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"C'est du temps perdu": les entrepreneurs soulagés de la suppression à venir des formulaires Cerfa

Si les chefs d'entreprise se réjouissent de la volonté du gouvernement de simplifier les démarches administratives, l'annonce de la suppression des formulaires Cerfa laisse une partie d'entre eux dans l'expectative.

"C'est un temps improductif au possible". A la tête d'un cabinet spécialisé dans la gestion immobilière à Juvisy-sur-Orge (Essonne), Frédéric Garnier a l'habitude de remplir des formulaires Cerfa en tous genres. Régulièrement sollicité par ses clients pour les aider à compléter ces documents administratifs, ce chef d'entreprise constate à quel point "c'est une source d'anxiété chaque année pour eux, et c'est pour cela que nous devons les accompagner".

La situation devrait s'améliorer dès 2026. C'est du moins ce qu'a promis Bruno Le Maire ce mercredi dans une interview au Monde. A cette date, 80% des Cerfa seront préremplis par l'administration, avant que ces formulaires ne soient "définitivement" supprimés d'ici 2030, a assuré le ministre de l'Economie. "Ce serait un gain de temps, ça simplifierait", reconnaît Jean-Matthieu Delacourt, président de la Fédération des très petites entreprises (TPE).

Acronyme de "Centre d'enregistrement et de révision des formulaires administratifs", le terme Cerfa est aujourd'hui entré dans le langage courant pour désigner l'ensemble des documents de l'administration mis à disposition des particuliers et des entreprises pour effectuer toutes sortes de démarches. Le site service-public.fr en recense près de 2.000: plus de 800 pour les particuliers (Formulaire 12485*03 pour déclarer son médecin traitant, Formulaire n°2042 pour déclarer ses revenus, Formulaire 15481*01 pour demander la prime d'activité ou le RSA...) et plus de 1.100 destinés aux entreprises (formulaire de création d'entreprise, de déclaration de TVA, de demande d'autorisation de construire...).

"Quand on voit un Cerfa, on a peur"

Cette accumulation de documents irrite nombre d'entrepreneurs. Au-delà de ses clients, Frédéric Garnier dit lui même être confronté à une "quantité d'administratif" en tant que chef d'entreprise, avec des "Cerfa de liasses fiscales, de distribution de dividendes, de renouvellement de carte professionnelle, de garantie financière, de médecine du travail, de responsabilité civile professionnelle...". Au point de créer "un agenda Excel avec les jalons des obligations à ne pas manquer".

Directeur d'un magasin de vélos à Reims (Marne), Thomas Murgia a aussi fait l'expérience des formulaires Cerfa qu'il décrit comme "plus qu'une institution, une religion à la française". "Ma femme est médecin libérale et je suis chef d'entreprise. Nous croulons sous le poids de l'administration", témoigne-t-il.

L'été dernier, à trois reprises, il raconte avoir reçu la visite de fonctionnaires de sa ville lui demandant de payer un droit d'étalage de 42 euros et de remplir un formulaire Cerfa pour permettre à ses clients de déposer leurs vélos devant son commerce: "Voilà le quotidien des entrepreneurs. Vous créez de l'emploi et l'Urssaf vous met des bâtons dans les roues. Et quand vous ne remplissez pas le bon Cerfa, vous avez des fonctionnaires qui se déplacent pour vous réclamer 42 euros", s'agace Thomas Murgia. "Donc oui, quand on voit un Cerfa, on a désormais peur".

Les Experts : Simplification, peut-on enfin  y croire ? - 16/02
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Une annonce "audacieuse"?

La promesse de Bruno Le Maire d'alléger la paperasse des entreprises est globalement bien accueillie par les premiers concernés: "Tout ce qui va dans le sens de la simplification, d'une plus grande efficacité, d'un allègement des charges administratives -surtout des TPE et PME- va dans le bon sens", se félicite Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Ile-de-France et du think tank Étienne Marcel. Pour lui, cette lourdeur administrative est devenue "difficile à vivre" et parfois "ingérable". "C'est du temps perdu", résume-t-il.

