Jeremy Corbyn rejette l'offre de George Galloway d'une alliance de «socialistes»

La victoire électorale écrasante de George Galloway au siège de député de Rochdale, au cours d’une campagne largement axée sur l’opposition au génocide de Gaza, met en évidence les dangers qui pèsent sur le leader travailliste Sir Keir Starmer à l’approche des élections législatives. La victoire de Galloway exprime l'énorme opposition chez les travailleurs et les jeunes à la collusion et au soutien des partis travailliste et conservateur à l'attaque criminelle lancée par Israël.

Démasquer le mélange banqueroutier pratiqué par Corbyn de profession d’opposition au génocide anti-palestinien d’Israël et de refus abject de lancer sa propre campagne politique contre Starmer et le Labour [Parti travailliste] revêt une importance essentielle pour le développement politique de ce mouvement anti-guerre grandissant.

Jeremy Corbyn s'exprimant lors du rassemblement de Londres contre le génocide israélien, le 3 février 2024.

Lors de l’émission dimanche «Not the Andrew Marr Show», Galloway a fait une longue intervention en faveur d'une alliance «socialiste» dirigée par Corbyn :

«Je ne sais pas pourquoi il [Corbyn] a tergiversé si longtemps avant de rompre définitivement et totalement avec le Labour et de diriger lui-même quelque chose. S'il était ici maintenant, je lui dirais : ‘vous avez vu ce qui s'est passé hier soir, installez-vous à votre propre compte, annoncez une alliance des socialistes restants dans le pays. Vous pouvez la diriger, je la soutiendrai, ce sera vous le chef et c'est parti. Le temps presse; les élections législatives pourraient avoir lieu dans trois mois’ ».

« Et j'aurais aimé savoir pourquoi il avait tergiversé, parce que s'il avait quitté le Parti travailliste au moment où il aurait dû, au sommet de ses pouvoirs, il aurait emmené quelques centaines de milliers de personnes avec lui, et cela représente une force, vous savez, peu de partis en Europe disposent d’une telle force ».

«Il aurait pu le diriger, et il doit éviter d'être un atout inutile. Il constitue un atout considérable et tout le monde l'aime, mais il doit faire très attention à ne pas gaspiller l'opportunité qui lui reste ».

« S'il ne le fait pas, nous le ferons, nous nous présenterons nous-mêmes, nous soutiendrons les indépendants là où nous ne le faisons pas nous-mêmes, et nous le ferons, mais nous serons plus faibles en raison de l'absence de Jeremy Corbyn à la tête de tout cela. »

Capture d'écran d'une image tirée d'une vidéo de George Galloway s'exprimant lors du ‘Not the Andrew Marr Show [Photo: Not the Andrew Marr Show/YouTube]

Corbyn a donné sa réponse à cette proposition le lendemain.

Lorsque les nouveaux députés s’installent au Parlement, ils doivent être escortés à la Chambre des communes par deux collègues députés pour prêter allégeance au monarque. Galloway avait indiqué qu'il s'attendait à ce que l'ancien chef travailliste l’accompagne. Mais Corbyn s’est absenté de la chambre et a gardé un silence total sur la question. Galloway s'est excusé en son nom: « Jeremy Corbyn était censé être mon sponsor, mais il a ensuite réalisé qu'il avait un engagement de longue date. »

Les engagements déjà pris et rappelés à la dernière minute avant des moments politiquement difficiles sont en quelque sorte une tendance chez Corbyn. En 2016, il a également raté le vote d'une motion appelant à une enquête sur Tony Blair pour avoir «induit en erreur» le Parlement sur la guerre en Irak.

De plus, aucun autre travailliste ne s’est rendu disponible pour escorter Galloway. Galloway a finalement été accompagné par le conservateur Sir Peter Bottomley, qui est intervenu comme requis en tant que doyen de la Chambre parce que personne d'autre ne s’est présenté. Le nationaliste écossais du parti Alba, Neale Hanvey, a rempli le rôle de deuxième escorte.

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Il existe de nombreuses raisons valables de ne pas former une alliance politique avec George Galloway et son Parti des travailleurs de Grande-Bretagne. Il épouse un populisme nationaliste issu de son histoire politique stalinienne et de son rejet du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière internationale, qui l'ont vu dénoncer «l'immigration de masse», partager des tribunes avec Nigel Farage et Steve Bannon, et même tenter de se présenter aux élections pour le parti Brexit de Farage.

Le fondement politique de telles manœuvres est son plaidoyer en faveur d’une alliance « gauche-droite». Ceci est avancé comme base pour défendre un prétendu intérêt national britannique, que ce soit en plaidant pour le Brexit ou pour que le Royaume-Uni ne suive pas l’impérialisme américain dans la conduite de guerres comme en Irak et en Ukraine ; et pour adopter plutôt une place réduite au sein d’un nouveau «monde multipolaire» dominé par la Chine.

Mais aucun de ces éléments n’est la raison déterminante du rejet par Corbyn de la main tendue de Galloway. Il veut exprimer clairement son refus persistant de lancer un mouvement opposé au Parti travailliste, même s'il apparaît sur d'innombrables tribunes s'engageant à s'opposer à un génocide de Gaza que le parti de Starmer défend à outrance.

