“Benyamin Nétanyahou est devenu un fardeau pour Israël. Il l’expose à des risques stratégiques qui pourraient lui coûter très cher” : voilà ce qu’écrit Ha’Aretz dans son éditorial daté du mardi 26 mars, jour de notre bouclage. Trop tard pour que l’article soit intégré à notre dossier, mais le ton est donné. Pour le grand quotidien de gauche israélien, le Premier ministre “mène Israël à sa perte” et nuit délibérément aux citoyens israéliens. Il doit donc démissionner.

La veille, et pour la première fois, le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté un texte appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, et ce grâce à la position des Américains, qui n’y ont pas mis leur veto. Une autre première, et non des moindres au vu du soutien jusque-là indéfectible à l’État hébreu affiché par l’administration Biden. Mais le vent tourne.

Mi-mars déjà, le chef de file de la majorité au Sénat américain, Chuck Schumer, avait sonné la charge et “accusé Nétanyahou de faire passer sa survie politique avant l’intérêt supérieur de son pays”, rappelle David Hearst dans Middle East Eye. Chuck Schumer est le plus haut responsable juif aux États-Unis, explique le journaliste, et sa voix compte particulièrement. “Israël ne peut pas survivre s’il devient un paria”, avait encore asséné le démocrate. Il n’est pas le seul à employer la formule.

Près de six mois après les attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre, le jusqu’au-boutisme de Benyamin Nétanyahou, au prétexte de vouloir éradiquer à n’importe quel prix le Hamas, a fini par retourner l’opinion mondiale contre son pays. Un aveuglement qui pourrait menacer à terme la sécurité même d’Israël, constate la presse étrangère. Dans ces conditions, et alors que les négociations pour un cessez-le-feu piétinent, il nous paraissait plus qu’urgent de monter ce dossier.

Alors que la guerre aveugle menée par Israël a déjà fait plus de de 32 000 morts, dont 13 600 enfants, selon l’Unicef – “la bande de Gaza est aujourd’hui l’endroit le plus dangereux du monde pour un enfant”, dénonçait récemment l’organisation –, plus de 1 million de personnes sont menacées de famine à court terme dans la bande de Gaza. “Dans le nord de Gaza, il n’y a pratiquement aucune nourriture disponible. Les gens ont recours à la nourriture pour animaux, aux graines pour oiseaux pour rester en vie. Certains n’ont plus que de l’herbe à manger”, écrivait récemment le responsable d’une organisation caritative dans The Guardian.

Des bilans désormais insupportables aux yeux d’une très large partie du monde. Plus rien ne peut excuser ce qui se passe à Gaza ni l’acharnement de Nétanyahou. “La perte du soutien de l’opinion publique en Occident, les accusations de génocide portées devant la Cour internationale de justice, l’érosion du consensus au sein du peuple juif et la nervosité des partenaires financiers de l’État hébreu sont autant d’éléments qui laissent présager une défaite stratégique pour Israël”, avance Middle east eye.

Dans Ha’Aretz encore, le journaliste Alon Pinkas explique pourquoi cette guerre en fait est un aller simple vers l’“isolement d’Israël”. Dans The Jerusalem Post, Douglas Bloomfield se demande, lui, si Gaza n’est pas “le Vietnam d’Israël”. Le 12 mars, l’organisation Commanders for Israel’s Security, qui rassemble plus de 500 anciens responsables sécuritaires israéliens, s’est fendu d’une lettre encore plus explicite, relayée par The Times of Israel, accusant Nétanyahou et ses alliés extrémistes de saper la sécurité de l’État hébreu.

Aujourd’hui, c’est une autre menace qui pèse sur Nétanyahou : le débat autour du statut particulier des ultraorthodoxes dans la société israélienne, explique quant à lui Yair Rosenberg dans The Atlantic. Les haredim sont en effet exemptés du service militaire depuis 1948. Une exception de plus en plus contestée en Israël, y compris au sein de l’extrême droite, qui pourrait faire imploser la coalition au pouvoir.

“À l’heure actuelle, je crains qu’Israël ne soit davantage synonyme de forteresse que de douceur du foyer. Ce pays n’offre ni sécurité ni bien-être, et mes voisins expriment souvent des doutes et des exigences à l’égard des pièces et des murs du foyer en question, voire de son existence même”, écrivait récemment l’écrivain David Grossman dans une tribune publiée par The New York Times et que nous avons traduite en français. Un texte à relire absolument.