Mobiliser la société civile auprès des enseignants pour défendre la République

Au lendemain en octobre 2020 de l’assassinat de Samuel Paty, je m’étais autorisé  ici dans un post intitulé « Sincérités successives et courte vue : la laïcité dépasse l’Education nationale » à justifier plus que jamais la mobilisation de la société civile au soutien des enseignants qui ne peuvent pas supporter seuls l’attaque menée par un  certain intégrisme religieux contre la République. Aujourd’hui la démission du proviseur du lycée Maurice-Ravel de Paris  face aux menaces de morts proférées contre lui à la suite d’une altercation avec une élève qui portait le voile en violation de la loi m’appelle à republier ces réflexions tellement elles restent d’actualité et cette mobilisation citoyenne indispensable. La situation est grave si les enseignants qui ont le sentiment de n’être pas protégés ou  insuffisamment démissionnent. Commençons par supporter  notre part du combat, car c’est bien un combat vital dont il s’agit

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Nous sommes tous remplis d’effroi par l’ignominie dans tous les sens du terme de ce qui s’est passé à Conflans Saint-Honorine. Tout y prête : la nature (la décapitation comme pratiquée par Daech)  même de la violence exercée, la mort infligée au nom d’une idéologie et bien évidemment ce dont est porteur consciemment ou non ce geste, à savoir l’affirmation de la supériorité du spirituel sur le temporel. La loi qui s’impose serait d’abord celle de la religion ; nul individuellement ou comme institution serait légitime à y porter atteinte. Aujourd’hui un enseignant est la victime de cette aberration ; demain peut-être une école ! On peut craindre de n’avoir pas encore touché au pire.

Dans ce contexte le réflexe veut de rechercher à incarner physiquement ou institutionnellement la cause du mal. à travers les défaillances réelles ou supposées de l’Etat, de sa police ou de la justice judiciaire ou administrative. Une manière simple sinon simpliste et rapide d’expulser la révolte que chacun ressent en soi. !

En 2015 avec raison on a mis en cause les limites du dispositif policier national et international, les lacunes en matière de renseignement et de coopération là encore au plan national et inter-étatique. Depuis on y a singulièrement remédié. On se réjouira publiquement de voir régulièrement déjoués des projets d’attentats. On appréciera à leur juste mesure les efforts déployés .

Aujourd’hui face à des actes posés par des personnes »infiltrées» en France depuis plus ou moins longtemps et ayant obtenu des titres de séjour directement ou via la CNDA, la tentation est d’appeler à serrer la vis sur le droit d’asile ou le simple séjour. S’il faut exercer ici comme ailleurs une vigilance d’ordre public et ne pas faire preuve de naïveté ou d’angélisme, on voit immédiatement les limites de l’exercice consistant à se contenter de muscler nos textes et renforcer nos démarches. La régularité du séjour est un faible rempart à lui seul contre des actes la France.

Le plus préoccupant dans cette attitude est de s’enfermer dans la facilité intellectuelle, donc politique : le péril vient et ne pourrait venir que de l’extérieur. Quelle erreur ! Sans nier que la France comme d’autres démocraties est la cible d’une vraie attaque guerrière, ne négligeons pas qu’un terreau existe sur notre sol qui facilite ou favorise ces passages à l’acte, voire plus inquiétant encore qui va participer de ce passage à l’acte. Il tient à la prégnance, ravivée ces dernières décennies, du religieux. Des fanatiques, des esprits perturbés, porteurs de haine et de folie, prêts à tout, y compris nihilistes, disposés à mourir au nom d’idées simplistes, il en est à coup sûr d’ores et déjà sur le territoire. Une mauvaise rencontre, un fait mal interprété, un endoctrinement régulier instillé à petites doses dans la sphère familiale ou communautaire, a fortiori une manipulation, et la machine à tuer s’enclenche.

