On nous avait prévenus, Francis Saffaro a quelques problèmes d’audition. Avec lui, il faut parler fort. Lui, en tout cas, ne mâche pas ses mots : « Mettez bien dans votre article que l’Armée du salut, ils parlent pas beaucoup, mais ils agissent ! », insiste-t-il avec sa gouaille et son accent du Midi. Depuis décembre 2023, cet ancien maître-chien vit à Marseille dans une pension de famille de l’Armée du salut, hébergée par le bailleur Vilogia. Mais sans l’intervention de l’association, Francis dormirait toujours dans sa voiture avec son petit chien Odin.

Tout bascule un jour de septembre 2017, le 25. Ce matin-là, Francis rentre du stade Vélodrome après une garde de dix-huit heures : « J’ai dit à mon chien : on va bien se reposer ! » Mais à 9 h 20, les murs commencent à tanguer : Francis mettra plusieurs heures à comprendre qu’il fait un AVC. Il a 60 ans. Tout s’enchaîne : l’hospitalisation à la Timone, le centre de rééducation pendant six mois, où le sexagénaire réapprend à marcher et à parler. « Mais entre-temps, l’État m’a mis à la retraite. » Dans l’incapacité d’exercer son métier de maître-chien, Francis ne peut plus payer son loyer : son propriétaire l’expulse de son appartement. Pendant son hospitalisation, ses chiens ont été confiés à la SPA. « J’avais une maison, un travail, des chiens, la santé. J’ai tout perdu. Mais l’AVC, je ne l’ai pas demandé ! »

Deux mois et demi dans une voiture

D’abord recueilli par sa sœur avec laquelle il ne s’entend pas, le jeune retraité est placé, avec son bichon Odin qu’il vient d’adopter, dans un foyer pour personnes âgées. « Ils me prenaient toute ma retraite ! », s’énerve encore l’homme au caractère bien trempé. Plutôt que de loger chez ceux qu’il appelle « les voleurs » – dont l’établissement fermera quelques mois plus tard –, Francis finit par dormir dans sa voiture, en face du cimetière de Mazargues. Il y restera deux mois et demi, au cours desquels se tisse, autour de ce bonhomme attachant, un réseau de solidarité : la vétérinaire d’Odin, mais aussi des locaux, des militants associatifs.

Via une infirmière du centre communal d’action sociale (CCAS) qui l’accompagne, le retraité à la rue est mis en lien avec une travailleuse sociale de l’Armée du salut. « On m’a donné rendez-vous, deux heures plus tard on m’a proposé un hébergement d’urgence, puis, une dizaine de jours après, une place pérenne dans la pension de famille de l’Armée du salut. » « Il a bénéficié d’un concours de circonstances, explique Baptiste Souleyreau, coordinateur du dispositif où sont hébergées 44 personnes, toutes en situation de précarité. Grâce au bailleur Vilogia qui nous a mis ces logements à disposition, on a eu beaucoup de places disponibles d’un coup. On a rencontré Francis à ce moment-là, qui était en situation de grande précarité, très vulnérable avec ses problèmes de santé. »

Francis et Odin prennent le studio le plus petit. Ça leur suffit. « Déjà dormir dans un lit, ça relevait du miracle ! », se souvient l’ancien maître-chien. La trêve hivernale se termine le 31 mars, mais Francis n’est plus concerné. Là où il est, il peut rester autant de temps qu’il le souhaite. « Je l’ai déjà dit, mais dans l’article, mettez bien qu’il faut remercier l’Armée du salut, hein ! »