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La lutte finale d'Arlette Laguiller, candidate pour la dernière fois

À 84 ans, Arlette Laguiller, figure historique de Lutte ouvrière se lance dans son ultime campagne pour les européennes.
Florent Buisson , Mis à jour le

À 84 ans, la figure historique de Lutte ouvrière mène sa dernière campagne pour les européennes. Rencontre tout feu, tout flamme.

Ses cheveux noirs se font plus rares. Elle quitte rarement ses lunettes et s’appuie parfois sur une canne, la faute à un genou capricieux. « J’espère que ce sera ma dernière campagne ! confie Arlette Laguiller, attablée près d’une fenêtre, dans une brasserie de Pantin (Seine-Saint-Denis). J’ai cédé à mes camarades. Je suis en 81e et dernière position [non éligible] sur la liste de Lutte ouvrière (LO) pour les européennes. Pour montrer que ce sont toujours mes idées et que je suis toujours là. » Elle montera même sur la scène à Paris, fin avril, pour un meeting de lancement à la ­Mutualité. Mais s’épargnera le tour de France que réalise Nathalie Arthaud, la tête de liste et porte-­parole de LO.

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Emmitouflée dans une longue doudoune à capuche, cachant ses mains sous la table au début de notre rencontre, « Arlette » s’anime lorsqu’on lui demande si elle n’a pas le sentiment que la « classe ouvrière », qu’elle a défendue toute sa vie, a peu à peu disparu.

« Bien sûr que non, gronde-t-elle, bras levés, laissant apparaître un chandail rouge tomate. Il y a encore 5 millions d’ouvriers en France [5,1 en 2020 selon l’Insee]. Mais je suis aussi solidaire des ouvriers de ce pays que des ouvriers de l’Est, produisant pour Renault ou Stellantis. Nous sommes les seuls à dire qu’il faudrait prendre l’argent des riches et tous les bénéfices du Cac 40. Nous sommes des révolutionnaires, nous voulons construire une autre société, pour le bien des travailleurs et de la planète. L’eau tiède des partis de gauche, ce n’est pas nous. »

Arlette Laguiller, figure historique de Lutte ouvrière , 83 ans, figurera symboliquement sur la liste de son parti aux élections européennes. Dans le qu’arien de Pantin, près du Canal de l’Ourcq.
Une canne pour la retraitée du Crédit lyonnais, mais l’esprit toujours agile. Paris Match / © Frédéric Lafargue

L’actualité est un excitant plus fort que le café. Un tas de sujets peuvent la mettre en colère. C’est ce qui la tient debout !

Les insoumis de Jean-Luc Mélenchon, adeptes du bruit et de la fureur, sont rangés parmi les velléitaires. « Ils prétendent qu’au pouvoir, ils vont tout réformer mais ne le feront pas. Le monde changera si la classe ouvrière bouge, ce qui est peu le cas aujourd’hui. » Son petit mouvement trotskiste, à l’esprit de clan, serait le seul à vouloir « renverser la table » dans la France d’Emmanuel Macron, dont, ô surprise, elle goûte peu les orientations. Le chef de l’État mènerait, selon elle, la politique que les « capitalistes, le Cac 40, lui disent de mener », et voudrait « faire payer les travailleurs pour combler le déficit budgétaire de l’État ». Pas de doute, Arlette est toujours là.

Embêtée par des problèmes d’ascenseur récurrents, elle a quitté il y a deux ans son fameux deux-pièces perché au ­treizième étage d’une tour HLM des Lilas, en région parisienne, pour un appartement à ­proximité. Les habitudes, elles, demeurent. Le petit déjeuner se prend avec France Info ou France Inter en fond sonore et la télé est souvent allumée sur l’interview politique de France 2. L’actualité agissant sur elle comme un excitant plus efficace que la caféine. « Le matin, il y a tout un tas de sujets qui peuvent me mettre en colère. C’est ce qui me tient debout, cette colère, même quand je suis fatiguée. » L’Ukraine, Gaza, ça la ravive. Sans compter « les attaques contre les travailleurs, les droits des chômeurs menacés, les économies de l’État à venir, la surveillance des congés maladie… »

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 On me trouve ringarde et vieillotte pour mes idées… Et le Pape, alors?

