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On n'est pas des pigeons

"Je dirige l’argent, ce n’est pas l’argent qui me dirige", le séminaire "Les Clés du Succès" interpelle

Les pigeons ont infiltré "Les clés du succès"

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InfoPar Valéry Mahy

Pour percer les mystères derrière "Les Clés du Succès", et n’ayant pas reçu de réponse positive à nos demandes de tournage, nous avons décidé d’infiltrer ce séminaire. Nous n’avons pas été déçus !

Ce séminaire est surprenant à plus d’un titre. Rarement, nous avons rencontré des avis aussi contrastés sur un évènement : "Qu’est-ce que c’était que ce truc-là !" se souvient, en levant les yeux au ciel, Nathanaël Picas, ancien participant aux Clés du Succès. "J’avais des larmes qui coulaient et tout. C’était comme une libération en somme." témoigne Laurence Dee Mil, après sa cinquième participation aux Clés du Succès. "Je trouve que ce sont des séminaires dangereux." analyse, lui, Olivier Caeymaex, coach et ancien participant aux Clés du Succès.

Dans la boîte e-mail des Pigeons, on nous a rapporté leurs pratiques insolites, comme cet exercice où il serait question de brûler un billet de 100 euros.

Embrigadement subtil

Séminaire Les clés du succès
Séminaire Les clés du succès © On n’est pas des pigeons

Six cents personnes ont déboursé jusqu’à mille euros pour accéder à cette salle bruxelloise qui accueille pour trois jours cette nouvelle édition des Clés du Succès. Incognito, une équipe du magazine On n’est pas des Pigeons en fait partie.

Première surprise à l’entrée, l’accueil se fait tout en sourire, avec des high five (tope là). Comme dans une secte, on pratique ici le love bombing, le bombardement d’amour. "Vous voulez plus d’Amour ?" peut-on d’ailleurs lire sur l’écran géant de la salle où la foule s’agglutine. "Combien parmi vous sont prêts à vivre trois jours extraordinaires ?" demande alors le chauffeur de salle.

L’un des orateurs lance assez rapidement de belles promesses : "Je vais vous amener un modèle qui va vous rendre chaque jour plus riche. […] Il y a des robinets de pognon partout ! Il y a plus de pognon, que d’eau, que d’air, que tout ce que vous voulez ! […] Vous savez combien ça m’a ramené ? 160.000 euros. En une journée, je me suis fait 160.000 euros. […] Faites un high five à la personne à côté de vous et dites : "I’m a success machine !""

Leurs demandes de participation au public sont perturbantes, mais nous n’avons pas le choix, si nous voulons passer inaperçu, nous devons participer à 100%.

Vient ensuite une série de mantras récités en chœur, "avec une main sur le chakra du cœur" : "Je m’engage à 100% !" ; "Je crée mon succès et la vie dont je rêve." ; "Je vis ma passion."

Il y a une utilisation maîtrisée de techniques d’entraînement des foules. Des techniques très énergisantes qui laissent peu le choix.

Après les invocations, les activités galvanisantes se succèdent : karaoké géant, gymnastique, méditation ou encore danse. Olivier Caeymaex, coach et ancien participant aux Clés du Succès, se souvient très bien de toutes ces techniques : "Il y a une utilisation bien maîtrisée de techniques d’entraînement des foules, les fameux high five, "I’m a success machine !", les whoosh, etc. Ce sont des techniques très énergisantes et qui laissent peu le choix en fait. On se retrouve pris là-dedans." Nathanaël Picas, chef d’entreprise et ancien participant aux Clés du Succès, y a également vu une méthode discutable : "Je sens qu’il y avait une forme de conditionnement aussi et donc je me demande si quand on est dans cette dynamique-là et qu’on est peut-être dans un moment un petit peu sensible et qu’on a envie de croire que notre entreprise va décoller, on est prêt à croire n’importe quoi."