La hierarchie des normes
En l’espèce, tout en s’attachant à la menace venue de l’extérieur, on doit s’inquiéter quand des études démontrent qu’un nombre conséquent des jeunes musulmans de France, nés en France, estiment que la religion doit l’emporter sur la loi de la République. Parmi eux, à coup sûr, il y aura, une poignée certes, mais cela suffira, de personnalités fragiles, perturbées capables de s’engager d’une manière déterminer dans des actes singulièrement dommageables. Un travail policier et judiciaire peut annihiler leur démarche, mais on voit bien qu’il faut aussi s’attaquer au terreau lui-même en menant le débat sur la place du religieux : si ici toutes les religions sont autorisées, elles doivent demeurer dans leur sphère et ne pas prétendre dicter leur loi au temporel. Elles sont certes légitimes comme composantes sociales à avoir un rôle dans l’adaptation de la loi de la République et son application. Par exemple, les religions sont en droit d’avoir un point de vue sur les lois bioéthiques – et elles l’ont exprimé -, mais il revient au législateur de dire la loi qui s’appliquera à tous et à chacun par-delà ses convictions personnelles.

Dans le passé la République a su s’émanciper du poids du religieux. Le combat a été rude et a fait couler beaucoup de sang. Il a été gagné notamment à travers la loi du 9 décembre 1905, même s’il est réducteur de ne s’attacher qu’à ce texte emblématique en gommant plusieurs siècles de combat.

En tout cas, force est de constater que ce combat a été délaissé dans le cœur du XX° siècle. La société s’est reposée sur ses acquis sans les relégitimer aux yeux des plus jeunes ou des arrivants. Là a été la faute. Entre-temps fruit notamment l’immigration, la religion musulmane est devenue la deuxième religion de France. Comme toute idéologie elle a ses extrémistes qui n’hésitent pas à parler haut et fort, sinon à exercer la violence physique, pour exister et faire pression sur la masse des croyants. En l’espèce dans leur l’immense majorité les musulmans de France veulent vivre leur foi simplement, en paix, en étant respectés et en respectant ceux qui croient ou ne croient pas, dans le cadre de cette République qui somme toute, par-delà ses faiblesses et ses fautes historiques, les a accueillis, sinon généré les plus récentes générations. Pour autant un Islam de France républicain n’a toujours pas su s’organiser pour tenir un discours et gérer une police interne fort face à ceux qui prétendent parler au nom de l’Islam et affirmer l’enjeu politique de faire céder le temporel devant le spirituel.

On relève bien quelques velléités sporadiques et certainement pas à hauteur. Comme cet iman qui rappelait publiquement ces jours-ci que l’Islam est tolérant au point d’accepter que l’on ne croit pas. Le même rappelait que seuls les musulmans étaient contraints de respecter Mohamed : il acceptait explicitement que le Prophète puisse être raillé comme Jésus. Mais ces voix sont rares, trop rares ! La communauté musulmane va obligatoirement souffrir des réactions post-attentat. Elle a beaucoup à perdre. Plus que jamais il est urgent que tous les français musulmans qui profondément et intimement croient en la République s’organisent pour faire barrière aux extrémismes qui eux sont bien présents et redoutablement efficaces.

Dans le même temps il nous revient à tous, croyants ou agnostiques – et le parti des non-croyants est quand même le premier parti de France -, de jouer notre rôle. Ce serait là encore une autre erreur majeure que de nous reposer sur la police et la justice ou encore sur l’Education nationale et les enseignants. Bien évidemment l’école est en première ligne et elle le fait quotidiennement dans des conditions de plus en plus difficiles pour incarner au quotidien la laïcité au sens du respect de toutes les religions, déjà la neutralité de l’Etat par rapport à toutes les religions. Mieux, comme le veut la loi de 1905 en première intention, elle porte et démontre la liberté de conscience, notamment le droit de croire ou de ne pas croire. Elle l’incarne et aussi l’enseigne. Non seulement en rappelant les règles, mais ne leur donnant du sens, y compris historique comme de rappeler que trop sont morts au nom d’une religion et qu’aujourd’hui l’affirmation de la liberté de conscience et de la laïcité de l’Etat sont nos premiers biens commun.