Galloway a déclaré que le «travail» de son parti était «de retirer des morceaux du Parti travailliste, et notre intention est de le remplacer». Ses candidats – il se targue d'en avoir potentiellement 90 – se présenteront face aux travaillistes pour «gagner ou s'assurer que Keir Starmer ne gagne pas». Il a spécifiquement désigné comme cible la circonscription de la cheffe adjointe du Labour Angela Rayner. Il s'est également engagé à soutenir d'autres défis électoraux.

Tout cela est impensable pour Corbyn, qui était opposé à l’exclusion des députés travaillistes de droite, même lorsque les membres du parti s’organisaient pour le faire sous sa direction. Il est probable qu’il se présentera en tant qu'indépendant pour sa circonscription d'Islington Nord [Londres] contre un candidat travailliste mais il s’agit là d’une exception purement personnelle, une nécessité qui lui est imposée alors qu'il continue de défendre la bureaucratie travailliste et syndicale depuis son exil politique forcé.

Les implications immédiates de la loyauté de Corbyn envers la droite travailliste ont été mises en évidence par la réponse faite ces derniers jours à l’adjoint de Galloway au Workers Party [Parti des Travailleurs] Chris Williamson. Immédiatement après la victoire de Galloway à Rochdale, aux premières heures du 1er mars, un journaliste de la BBC a demandé à Williamson s'il condamnerait l'incursion du 7 octobre en Israël par le Hamas et d'autres groupes militants palestiniens. Williamson a répondu que «les deux principaux partis [britanniques] n’ont pas condamné ni même appelé à un cessez-le-feu; ils n'ont pas condamné les activités du régime israélien.»

Interrogé à plusieurs reprises, il a ajouté: «Vous ne pouvez pas vous attendre à vivre dans une situation où les gens sont opprimés depuis 75 ans sans vous attendre à une réaction […] Qu'en est-il du peuple palestinien qui a été massacré pendant près de 76 ans maintenant? Où est l’indignation des médias face à cela? Qu'attendez-vous? En droit international, les peuples opprimés ont un droit absolu à la résistance armée…»

Cette nuit-là, le Premier ministre Rishi Sunak a prononcé son discours télévisé devant le 10 Downing Street, dénonçant l'élection de Galloway comme étant «plus qu'alarmante» et proposant une série d'attaques contre les manifestants anti-génocide de Gaza, décrits comme des «extrémistes» violents et une menace pour «notre démocratie».

Le député conservateur David Davis, qui se présente comme un défenseur de la liberté d'expression, avait accepté d'escorter Galloway au Parlement. Mais alors que la chasse aux sorcières contre les manifestants musulmans et de gauche passait à la vitesse supérieure, il s’est retiré après avoir déclaré que Williamson avait «dépassé la limite».

Williamson, un ancien député travailliste, a été expulsé du Labour pour avoir tenté de défendre Corbyn contre la chasse aux sorcières sur l’antisémitisme. Corbyn avait refusé de le défendre en retour. Rien n'a changé. Davis dit ouvertement ce que Corbyn montre clairement dans la pratique: Williamson et Galloway avaient «dépassé la limite» et ils ne pouvaient s’attendre, ni eux ni personne qui se verrait attaquer, à ce que Corbyn les défendent.

C’est là le véritable caractère politique de l’homme que Galloway et d’autres décrivent encore comme un tribun socialiste. C’est pourquoi Corbyn «a tergiversé si longtemps» devant une rupture d’avec le Parti travailliste, car il a très bien compris qu’il pouvait emmener des centaines de milliers de soutiens avec lui.

Galloway s’adresse toujours à Corbyn parce que, indépendamment de la volonté ou non de rompre d’avec le Parti travailliste sur le plan organisationnel, ce sont tous deux des âmes politiques parentes qui cherchent à empêcher que la classe ouvrière ne tire des conclusions révolutionnaires sur le capitalisme et l'impérialisme britanniques. Ils défendent une orientation exclusivement parlementaire, conseillant à la classe dirigeante de modérer ses pires excès. Tout au long de sa carrière hors du Labour, Galloway s’est présenté comme un «vrai travailliste» et un défi lancé au Parti travailliste pour qu’il redécouvre ses prétendues valeurs.

Le Socialist Equality Party (Parti de l'égalité socialiste) a systématiquement dénoncé le soutien servile de Corbyn au Labour, son abandon de l'opposition à l'OTAN et aux armes nucléaires britanniques alors qu'il était à la tête du parti, et de nombreux autres reculs. En combattant les illusions politiques sur Corbyn et la chimère d’une «renaissance de gauche du Parti travailliste », nous avons lutté pour créer les bases d’une véritable alternative socialiste.

Aujourd’hui, le mouvement de masse contre le génocide de Gaza radicalise des couches toujours plus larges de travailleurs, surtout la jeune génération. Ils comprendront la nécessité urgente de construire un parti socialiste véritablement indépendant et de mobiliser la classe ouvrière, en Grande-Bretagne comme dans le monde, contre le gouvernement conservateur, ses complices travaillistes et tous leurs semblables au plan international.

(Article paru en anglais le 6 mars 2024)

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