Des émotions fortes

Le séminaire Les clés du succès
Le séminaire Les clés du succès © On n’est pas des pigeons

"Tout est possible dans la vie, mais arrêtez de vous raconter des excuses." enchaîne l’un des deux orateurs principaux. "Notre système scolaire ne nous a pas appris à fonctionner correctement." poursuit-il, insinuant que nous souffrons donc tous de lacunes qu’ils peuvent nous aider à combler. Pour ce faire, tous les participants ont reçu un cahier d’exercices pour travailler sur leurs émotions, leurs croyances ou encore leurs projets. C’est du développement personnel, assez classique, mais pas du tout inintéressant.

Durant ces trois jours, on se concentre sur son évolution, sur sa vision, sa vision personnelle ou professionnelle.

Laurence Dee Mil, après cinq participations aux Clés du Succès, nous confie en avoir tirer beaucoup de ces séminaires : "Souvent dans la vie de tous les jours, on n’a pas le temps de se concentrer sur soi. On ne s’écoute pas forcément. On n’écoute pas ses pensées et là, c’est déjà trois jours où on se concentre sur son évolution, sur sa vision, sa vision personnelle ou professionnelle ou les deux."

Durant cette grand-messe du succès, il est très souvent question d’argent. "Uniquement, quand je vous donnerai le signal, vous irez brûler votre billet de cent euros." demande lors d’un énième exercice, l’un des deux orateurs. "On va maintenant envoyer ce signal fort à l’univers, tous ensemble : "Je dirige l’argent, ce n’est pas l’argent qui me dirige. Je dirige l’argent, ce n’est pas l’argent qui me dirige.""

Nathanaël Picas, chef d’entreprise et ancien participant aux Clés du Succès, a particulièrement été marqué par cet exercice : "Alors moi, ça m’a choqué pour pas mal de raisons. Alors, il se trouve que c’était juste une mise en scène parce que, en fait, ils éteignent les bougies, donc, il n’y a pas d’argent qui est brûlé, je vous rassure, mais ce que j’ai remarqué, c’est que des gens étaient quand même très très mal après ça."

Surgissent souvent en effet, des émotions fortes, comme cette dame en pleurs, amenée à répéter ce que l’un des orateurs lui dicte : "A partir de maintenant, je prends ma vie en main !" En toute honnêteté, à plusieurs reprises, je me suis également senti dans un état émotionnel inhabituel, avec une sensation enivrante d’être face à une opportunité décisive de mon existence. Et cette opportunité, c’est un parcours de formations payantes.

Au bout du tunnel de vente, des formations à plusieurs milliers d’euros

Prix des parcours de formation du séminaire les clés du succès
Prix des parcours de formation du séminaire les clés du succès © On n’est pas des pigeons

"Vous voulez créer la vie de vos rêves, c’est maintenant. Il n’y a aucune raison de ne pas le faire. Vous n’avez pas les sous, quelqu’un vous les prête." assène l’un des orateurs pour tenter de convaincre les indécis. Les organisateurs de ce séminaire proposent en effet des formations pour lancer son business, augmenter ses ventes ou encore mieux communiquer. Leurs coûts s’élèvent à plusieurs milliers d’euros.

Aller signer un crédit de dix, quinze mille, sans être sûr de ce qu’on va avoir, c’est peut-être dangereux.

Nathanaël Picas, chef d’entreprise et ancien participant aux Clés du Succès, se souvient également de la manière d’acculer le public à passer à l’achat : "Et si vous n’avez pas l’argent tout de suite, ce n’est pas grave, parce qu’on peut vous faire crédit aussi. Donc, là, je me dis que dans cette sorte d’euphorie d’aller signer un crédit de dix, quinze mille, je ne sais pas, sans vraiment être sûr de ce qu’on va avoir au final, c’est peut-être un petit peu dangereux."

Au fil des jours, les chaises dans le fond de la salle se vident. Les adeptes devant, eux, adhérent à fond. "Est-ce que vous êtes des moutons ?" demande l’un des orateurs au public en délire "Non !" répètent les participants d’une seule voix. Mais qui sont les moutons finalement ? Ceux qui sont partis avant la fin ou ceux qui suivent ces nouveaux pasteurs du développement personnel ? Chacun se fera sa religion.