Au moment où on attend que l’Education nationale maintienne plus que jamais cette ligne de front quitte à être protégée c’est bien dans toute la société que le débat soit être mené. Seule, l’école n’arrivera pas à contenir l’influence familiale ou communautariste. Protéger réellement les enseignants c’est faire en sorte que chacun sente que la société fait corps avec eux. Pas par des lois ou des policiers mais par une présence en portant une partie du fardeau. Il faut certes venir en aide et en relais aux enseignants dans l’école. C’était le projet formé à travers a création en 2015 par François Hollande de la Réserve citoyenne de l’Education nationale. L’idée était excellente d’appeler (enfin) les citoyens à se mobiliser pour parler la République, la laïcité, l’engagement auprès de plus jeunes, dans et hors l’école. Cette démarche ambitieuse devait être soutenue pour s’inscrire dans la durée. Las ! Etant quand même observé que seuls 7000 de nos concitoyens sur 45 millions d’adultes s’étaient mobilisés, force est de constater qu’en 2018 elle n’a pas été réaffirmée par la nouvelle majorité comme elle s’y était engagée.

En vain nous avons lutté pour éviter cet abandon. Tout logiquement les Réservistes se sont démobilisés de cette démarche. Les enseignants sont seuls dans une démarche combien délicate et désormais périlleuse. Exemple de l’occasion ratée ! Il faut relancer cette mobilisation en admettant l’erreur commise pour être crédible. L’Association des Citoyens Réservistes de l’Education nationale (ACREN)  y est toujours prête si la flamme était rallumée comme il nous avait été dit qu’elle le serait.

En toute hypothèse, nous devons avoir ce débat sur la laïcité et la République dans l’ensemble de la société. Il est dommage qu’on ait attendu et que nous l’engagions à travers une loi ou des marches blanches. La responsabilité est collective ; nous avons la classe politique que nous méritons. Avant de fustiger tel ou tel il nous revient de nous mobiliser à travers les structures et dans les lieux que nous offre la République.

Ne l’abandonnons pas à la seule Education nationale et à ses acteurs qui d’ailleurs refuserons pour nombre d’entre eux de livrer seuls ce combat ! On peut craindre que certaines prennent du recul, que l’on pratique encore plus l’autocensure au nom de la prudence alors même qu’il faut plus que jamais monter au front avec des stratégies et de moyens adaptés, mais en ayant le sentiment de n’être pas seuls ! Ce ne sont pas des héros dont il est besoin, mais de combattants lucides et faisant bloc sur tous les terrains, dans et hors l’école.

En d’autres termes quand on peut lucidement et sérieusement craindre demain des passages à l’acte plus ou moins graves venant de français qui entendent faire mettre la religion aux frontons de la République on ne peut pas se contenter de démarches dénonciatrices, incantatoires et donc stériles. Il faut certes des mesures législatives et administratives nous renforçant dans le combat à mener comme par exemple de rendre impossible la diffusion via les réseaux sociaux des messages de haine et les fausses informations. Il est tout aussi essentiel à tous les niveaux, sur le terrain et via les medias de revisiter en direction des jeunes et de moins jeunes les règles de la République. Des actes concrets doivent être posés pour marquer des limites au religieux de toutes obédiences.

Il faut se doter des instruments et des démarches adaptées, sans provocation, face à des personnes a priori dans une autre rationalité, prêtes à s’embraser. C’est seulement ainsi qu’à terme on pourra revivre tous ensemble en respectant la liberté de chacun de ne pas croire ou de croire.

Osons donc dialoguer en famille et dans tous les lieux avec les plus jeunes, mais pas seulement avec eux. Nous y avons jusqu’ici renoncé sans doute parce que nous avons le sentiment de n’être pas au clair sur la laïcité … faute de l’avoir réfléchie. Nous nous sommes contentés de la vivre, d’en profiter, sans la revisiter dans son histoire et sa portée. Nous nous sentons incapables de la parler. Armons-nous intellectuellement pour cela. Le pire face aux jeunes est d’abandonner le terrain et donner le sentiment de fuir le débat par faiblesse. Une journée nationale de la laïcité – le 9 décembre – ne suffit pas !

