Le président du Rassemblement national Jordan Bardella., lors d'un meeting à Marseille, le 3 mars 2024

Le président du Rassemblement national Jordan Bardella., lors d'un meeting à Marseille, le 3 mars 2024

afp.com/CHRISTOPHE SIMON

Etait-il vraiment nécessaire de débattre en vase clos pendant deux heures pour que les membres du Rassemblement national actent qu’ils sont bien d’accord sur la question migratoire ? Mardi 26 mars, à deux pas de l’Assemblée nationale, le parti d’extrême droite tenait ses "Etats généraux de l’immigration". Toute ressemblance avec l’événement du même nom organisé par le RPR en 1990 est parfaitement souhaitée.

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On l’a même théorisé au RN : invoquer le patronage du parti de la droite républicaine servira à rassurer des électeurs réticents. "Notre programme sur l’immigration est très proche de ce que proposait le RPR" assurait encore Jordan Bardella le 29 février devant un parterre de journalistes. Dans sa sempiternelle quête de respectabilité, le RN va jusqu’à revendiquer un héritage chiraquien. Qu’importe si ce même Jacques Chirac, en 2002, a refusé de débattre face à Jean-Marie Le Pen lors du débat du second tour de l’élection présidentielle. Et tant pis si la première version des états généraux de l’immigration s’est justement tenue pour combattre la montée du Front national.

Surtout pas de contradictions

Pas rancuniers pour un sou, c’est donc au RPR que les frontistes dédient leur événement. Au programme des deux volets de cette rencontre hermétique : constats et solutions. Surtout pas de contradictions. 17h30. Tout guilleret, le député des Bouches-du-Rhône Franck Allisio monte sur scène pour introduire les tables rondes, manifestement très amusé de citer du Chirac, du Seguin et du Pasqua devant un parterre frontiste.

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Lui succèdent les intervenants de la première table ronde intitulée : "Submersion migratoire : quelle réalité des faits et des chiffres ?". Et c’est Thierry Mariani, ancien membre du RPR, repenti depuis, qui ouvre le débat. Il rappelle rapidement qu’il a lui même été rapporteur de neuf textes sur l’immigration, fait son mea culpa, et obtient l’absolution avant de passer le micro. Au tour de Charles Prats, vice-président de l’UNI, régulièrement cité par le RN pour son expertise dans le domaine de la fraude à la carte vitale. "Tout ça pour vous dire qu’on peut estimer que la moitié de la fraude sociale est en lien avec l’immigration", conclut-il sous les applaudissements de la salle. "Evidemment qu’un immigré ne peut pas, par nature, être délinquant mais l’immigration structurellement va provoquer de la délinquance" enchaîne Alexandre Varaut, avocat, ancien compagnon de Philippe de Villiers, aujourd’hui candidat sur la liste européenne.

Des tables rondes en vase clos

Place, enfin, au sondeur et responsable de l’école de formation du RN, Jérôme Sainte-Marie, qui livre son analyse étayée concernant la place de la question migratoire dans l’enjeu électoral : "Je ne peux m’empêcher de penser qu’une radicalité sur l’immigration a largement contribué au succès et le succès de Nicolas Sarkozy de 2007 doit beaucoup à ce recours au thème de l’immigration." On laisse le mot de la fin à Alexandre Varaut. "Nous sommes grâce à Marine et à Jordan aux portes du pouvoir, on y va non y est presque. Il faut que tout le monde se réunisse derrière le RN, exhorte-t-il. Je vois bien que là est la vérité, là est le bien et là est la chance de gagner" Qu’il est charmant le zèle des néo convertis. On se regarde, on acquiesce. La jeune garde frontiste s’auto-congratule sous l’œil bienveillant des vétérans revenus de la droite et heureux d’avoir trouvé leur nouvelle planche de salut.

Le constat est dressé. 18h30, déjà. Place aux solutions et à la seconde table ronde : "Comment reprendre le contrôle de notre destin ?". Moment transgression, pour commencer, mis en scène par le maire de Jouarre (Seine-et-Marne), Fabien Vallée, qui se félicite de pouvoir participer à une réunion de travail avec le RN. "C’est quelque chose qu’on n’a pas le droit de dire normalement", assure celui qui avait été soutenu par le parti lepéniste, déjà, aux élections départementales de 2021.

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A ses côtés, sur scène, les deux nouvelles prises de guerre du parti d’extrême droite, respectivement numéro 2 et 3 sur la liste de Jordan Bardella : Malika Sorel et Fabrice Leggeri. L’une était conseillère de François Fillon pendant la campagne présidentielle – et aurait, selon Le Canard enchaîné, bombardé de textos Emmanuel Macron en janvier dernier pour devenir ministre), l’autre était patron de Frontex jusqu’en 2022. Ils sont accompagnés de l’ancien préfet Michel Aubouin, essayiste et auteur, en 2016 d’un rapport sur la situation dans les banlieues, qui procède a des calculs en direct : "Chaque couple d’immigrés, et leurs trois enfants qui vont naître dans les années à suivre, va donc connaître un multiplicateur de cinq".

Pas grand-chose de nouveau

19 heures. Trêve de plaisanteries. "Nous arrivons au terme de notre colloque et il faudrait arriver à quelques pistes concrètes", rappelle Franck Allisio. Parmi elles : la création d’un ministère de l’Immigration, la mise en place d’un dialogue entre l’Etat et les élus locaux, "rendre plus compliquée la vie des immigrés en situation irrégulière", redéfinir la notion d'"asile", cesser de s’autoflageller et sortir de la repentance permanente pour faciliter l’assimilation.

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Surtout : "Agir et ne pas avoir peur de déplaire à l’intelligentsia". Il est temps pour Jordan Bardella de prendre le micro pour conclure, "parfaitement dans les temps", rougit de plaisir Franck Allisio. "Vous avez dressé un constat précis de la situation, porté regard lucide sur la décomposition française, vous avez esquissé les possibilités d’un sursaut, flatte le président du RN qui étrille une droite, qui "a parlé comme nous mais gouverné comme les socialistes". Dix minutes de conclusion, pas grand-chose de nouveau. Un message aux électeurs : "l’immigration n’est pas une fatalité". Une nouvelle formule choc : "A la maxime 'venez comme vous êtes', nous préférons 'devenez ce que nous sommes'".

Ainsi s’achève le premier colloque frontiste inspiré du RPR, qui prouve encore au parti frontiste qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Et, comme dirait le maire de Marignane, Eric Le Disses, cofondateur avec Franck Allisio du nouveau RPR et présent à l’évènement par l’intermédiaire d’une vidéo : "Vive le RPR, vive la France et surtout : bonne soirée."

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