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Oser pleurer : ce que nos larmes révèlent de nous

Le philosophe Guillaume Le Blanc propose dans son nouveau livre une expérience collective et salvatrice des pleurs.
Le philosophe Guillaume Le Blanc propose dans son nouveau livre une expérience collective et salvatrice des pleurs. Mary Long / Getty Images

ENTRETIEN - Dans son nouveau livre, Oser pleurer, le philosophe Guillaume Le Blanc explore la sphère de l'intime, à commencer par la sienne. Et propose une expérience collective et salvatrice des pleurs. Rencontre en toute sincérité.

Madame Figaro. C'est par un état que vous traversez que naît l'impulsion d'écrire, ou sa nécessité. «Je suis devenu, à mes dépens, un homme en larmes», notez-vous dès la première page. C'est-à-dire ?
Guillaume Le Blanc. – Ce texte s'est imposé à moi, dans mon corps. Je l'ai démarré à la mort de ma mère, il y a quatre ans, sur des cahiers d'été, et poursuivi au moment d'une rupture sentimentale. L'origine des pleurs est donc double. Je me suis retrouvé, chroniquement, un homme en larmes, des larmes qui se saisissent de vous à des instants imprévus, sur un souvenir qui s'immisce, lors d'un geste, d'une odeur… C'est toute la mémoire involontaire chère à Proust que j'ai éprouvée dans mon propre corps. Or, en philosophie, une partie de mon travail consiste à revenir toujours à notre propre incarnation ou incorporation des choses. Je me méfie d'une philosophie abstraite, de bureau, j'ai besoin de la réinscrire dans nos existences ordinaires pour précisément faire de la philosophie une expérience.

C'est une démarche que l'on retrouve chez des philosophes de votre génération, de Claire Marin à Frédéric Worms, d'Elsa Godart à Alexandre Lacroix…
C'est juste ! Avec le reflux des grands enseignements très théoriques, où il s'agissait surtout de faire carrière dans l'histoire de la philosophie, un espace s'est ouvert pour tenter de nouer autrement le rapport entre la philosophie et la vie ; et chercher à articuler un diagnostic du présent avec sa propre existence. Ça a été pour notre génération, vous avez raison, un risque à prendre. Or, les larmes, éphémères, qui s'effacent de la mémoire souvent quand on les a «pleurées», disent bien cela : ce qui vous arrive en intensité de vie quand elles coulent n'arrive pas à quelqu'un d'autre au même moment. C'est pourquoi celui qui vous voit pleurer passe par un stade de surprise, d'émoi, voire de désorientation. Personne ne peut pleurer à votre place, même s'il existe une contagion des larmes, ou une communion. Vos larmes vous ramènent toujours à ce que vous avez d'irremplaçable. Qu'est-ce qu'on fait ensuite de ces larmes ? Comment accepter qu'on soit défait par elles ? Qu'est-ce qu'elles suggèrent de notre attache à la vie ? C'est ce que j'ai cherché…

Nous avons besoin de nos larmes pour garder nos yeux en bonne santé. Les anatomopathologistes expliquent * qu'ils produisent moins d'une demi-cuillérée à café de larmes par jour, mais que, si l'on pleure de chagrin, l'œil peut en produire en quelques minutes plus d'une pleine tasse !
Ce mécanisme physiologique est vital. Il permet de lubrifier, nettoyer les yeux, de les faire cligner. Mais, lorsqu'il s'agit de chagrin, on assiste à une sorte de rééquilibrage : si je suis terrassé par la tristesse au point de pleurer, ces pleurs sont aussi une façon plastique de composer avec l'événement tragique. D'apporter un soulagement. Il y a donc un cheminement dans les larmes, et j'en vois trois origines. Il y a ce que j'appelle les pleurs du mal – douleur physique ou psychique –, puis les larmes de la disparition – d'un être, d'une qualité humaine fondamentale, de sa santé –, et enfin les larmes de la rupture, à tous les sens du terme. Il y a déjà, par le fait de pleurer, une tentative de se remettre de l'événement. Pleurer, ce n'est pas seulement être décomposé par ; c'est aussi désapprendre la maîtrise, revenir à une vie sensible, et tenter une première délivrance. Du passé, regarder déjà vers le futur.