Entretien : l’avis d’un expert en développement personnel

Denis De Coster est docteur en philosophie, coach de vie et formateur. Nous l’avons rencontré pour recueillir son avis sur les séminaires "Les Clés du Succès". Morceaux choisis de notre entrevue :

"On peut dire qu’on est dans la restauration rapide, pour prendre une comparaison, le fast-food orienté vers des recettes. C’est la critique que l’on fait du développement personnel où l’on considère un peu la personne comme une entreprise. On a aussi une théorie dans le fond qui est la théorie de l’échelle qui nécessite à ce moment-là d’acquérir de plus en plus de compétences pour obtenir cette fameuse réussite."

"On crée un engouement. On va avoir une sorte d’emballement. On est embarqué parfois avec des moyens un peu émotionnels et il risque d’y avoir les retombées : le découragement, déjà, d’un, parce qu’on est amené à exceller, à essayer d’obtenir le maximum et on oriente la personnalité vers le côté qu’on appelle perfectionniste et on pourrait avoir une tendance à éloigner tout ce qui n’est pas rentable ou orienté "réussite". Donc, ça crée un stress à l’intérieur de soi. On est évidemment soutenu au départ. Mais vous voyez bien que ces stages appellent d’autres compléments, il faut continuer dans cet esprit-là pour ne pas lâcher le fil. Si on lâche le fil, on peut être confronté avec sa propre histoire. Pourquoi on en est là soi-même ? Ça n’est pas pris en compte dans ces stages-là. Une culpabilité peut aussi se faire ressentir parce qu’on n’a pas compris sa propre histoire. On y a plaqué une sorte de canevas général pour essayer d’améliorer les choses, mais on n’a pas intégré cela dans son histoire, donc, il peut y avoir après le découragement, une sorte de remise en question, une période de doute."

"Le développement personnel de type existentiel va montrer qu’il est plutôt important de réaliser une sorte d’équilibre ou de fluidité entre les différentes facettes de la personnalité. Donc, il faut intégrer aussi le côté non-marchand, le côté non-actif, le côté poétique, le côté relationnel sinon, on risque d’avoir, c’était l’autre danger, une sorte de retour de manivelle où un retour de boomerang qu’on va peut-être trouver négatif mais qui est parlant en soi, qui est un retour des autres facettes qui demandent à parler aussi ou qui demandent à intervenir sur la scène que l’on est. Les Clés du Succès, je pense que c’est une forme de mise en scène, assez exclusive et dans ce cas-là, il faut pouvoir laisser la place à d’autres dimensions à l’intérieur de soi, sinon, il y a une sorte de revanche."

"Le développement personnel n’est pas le plaquage de solutions toutes faites sur n’importe quel parcours ou bien on reste dans un développement personnel grande consommation. Donc, les Clés du Succès sont un peu pour moi victime de leur propre succès. C’est une tendance à vouloir toucher le plus grand nombre et de suivre le mouvement en voyant qu’on obtient de la rentabilité, mais les personnes que vous citez (ndlr : Tony Robbins, Les Clés du Succès) sont alors dans une attitude qui n’est pas tout à fait en phase ou dans le timing d’un développement personnel authentique. Si on en reste, comme je vous le disais, dans l’image du fast-food, à la consommation, plus la surconsommation dans le même type, évidemment, alors dans ces entreprises, on va avoir des gens très motivés mais qui ne vont pas pouvoir à un moment donné le rester. Ils vont être court-circuités parfois même de manière inattendue par tout ce monde de la pression parce que quelque part, c’est une pression sur la personne pour obtenir le maximum."


Retrouvez "On n’est pas des pigeons" du lundi au vendredi à 18h30 sur la Une et en replay sur Auvio.

Sur Vivacité, du lundi ou vendredi de 10h30 à midi, pour SOS Pigeons.

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