Arlette Laguiller

La retraitée du Crédit lyonnais passe encore une tête le mercredi dans les locaux de LO, pour relire le journal du parti, qui porte toujours son nom. Sur X (ex-­Twitter) et Facebook, Arlette ­Laguiller relaie surtout les sorties de sa protégée, dont elle est « très fière ». « Je n’écris pas, je like et retweete, c’est comme ça qu’on dit, non ? » Ce 20 mars, Nathalie Arthaud est ­d’ailleurs sur BFMTV au moment où la matriarche s’installe dans la brasserie, à Pantin. « Ça s’est bien passé, BFM ? demande-t-elle au chargé de communication de LO. Elle a eu ­combien ? Dix minutes ? Ah, c’est bien qu’elle ait eu ce temps-là. »

Créditée de 1 % dans les sondages (presque 6 % à la présidentielle 2002), Lutte ouvrière peine à exister sans son historique mascotte. « Ce n’est pas plus dur que lorsque j’ai débuté, rétorque la première femme candidate à la présidence de la République française. On est même plus nombreux ! Le communisme révolutionnaire doit résister. Dans la population, il y a des poches de résistance, mais pas de révolte. Le monde du travail a été tellement déçu par les gouvernements successifs, de gauche, de droite, qu’ils sont prêts à se rabattre sur “celle qu’on n’a jamais essayée”, Marine Le Pen. On va se battre contre ces idées-là, pour une Europe dirigée par les travailleurs, pas par des capitalistes. »

Son discours n’a pas bougé d’un iota ou presque, comme certains lui en faisaient déjà la remarque, il y a vingt-cinq ans. « On me trouve ringarde et vieillotte pour mes idées… Et le Pape, alors ? » répondait-elle, bravache.

Ma fidélité aux idées, c’est ça qui touche les gens. L’honnêteté morale, intellectuelle, le fait de ne pas avoir de casseroles.

Arlette Laguiller

Elle est toujours convaincue que c’est cette constance qui l’a rendue si populaire, et pas sa sympathique marionnette des ­ « Guignols de l’info ». « Six fois candidate à la présidentielle ! On peut se moquer, mais quand vous n’êtes candidat qu’une fois, les gens vous oublient. Moi, on n’a jamais pu m’oublier. Tous les sept ans, puis tous les cinq ans, même avec plus de rides, j’étais là ! Souvent on me parle de ma fidélité aux idées, c’est ça qui touche les gens. L’honnêteté morale, intellectuelle, le fait de ne pas avoir de casseroles. C’est cette image-là que je véhicule. On me dit aussi “Et pourquoi c’est plus vous ?” Tête de liste à 84 ans ? Biden et Trump ne se gênent pas, mais bon… J’ai fait une émission de radio récemment, j’ai eu énormément de retours – “Ah, Arlette est toujours là !” Est-ce que ces gens voteraient pour moi pour autant, enfin… pour nous ? Je ne sais pas. »

Un croissant, un verre d’eau, et la candidate prend la direction du canal de l’Ourcq, à deux pas, pour quelques photos. Au milieu des joggeurs qui la saluent parfois d’un petit geste, elle nous tend le dernier numéro de l’hebdomadaire « Lutte ouvrière », frappé de la faucille et du marteau. Puis met le nez dans son sac à main. « Je cherche des cartes d’invitation à vous donner pour la grande fête annuelle du mouvement, à Presles, à la Pentecôte ». Arlette ne perd pas le nord.

Paris - 1er mai 1974 - Lors des manifestations, devant des drapeaux rouges, un cortège de personnes se tenant par le bras, avec à sa tête, portant un pull bleu, la porte-parole de LUTTE OUVRIERE Arlette LAGUIL
La candidate trotskiste au défilé du 1er Mai 1974. Elle a 34 ans. Paris Match / © Jean-Claude Deutsch

On repense alors à la femme de 34 ans qui apparaissait à la télévision, un soir d’avril 1974, pour s’adresser aux ­Français. « Eh bien oui, je suis une femme, et j’ose me présenter comme candidate à la présidence de cette République d’hommes », déclamait-elle, regard noir fixant la caméra et coupe « à la garçonne », comme on disait alors. « C’est légal et pourtant cela choque, cela paraît étrange, même aux hommes de gauche. Et ça doit l’être, puisque je suis la seule. » Cette première candidature ne fut pas son plus grand succès électoral (2,3 %), mais c’est sa « fierté ». « J’ai posé très ­clairement en 1974 le problème de la condition de la femme. De toutes les femmes, car, dans la bourgeoisie, elles sont autant, voire plus, méprisées par leur compagnon que dans la classe ouvrière. Tous les partis se sont mis à parler d’elles après mon intervention à la télé. »

Aujourd’hui, l’ex-militante en faveur de l’avortement se réjouit du bout des lèvres de l’inscription de l’IVG dans la ­Constitution, le 4 mars. « C’est un peu de la blague, les moyens ne sont pas là pour que les femmes y aient convenablement recours. » C’est cette même conviction féministe qui l’a conduite à maintenir fermée la porte de sa vie privée, quand chaque élection présidentielle est un concours de photos de famille. Arlette ­Laguiller, jamais mariée, n’a jamais voulu d’enfant. Le militantisme prend trop de place. Mais elle partage sa vie depuis quarante ans avec le même homme. « C’est un militant de LO. Il a été ouvrier, a fait beaucoup de choses. Je n’en dirai pas plus. J’ai toujours trouvé ça bizarre de présenter l’autre, comme si ce que vous êtes dépendait de la personne avec qui vous vivez ou couchez. Chacun est responsable de lui-même, pas de son compagnon ou sa compagne. Je me suis toujours sentie indépendante, même avant la politique. On était un petit groupe de filles dans le quartier, très dures avec les hommes. On se défendait et on voulait exister par nous-mêmes. »

Arlette Laguiller, figure historique de Lutte ouvrière , 83 ans, figurera symboliquement sur la liste de son parti aux élections européennes. Dans le qu’arien de Pantin, près du Canal de l’Ourcq.
Arlette Laguiller à Pantin, près du canal de l’Ourcq, où se trouvent les locaux de Lutte ouvrière, le 21 mars. Paris Match / © Frédéric Lafargue

La pasionaria des Lilas ne flâne plus dans les boutiques parisiennes comme elle aimait le faire, mais s’autorise de temps à autre une sortie au théâtre. Quand elle ne répond pas aux courriels ou n’assiste pas à des réunions de « camarades » du Crédit lyonnais, elle s’offre une escalope de veau au citron, dans un resto italien de sa ville. La journée, elle se plonge dans plusieurs bouquins, qu’elle lit en fonction du moment. Chez elle comme dans le couplet de « ­L’Internationale », « ­L’oisif ira loger ailleurs »… Sur sa table de chevet, « Warda », récit d’une jeune femme qui a entraîné une guérilla d’hommes au sultanat d’Oman, dans les années 1960. « Elle se bat et tient un journal, suit l’actualité. Ça me ramène à mes débuts dans le militantisme, au moment de la guerre d’Algérie. Et me replonge dans ma jeunesse, ce qui n’est pas désagréable. »

Le 9 juin, après plus de 200 meetings, près de soixante-dix ans d’engagement et un record de six candidatures à la présidentielle, elle se présentera pour la dernière fois devant les électeurs. Sa lutte finale ?

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