Mais tous ne sont pas convaincus par la capacité du gouvernement à engager un véritable choc de simplification: "L'annonce du ministre de l'Économie apparaît audacieuse, d'autant que le chantier est titanesque et que les demandes d'information par l'administration sont protéiformes", assure Philippe Duportail, à la tête d'un cabinet d'expertise comptable à Dunkerque (Nord).

S'il se montre aussi dubitatif, c'est aussi parce qu'il a pu constater que l'État a parfois du mal à passer des paroles aux actes en matière de simplification. En témoigne le guichet unique censé alléger les démarches des entreprises mais "qui ne cesse de défrayer la chronique depuis un an", rappelle l'expert-comptable. "L'expérience du guichet unique est la preuve flagrante qu'une simplification par la simple suppression de Cerfa ne va pas alléger les entreprises: un formulaire qui prenait un quart d'heure à compléter et qui nous prend aujourd'hui entre une heure et une heure et demie", souffle-t-il. Et d'affirmer que "les professionnels du droit et du chiffre finissent par jeter l'éponge et confier les missions déclaratives à des formalistes, des 'cerfateurs professionnels'", tant "les déclarations simplifiées pour l'État sont un calvaire".

Des informations moins nombreuses et mieux transmises

Plus qu'une suppression des formulaires Cerfa, Philippe Duportail souhaite que l'administration pose moins de "questions saugrenues" et exige moins d'informations auprès des entreprises à la moindre modification nécessitant une nouvelle déclaration. "Il faut en amont faire simple et intelligible. (...) Le gain serait plutôt la chasse à l'information inutile ou qui n'existe pas. Car, quoi qu'on en dise, le Cerfa est historiquement prévu pour recueillir l'information utile et uniquement celle qui est utile. Le sujet problématique provient plus du surplus d'informations".

L'autre revendication portée par les chefs d'entreprise, c'est une meilleure coopération avec et entre les différentes administrations: "A chaque fois qu'il y a une modification, il faut refaire un Cerfa de A à Z. On doit tout retranscrire (...) alors que l'administration a déjà les données principales", s'étonne Bernard Cohen-Hadad. Sans compter qu'il faut parfois envoyer le même formulaire à plusieurs organismes, et pour une même demande. Une absurdité dénoncée par Frédéric Garnier qui estime que "la suppression des Cerfa" mais "plus globalement la simplification de l'administratif avec le croisement des données" entre les administrations "doit être un chantier sur lequel l'État doit se pencher".

Des formulaires supprimés, d'autres simplifiés

S'ils approuvent dans leur grande majorité l'objectif de simplification, les entrepreneurs attendent d'en savoir plus sur la suppression des formulaires Cerfa. "Attendons de voir par quoi cela va être remplacé", tempère Jean-Matthieu Delacourt qui craint un "nouvel effet d'annonce" à l'image du "guichet unique qui n'a d'unique le nom". Lui plaide pour une véritable "plateforme gouvernementale" sécurisée sur laquelle chaque entreprise pourrait effectuer la déclaration qu'elle souhaite avant que celle-ci ne soit automatiquement transférée aux différentes administrations concernées.

De son côté, Philippe Duportail craint d'ores et déjà que l'on ne "s'oriente immanquablement vers une digitalisation à marche forcée via des outils moins simples qu'un Cerfa (...)". "Demain, sans formulaire dédié, sinon une page internet modifiable à vau-l'eau par l'administration, quelle preuve détiendra l'émetteur de la déclaration sur un imprimé qui aura disparu?", questionne-t-il. Des inquiétudes partagées par Frédéric Garnier qui se demande "comment l'État français s'y prendra". "Est-ce que la disparition des formulaires sera la conséquente d'une amélioration de notre système de traitement de l'information, ou la conséquente d'un travail de saisie supplémentaire demandé aux Français?".

Interrogé par BFM Business, Bercy tient à rassurer et confirme que si "certains formulaires seront complètement supprimés, les autres seront radicalement simplifiés et pré-remplis, dès lors que l'administration détient déjà les informations". "Il suffira de vérifier les informations et de les compléter si nécessaire", ajoute-t-on au ministère de l'Économie. Avant de préciser que "des formulaires papier resteront disponibles pour ceux qui en font la demande".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco