Environnement

"Une empreinte écologique aussi grande que celle de l’aviation" : le numérique, vraiment au service de l’environnement ?

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InfoPar Sophie Mergen avec Martin Bilterijs

Envoyer un mail, "scroller" sur son smartphone, faire du télétravail. Les technologies numériques sont devenues omniprésentes dans nos vies.

Souvent, dans l’imaginaire collectif, nous avons l’impression que la dématérialisation est positive pour l’environnement. Moins de papier, moins d’arbres coupés.

Mais ce n’est pas aussi simple que cela. Le numérique a un impact insoupçonné sur le climat. On estime qu’il représente jusqu’à 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Soit, autant que le secteur aérien. Et toutes les prédictions indiquent que cette part va augmenter.

Le poids du numérique, plus lourd qu’il n’y paraît

"Si internet était un pays, il serait le troisième consommateur d’électricité au monde, après la Chine et les Etats-Unis" lance Steve Tumson, référent "énergie et circularité" pour l’Agence du numérique.

"Si on imaginait que le numérique consomme la même chose que maintenant jusqu’en 2050, mais que les autres secteurs s’alignent sur les accords de Paris, on arriverait à une situation où le numérique représente 35% des émissions de gaz à effet de serre en 2050" détaille David Bol, professeur à l’Ecole Polytechnique de l’UClouvain.

Dans un rapport de 2018, The Shift Project, une association française de lutte contre le réchauffement climatique, estimait qu’en 2025, le numérique représenterait 8% des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le secteur automobile.

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TECHNOLOGIES-TELECOMS-INTERNET © AFP – ALAIN JOCARD

Le stockage de données, (trop) énergivore ?

Mais qu’est-ce qui consomme exactement ? "Tout d’abord, c’est la fabrication des appareils" explique David Bol, spécialiste de l’impact du numérique sur l’environnement. "Il y a au moins autant de dispositifs que d’utilisateurs. Autrement dit, des milliards".

C’est une grande préoccupation

Ensuite, il y a les centres de stockage de données. "Les datacenters consomment énormément d’énergie. Avec l’intelligence artificielle, ces centres de stockage sont en forte croissance. C’est une grande préoccupation pour les scientifiques".

"Un grand datacenter consomme autant qu’une ville de 100.000 habitants" ajoute Jonas Moerman, conseiller énergie chez Ecoconso. "Avec la 5G, par exemple, la consommation de données explose. On a besoin de beaucoup plus de datacenters. L’industrie va donc complètement à contre-courant des préoccupations écologiques".

C’est de l’obsolescence psychologique

Pour Jonas Moerman, il n’y a pas assez de réflexion sur l’utilité réelle de certaines technologies. Il observe le même phénomène en ce qui concerne la consommation d’appareils électroniques. "On aime bien le neuf, avoir les derniers modèles. C’est de l’obsolescence psychologique. Il faut qu’il y ait un ralentissement de la consommation".

Que peut donc faire le consommateur à son échelle ? "La première chose, c’est éviter de se suréquiper. Il faut essayer de diminuer le nombre d’appareils et augmenter leur durée de vie. Par exemple, acheter reconditionné" avance Jonas Moerman.

Pour David Bol, la responsabilité ne doit pas (trop) reposer sur le consommateur. "C’est surtout le monde politique et l’industrie qui n’en font pas assez. La prise en compte de l’impact écologique du numérique n’est pas suffisante, même si elle commence à se répandre en Belgique et en Europe. Au niveau mondial, cela reste marginal".

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Les entreprises commencent à s’adapter

Plus que les consommateurs, les entreprises ont un rôle important à jouer dans la réduction de l’empreinte carbone du numérique. "Depuis deux ou trois ans, on sent vraiment une prise de conscience" analyse Steve Tumson, consultant numérique pour les entreprises. "Pourtant, il y a quelques années encore, cet enjeu était inaudible pour les sociétés".

A la STIB, Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles, la réflexion est en marche.

Entre les systèmes technologiques embarqués dans les bus, les afficheurs, les 700 logiciels ou encore les 3 datacenters, le numérique à la STIB émet 7300 tonnes de CO2 chaque année. Cela représente un peu moins de 4% du bilan carbone total de la STIB.

On avance du mieux qu’on peut

"On essaie de réduire ce bilan du mieux qu’on peut" explique Bernard Weyers, responsable de l’empreinte carbone du numérique à la STIB. "Depuis trois ou quatre ans, tout ce qu’on achète doit répondre à des critères environnementaux. C’est dans le cahier des charges".

"On essaie aussi de rallonger la durée de vie des équipements. Avant, on était sur des durées de trois ans. On remplaçait sans réfléchir. Aujourd’hui, on essaie d’atteindre une durée de vie de cinq ou six ans" détaille Bernard Weyers.

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L’enjeu de l’équipement est également pointé par Jonas Moerman. "Souvent, les entreprises se disent 'on va moins imprimer' pour réduire l’empreinte écologique. Mais le plus gros enjeu, c’est l’équipement".

Ce n’est pas assez pris en compte

"Il y a des amortissements comptables qui font qu’on remplace le matériel tous les trois ou quatre ans. Le point positif, c’est que, souvent, il est revendu ou donné à des associations. Mais le turnover de l’équipement est quand même énorme. Ce n’est pas assez pris en compte".

Entre consommation et économie d’énergie, le numérique flotte

Certains diront que la dématérialisation permet aussi de grandes économies d’énergie dans d’autres secteurs. La visioconférence, par exemple, permet de réduire considérablement le coût écologique du transport.

Alors, au final, la balance bénéfices-risques est-elle vraiment défavorable au numérique ?

"C’est une question très complexe" avance David Bol, de l’UCLouvain. "Il faut observer des situations précises, et ne pas faire d’amalgame à l’échelle de toute la planète".

Le télétravail est assez positif pour l’environnement

"Si on prend l’exemple du télétravail, il est assez positif pour l’environnement". Mais il y a plusieurs paramètres à prendre en compte. Le numérique permet certes la substitution de certaines activités par d’autres, moins énergivores (exemple : la visioconférence plutôt que la réunion en présentiel).

Il permet également l’optimisation de certaines ressources. Mais, selon David Bol, il est impératif d’également prendre en compte l’induction opérée par les technologies.

On oublie souvent de regarder les effets non vertueux du numérique

"Le numérique nous fait consommer plus. Il induit de nouveaux comportements. Par exemple, c’est parce qu’Amazon existe que l’on peut commander des biens à l’autre bout du monde, ce qui est délétère pour la planète. On oublie souvent de regarder les effets non vertueux du numérique".

En fin de compte, où penche la balance ? "Mon impression est que l’impact négatif du numérique est plus important que l’impact positif. Mais c’est difficile d’avoir une comptabilité globale" conclut David Mol.

Actuellement, près de 40% de l’électricité mondiale est encore produite à partir du charbon, selon l’Agence Internationale de l’Energie. Réduire cette part reste un défi pour la transition écologique numérique.

Autre challenge ? Le recyclage des métaux utilisés dans les smartphones et autres appareils qui ont conquis notre quotidien.

Le reportage du Journal de 8h sur La Première

Le journal de 8h

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