Encore faut-il… oser pleurer, dit votre titre.
Il y a une audace à pleurer, car, socialement, même si nous progressons, c'est encore lié à une fragilité qu'il faudrait taire. Or, laisser les pleurs venir, c'est consentir à exposer quelque chose de sa fragilité, prendre en quelque sorte ce chemin de luxe qui se crée à même les larmes, car il s'agit aussi d'accepter cette promesse de recommencement de l'existence, ces vannes ouvertes que les pleurs induisent. Pleurer peut avoir comme futur non pas la déploration – je pleure sans fin –, mais l'imploration – je demande avec des pleurs, dit l'étymologie. C'est alors une demande de justice, de réparation qui s'opère. Une demande existentielle, exprimée avec le corps de celui ou celle qui pleure.

Philosopher, ce fut surtout « apprendre à mourir, pas à pleurer », rappelez-vous…
Toute l'histoire de la philosophie occidentale est en effet traversée par un idéal de maîtrise de soi. Avec Platon, il faut aller du côté de ce qui est incorruptible, le monde des idées ; et, dans le même temps, apprendre à mourir à son corps, considéré comme trop sensible ou mouvant. Cette revendication, Platon la dépose dans la bouche de Socrate quand ce dernier est accusé par la cité athénienne de corrompre la jeunesse par l'introduction de nouveaux dieux. Socrate va accepter de boire la ciguë, d'aller à la mort, impassible. Seule sa femme pleure. J'ai voulu en quelque sorte contester cette scène inaugurale. Et dans ce livre, imaginer la philosophie de la femme de Socrate, précisément. Chercher en quoi les pleurs peuvent être une nouvelle philosophie incarnée.

Les larmes ne réparent pas, elles cheminent vers une réinvention

Guillaume Le Blanc

Vous parlez de «l'intensité vitale» des larmes. Comment la décrire ?
Les larmes, je les vois comme du vivant qui s'infiltre dans nos mécaniques usuelles. Elles sont le signe, le révélateur d'une intensité qui nous submerge, nous met à l'arrêt dans un premier temps. Ensuite, cette intensité nous place aussi sur la route d'un nouvel élan. Elles ne réparent pas, elles cheminent vers une réinvention.

Judith Godrèche, qui prend la parole aux Césars, puis au Sénat, fin février, réfrène ses larmes derrière un sourire désarmant, qui rehausse son chagrin, ou le nôtre. Comment avez-vous perçu ce sourire ?
La larme ne s'immisce pas, ce n'est pas pour autant qu'elle n'est pas présente. On s'attend à ce qu'elle pleure, et son sourire est bel et bien une victoire sur des larmes possibles. Il y a là une recomposition d'une puissance d'exister.

Abordons les larmes des politiques. Vous remarquez celles d'Obama, en 2016, évoquant la tuerie d'enfants à l'école Sandy Hook, celles de Greta Thunberg, en 2019, à l'ONU…
Les larmes d'Obama, dans un discours cherchant à encadrer l'accès aux armes à feu, sont des larmes de deuil. C'est assez différent avec celles de Greta Thunberg, qui pleure un processus en cours, à savoir la disparition des espèces animales et végétales sous le coup du réchauffement climatique, dont nous sommes les contemporains. Quel futur peut-on envisager à ces larmes, nous qui en sommes les témoins ? Comment les larmes peuvent-elles devenir des armes pour les personnes qui n'en ont pas d'autres, voilà bel et bien la question qui est posée.

* Source : The Conversation , Michelle Moscova, professeure à la faculté de médecine de Sydney (Australie), 2024.

Oser pleurer, de Guillaume Le Blanc, Éd. Albin Michel, 270 p., 17, 90 €. Service presse

Oser pleurer : ce que nos larmes révèlent de nous

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6 commentaires
  • Anonyme

    le

    Encore un article du café du commerce ! Il faut donc remplir le journal à ce point avec des recopies de stagiaires ?

  • roland2

    le

    Me semblait bien que la pleurnicherie était à la mode.

  • Salluste10

    le

    Heureusement que nous avons moult philosophes et psys pour nous dire ce que révèlent nos pensées et nos actions!

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