorise-toi à gagner" : Sarrazin, le déclic

Derrière, il y a une séquence d'une dizaine de jours entre Wengen et Kitzbühel où vous êtes en état de grâce…
C.S. : On m'a dit que j'étais sur un petit nuage, que je volais… En fait j'avais les pieds sur terre, j'avais construit tout ça. Ce n'était pas un état de grâce comme en 2016, quand j'ai gagné le parallèle. Là, on peut dire que les planètes se sont alignées et que j'étais sur mon nuage. Je ne touchais pas terre et je n'ai jamais réussi à comprendre comment ça s'était passé. Là c'est concret, j'ai réussi à évoluer tout au long de la saison et j'ai continué à être performant. Il y a eu la blessure derrière, mais j'ai aussi analysé, j'ai compris le truc.
Qu'avez-vous compris avec cette blessure à Kvitfjell?
C.S. : Qu'il y avait encore du boulot ! Qu'il y avait encore certaines choses à gérer, un nouveau statut, le regard sur moi, les nouvelles attentes aussi. Plein de choses qui sont arrivées à la dernière minute. Il y a ce que j'avais géré avant pour arriver libéré, mais au final, au dernier moment, il m'est arrivé des trucs qui m'ont un peu déstabilisé, des décisions de la FIS qu'on ne peut pas vraiment gérer. Ça m’a sorti un peu de ma routine, et là j'avais une fragilité. J'ai envie de travailler sur ça, pour être prêt sur ça. Mais je découvre, ça ne fait que deux ans que je fais de la descente, je n'ai pas encore balayé tout ce qui peut nous arriver.
Vos coaches nous ont dit que vous n'aviez pas besoin de skier à 100%, qu'à 90% ça suffisait pour gagner. C'est ce que vous vous êtes dit à Wengen et Kitzbühel ?
C.S. : Oui. Là je suis dans ma zone de confort. Il ne faut pas trop que je dise ça pour ne pas dénaturer le niveau d'engagement que ça demande, ou la performance. Mais pour moi, c'était ça, travailler sur le fait d'être 'safe', de contrôler les risques, comment gérer tout ça. Ça passe par moi, me dire d'y aller sereinement.
picture

"Regarde, tu as un bout de filet sur le ski" : Sarrazin est allé "à la limite" avec succès

C'est compliqué, parce que c'est votre nature qui vous permet d'aller plus vite que les autres. Comment placer le curseur pour ne pas trop vous dénaturer ?
C.S. : C'est en constante évolution. Peut-être que dans deux ans, je me dirai que je peux y aller à 110%. Mais à ce stade de ma carrière, après l'année dernière où je me mettais dans le filet à chaque fois quand j'étais à 100%, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose. Avec cette décontraction et ce flow que j'ai trouvé, je n'ai pas besoin d'être à 100% pour aller vite. Mais au final, est-ce que ce n'est pas ça, mon 100% ? C'est ça qui est super intéressant.
Vos coaches disent que la vitesse est plus facile à appréhender parce que vous avez plus de temps dans les courbes. Il se passe quoi dans votre tête à 120-130 km/h pour que ce soit plus facile qu'en géant par exemple ?
C.S. : Je pense que ça a été plus facile pour moi parce que je m'amusais. Mais ce n'est pas plus facile. Je l'avais compris comme ça au début mais ce n'est pas ça. Là, avec le travail que j'ai fait, je peux être performant en géant, ça va être l'objectif pour la saison prochaine. On va voir, je suis curieux. Mais ce qui est sûr, c'est que j'ai trouvé ce déclic en me faisant plaisir, en retrouvant du plaisir sur les skis. C'est passé par de la vitesse parce que j'ai ça en moi, et là j'ai découvert ce que j'ai vraiment en moi. Oui, il y avait plus de temps pour faire des choses, mais à 140 km/h sur la glace ce n'est pas plus simple !
Il a eu du temps, Cyprien Sarrazin, pour revenir un peu au calme cette saison avec sa sœur et ses parents ?
C.S. : Oui. Pour Noël, je suis descendu, j'ai vraiment profité. En plus, le lendemain de Noël, on partait pour l'enfer sur Terre, Bormio. C'est difficile de profiter de ces moments en famille, de se lâcher, d'oublier tout ce qui va arriver. Et cette année j'ai réussi à le faire pour repartir serein le lendemain et profiter du moment présent à Bormio. Et j'ai réussi à me faire plaisir sur cette piste qui est terrible. Il s'était passé quelque chose. Je me suis dit que j'allais redescendre fêter ça avec ma famille. Parce que j'en avais envie et que je le méritais. Et j'ai passé dix jours chez moi, ça ne m'était jamais arrivé depuis le début de ma carrière sans être blessé. Il y a eu un déclic, un truc. Derrière quand je suis reparti, j'étais plein d'énergie. Et leur en ai redonné derrière donc c'était chouette.
picture

"Pas trop mal ça je crois !", la descente supersonique de la gagne pour Sarrazin

Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité