Avez-vous déjà vécu un crush ?

Difficile à traduire en bon français : ni flirt, ni coup de foudre, ni béguin. Le crush exprime une attirance secrète, un désir pour quelqu’un, ce sentiment qu’une personne nous plaît. Un nouveau langage amoureux chez les jeunes.

Le crush est-il réservé à une classe d’âge ? Peut-on éprouver un crush, à 40 ans, 60 ou 80 ans ? Le crush est-il si nouveau que ça ?

Invitées :

Olivia Benhamou, psychologue clinicienne, sexologue, psychothérapeute individuelle et de couple. Autrice notamment du Petit guide d’entrée dans la vie sexuelle (Cherche Midi, 2022) ou de Le premier homme de ma vie (Robert Laffont, 2008)
Christine Détrez, écrivaine, sociologue, professeure de sociologie à l’ENS Lyon, chercheuse au centre Max Weber. Elle centre principalement ses recherches autour de la sociologie du genre et de la culture. Auteure de Crush (éd. Flammarion, 2024)
Pauline Gareau, coautrice avec Thomas Emery du livre Survivre à la jungle tinderienne (Leduc, 2023) et du compte Instagram @tinder_et_ses_pepites

Un rapport plus déconstruit à l'attirance amoureuse

Le terme est aujourd'hui très répandu et révèle, quand on le décrypte, que la manière de formuler la perception des rapports amoureux a fondamentalement changé d'une époque à une autre, et que l'attirance prend un tout autre sens dans la tête des plus jeunes. Le phénomène du crush révèle combien l'imaginaire de l'amour est sans cesse en train d'évoluer d'une génération à une autre, au gré des changements de sociétés. Si on n'invente rien d'un point de vue émotionnel et sentimental, c'est un terme qui traduit l'évolution des sentiments amoureux, des façons d'être ensemble, de vivre l'amour, l'attirance, le désir amoureux du point de vue des plus jeunes.

Dans l'édition 2024 du Petit Robert de la langue française, le crush se définit comme un coup de cœur ressenti pour une personne en particulier, le terme sert également à qualifier la personne qui fait l'objet même de cette attirance. S'il peut se rapporter émotionnellement et sentimentalement de manière presque synonyme au "béguin", "au flirt", "au coup de foudre", ou "au coup de cœur", notamment dans la manière d'éprouver une attirance amoureuse pour une personne, la perception et l'utilisation du terme, elles, n'ont précisément plus rien à voir, explique la sociologue Christine Détrez. C'est un mot qui fait avant tout référence à son époque, à la génération actuelle qui l'emploie, au rapport direct que la nouvelle génération entretient avec l'attirance amoureuse en général : "Pour les plus jeunes aujourd'hui, s'il s'agit d'exprimer un état d'attirance, celui-ci ne sous-entend plus directement et automatiquement un côté charnel qu'on pouvait autrefois systématiquement associé au béguin. Le crush est un concept beaucoup plus relatif, nuancé et déconstruit chez les plus jeunes que les emplois du passé. Il formule une étape qui se situe bien en amont, avant que quelque chose qui concrétise. Le but n'est pas de sortir avec la personne, c'est vraiment une sensation individuelle, beaucoup plus finalement qu'un sentiment ou qu'une étape conjugale."

Olivia Benhamousi se joint à la sociologue et estime que si la question de l'émoi, du fantasme, de l'imaginaire que suscite l'idée de la rencontre avec l'autre est quelque chose d'universel et de très ancien, l'inscription sociétale et l'impact des réseaux sociaux sur les nouvelles modalités de rencontres ont conditionné un nouveau rapport d'attirance amoureuse : "Aujourd'hui le crush qualifie plus un état de rêverie amoureuse que le passage à l'acte immédiat et la concrétisation d'une relation amoureuse naissante. Le crush est plus réjouissant et excitant encore que le passage à l'acte. Le crush, c'est cette espèce de petit piment relationnel en attendant que la chose se fasse potentiellement ou non, après quoi c'est la fin du crush".

Le crush encore très genré

Les filles en parleraient beaucoup plus facilement que les garçons. C'est ce qu'a constaté la sociologue. L'autorisation sociale de parler du crush ou de ressentir des crushs serait plus genrée qu'on le pense, tant il subsiste des différences très fortes selon le genre dans la socialisation aux émotions en général : "En effet, pouvoir parler de ses émotions, ce n'est pas autorisé ni permis de la même façon aux petits garçons, qu'aux petites filles, qu'aux jeunes filles, qu'aux jeunes hommes. Les codes de l'amour sont encore extrêmement stéréotypés dès le plus jeune âge. Les filles sont nettement socialisées à aimer l'amour et les garçons, au contraire, pour être de vrais garçons, rejettent tout intérêt pour la romance. Raison pour laquelle le crush est encore si féminisé..."

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