En ce début novembre, la pluie s’est invitée sur le ciel azuréen. C’est dans cette atmosphère tempétueuse que l’Opéra de Nice a choisi de rendre hommage à Krzysztof Penderecki, qui aurait fêté ses 90 ans ce mois-ci. Pour l’occasion, l’institution propose de donner pour la première fois en France son Concerto pour flûte et clarinette, composé en 2017. Le langage musical du compositeur polonais se caractérisant par son avant-gardisme et son exploration de nouvelles sonorités, l’objectif de la soirée menée par sa compatriote Anna Sułkowska-Migoń sera de mettre en lumière les textures sonores uniques ainsi que les effets dramatiques de l'ouvrage.

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Anna Sułkowska-Migoń
© Radoslaw Kazmierczak

Particulièrement allègres, Patrick Gallois et Michel Lethiec, déjà interprètes de la création mondiale de la pièce, prennent place sur scène. Le flûtiste se distingue par son discours ponctué de nombreuses respirations, créant ainsi des pauses délibérées dans son récit musical. Cette fragmentation de la ligne mélodique instaure une tension narrative de tout intérêt. L'interaction entre l'Orchestre Philharmonique de Nice et les solistes se caractérise davantage par une juxtaposition plutôt qu'une fusion : les deux entités évoluent dans des mondes distincts, comme en témoignent les transitions abruptes et les ponctuations des percussions qui viennent interrompre le discours sonore.

La cheffe Anna Sułkowska-Migoń dirige d’un geste net et souple, traduisant une mesure claire tandis que les solistes explorent des techniques modernes, notamment le flatterzunge (technique consistant en des coups de langue répétés à une vitesse très rapide). Leur concentration intense sur la partition est palpable : on perçoit peu de communication entre eux mais une attention constante envers les directives de la cheffe. Bien que l'exécution soit recueillie et précise, elle aurait pu bénéficier d'un peu plus de relief dans les dynamiques, pour pleinement exploiter le potentiel expressif de l'œuvre.

La pièce hommage était précédée d'une ouverture des Hébrides de Mendelssohn particulièrement délicate. Le son, empreint d'une douceur pastorale, captive l'auditoire dès les premières notes. Chaque partie de l’œuvre s’enchaîne avec une fluidité exquise, évitant toute rupture brutale et créant ainsi une expérience musicale cohérente et envoûtante. Déployant une énergie maîtrisée, la sonorité ronde et organique de l’orchestre ajoute une dimension chaleureuse à l'interprétation, transportant le public vers les paysages évocateurs des Hébrides : collines verdoyantes, lochs tranquilles et formations rocheuses spectaculaires. L'orchestre parvient à capturer l'essence romantique de cette pièce, offrant une interprétation empreinte de subtilité et de finesse.

Après l'entracte, le spectacle se terminera sur une atmosphère de dévotion instaurée par la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski. On admire le discours imperturbable du basson, jouant ses notes détachées de manière paisible. Tout l’enjeu de l’interprétation réside dans le rendu d’une ligne mélodique claire, tout en insistant sur la dimension passionnée de la partition. Fidèle à cette optique, le jeu orchestral regorge de contrastes dynamiques et de grondements dans les extrêmes graves. Les musiciens offrent alors une performance à la fois sereine et confiante, où chaque élément de l'ensemble avance avec assurance. L’accent est mis sur la cohérence : le passage de la mélodie entre les différents pupitres est très fluide. Le public passe par l’exploration des émotions humaines, allant de la mélancolie à l'exaltation. Si certains décalages se manifestent lors des accélérations de tempo, l’énergie de l'orchestre les fait passer au second plan. Mention spéciale pour le finale, au sein duquel les cuivres triomphants éclatent en fanfare, scellant ainsi la performance dans un apogée festif.

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