"Si tu n'as pas de badge, tu ne rentres pas !" : ils défient les dealers en montant la garde dans leur hall d'immeuble

par L.H | Reportage "Sept à Huit" Michael Guiheux, Thibault Saingeorgie, Julien Dumont
Publié le 25 mars 2024 à 12h05

Source : Sept à huit

Les équipes de "Sept à Huit" se sont immergées dans les cités françaises gangrenées par le trafic de stupéfiants.
Un reportage exceptionnel qui montre comment les habitants sont contraints de cohabiter au quotidien avec les dealers.
C'est notamment le cas à Besançon, où des résidents d'un bâtiment n'hésitent pas à monter la garde dans le hall d'entrée.

Des riverains qui s’improvisent vigiles de hall d’immeuble. Au moment où le président Emmanuel Macron et son gouvernement lancent une nouvelle offensive policière d'envergure contre le trafic de drogue en France, certains quartiers sous l’emprise des trafiquants sont de plus en plus souvent en reconquête par les habitants eux-mêmes, comme le montre le reportage de "Sept à Huit" à retrouver en intégralité ci-dessus. C’est le cas des résidents du bâtiment "Le Molière", niché dans le quartier populaire de Planoise, 20.000 habitants, à Besançon. Dans ce quartier, on compterait entre trois et cinq points de deal, certains devant des commerces. Chacun d'eux générerait plusieurs milliers d'euros par jour. 

Table de pique-nique à la main, Béatrice et Jean-Louis s'apprêtent à défier les dealers. Du matin au soir, des dizaines de clients défilent dans le hall de leur immeuble. Avant l'arrivée des trafiquants, ces copropriétaires vont occuper le point de deal pour les empêcher de s'y installer. Ils constatent l’état de dégradation et d’insalubrité de l’entrée : déchets au sol, odeur d’urine, graffitis au mur, caméra de surveillance endommagée ou détruite...

"Ils viennent jusqu’à la poubelle, qui sert de comptoir. Le dealer est derrière en disant : "Il te faut quoi ? Il te faut du hasch, du crack ?" Ils échangent le fric, puis au suivant", décrit Jean-Louis. Au mois d’octobre, l’équivalent de 80.000 euros de drogue ont été saisis dans le bâtiment, rapporte-t-il encore. Depuis un an et demi, Jean-Louis et Béatrice ont tout essayé : installer des caméras, alerter les pouvoirs publics, en vain. Soutenus par quelques voisins et sans autre solution, ils espèrent faire déménager les trafiquants en occupant le hall d’entrée. 

La valeur des appartements en chute libre

À 10h30, comme chaque jour, deux jeunes guetteurs viennent ouvrir le point de deal. "Si tu n’as pas de badge, tu ne rentres pas !", lance avec fermeté un locataire du "Molière". Déterminés à passer, les dealers prétendent venir voir un proche que les copropriétaires soupçonnent d'être un complice. Finalement, les dealers abandonnent le hall pour se rabattre sur l'épicerie voisine, dont ils détiennent les clés. "Si on veut utiliser la force, on peut. Mais on ne veut pas le faire", répond un trafiquant à Jean-Louis et ses camarades.

Des dealers qui assurent malgré tout "comprendre" leur mécontentement. "Mais s’il n’y a pas de trafic, on ne peut pas faire vivre notre famille. Lui, il est petit, il n’a même pas de famille. Qui va l’aider ? S’il n’a pas où dormir, s’il n’a pas où manger, comment il va se concentrer pour ses études et pour le travail ?", lâche l'un d'entre eux, en pointant du doigt un jeune garçon. "Nos mères galèrent. Ne croyez pas qu’elle dit : "Mon fils, lève-toi et va vendre de la drogue". Non, elle ne veut pas, mais quand on lui tend le billet, elle n’aura pas d'autre choix que de le prendre. Parce qu’il n’y a pas à manger, pas assez…", poursuit-il. 

Sauf que pour de nombreux habitants, la situation est devenue invivable. Au "Molière", Béatrice avait acheté un appartement pour aider son fils de 24 ans. Mais il y a trois semaines, il a dû partir après avoir été menacé par les dealers du hall. En 2011, le studio de cette professeure de lycée à la retraite valait 41.000 euros. "Mais si je veux le revendre sur le prix du marché aujourd'hui, je ne peux même pas le proposer à 20.000 euros. Personne ne veut venir ici. Ce n’est pas juste. On est dans un État de droit. Et moi, j'ai très envie que tout ça, ça s'arrête. Je veux dire qu'il faut qu'on puisse vivre normalement dans un pays comme la France", se désole Béatrice. 

En bas de l'immeuble, l’occupation continue et les clients affluent, pensant trouver leur point de deal ouvert, et se retrouvent à échanger avec Jean-Louis et son groupe. "Est-ce que vous avez conscience du problème des habitants qui sont ici ?", demande une résidente. "Je sais que j’y contribue d’une certaine manière parce que c'est moi qui alimente le réseau. Mais c'est une maladie, c'est l'addiction. Je suis consommateur de cocaïne depuis cinq ans. J'ai déjà fait cinq cures. Je n'y arrive pas", raconte un des clients. 

Les copropriétaires du bâtiment "Le Molière" occupent le point de deal depuis un mois et demi, mais dès qu'ils sont absents, les trafiquants reviennent. Alors que faire face au trafic de drogue ? Avec plus de 3000 points de deal, la question se pose partout dans notre pays. Chaque année, les Français dépenseraient plus de 4 milliards d'euros en produits stupéfiants. Ils sont même les premiers consommateurs de cannabis en Europe. Un marché pour lequel s'affrontent des réseaux toujours plus nombreux et toujours plus violents. L'an dernier, l’on dénombrait 418 assassinats, tentative de meurtre ou règlement de compte, soit 38% d'augmentation en un an. 

Retrouvez l'intégralité de l'enquête de "Sept à Huit" dans la vidéo en en-tête de cet article. 


L.H | Reportage "Sept à Huit" Michael Guiheux, Thibault Saingeorgie, Julien Dumont

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