La démarche est exigeante, passionnante. Elle doit s’inscrire sur la durée et être complémentaire de la rigueur de l’attitude à avoir envers ceux qui violent nos règles communes.

N’abdiquons pas de nos responsabilités communes, méfions-nous de nos sincérités successives, des simplifications et de l’incantation. Nous subirons d’autres agressions ; peut-être même encore plus choquantes qu’elles viendront de France ! Le combat pour refonder la République aux yeux de tous va être long. Encore faut-il y croire et l’assumer dans ses pleins et ses creux. Et aussi, dans le même temps mener le combat hors nos frontières, l’un nourrissant souvent l’autre. Un sacré challenge.

Interrogations sur la politisation de la protection de l’enfance (877)

On pourrait se réjouir de voir des parlementaires s’investir sur la protection de l’enfance. A condition d’être crédibles.

Coup sur coup le Rassemblement national et la France Insoumise viennent de déposer des propositions de résolution visant à mettre en place une commission d’enquête sur l’état de la protection de l’enfance.[1]

Pour  avoir de longue date dénoncer le désintérêt des  élus sur ces questions pourtant sensibles[2], on appréciera de voir sortir la protection de l’enfance de « l’angle-mort des politiques publiques » dénoncé par Laurence Rossignol alors ministre d’enfance et de la famille.

Une mission régalienne redécouverte
A l’aune des scandales relevés dans certaines institutions ou des drames touchant de jeunes confiés aux institutions sociales, on entend aujourd’hui élever la protection de l’enfance au rang de fonction régalienne de l’Etat en observant que cette approche n’avait pas cours en 1982-1984 à l’occasion de la démarche de décentralisation. Force est même de constater que des années durant, ayant confié le bébé aux Conseils departementaux, l’Etat a « oublié » qu’il conservait légalement des responsabilités dans ce domaine. Il a la gestion à part entière de services essentiels comme le service social scolaire et le service de santé des élèves, mais encore du champ du handicap. Ses responsabilités sont majeures pour garantir les droits des enfants à travers la police, mais également les juridictions. Il a aussi à charge les personnes sans domicile fixe.[3] Comme le lui rappelle régulièrement le Comité des droits de l’enfant de l’ONU Il lui revient encore de veiller non seulement à une politique nationale dont il doit rendre compte eu égard à la ratification par la France de la Convention des droits de l’enfant ; il lui appartient aussi de veiller, territoire par territoire, à ce que le dispositif de protection de l’enfance fonctionne au mieux en mobilisant et en articulant entre eux tous les acteurs publics et associatifs. Mais avec quels moyens dès lors qu’il s’est démuni de toute administration sociale territoriale ?[4]

Force est bien de reconnaître que l’Etat s’est essentiellement évertué depuis quatre décennies à  faire la loi. Il a multiplié, le plus souvent à juste titre, les exigences à l’égard des acteurs du dispositif, mais souvent sans véritable travail préparatoire susceptible de créer une dynamique et en laissant les seules autorités locales supporter le poids des mesures nouvelles en négligeant de dégager les moyens nécessaires.[5] Dernier exemple en date : la condamnation du recours à l’hébergement en hôtel par la loi du 7 février 2022 sans accompagner les départements aux nécessaires investissements immobiliers et recrutements qu’exigeait une telle posture. On sait ce qui est advenu de cette disposition : une pétition de principe.

Des élus territoriaux n’ont pas manqué au fil du temps de prendre la mesure des responsabilités qui leur étaient allouées par les lois de décentralisation sans être toujours préparés à les assumer au regard du processus électoral qui les y conduit. Problème de culture et de formation, mais surtout manque de réflexion préalable au plan local comme au plan national sur les enjeux, les outils, les politiques publiques possibles et souhaitables. On compterait sur les doigts de deux mains les responsables publics capables de tenir un discours argumenté et cohérent sur ce dispositif, a fortiori d’avancer un projet opérationnel.

Pour autant indéniablement nombre d’élus territoriaux se sont investis et ont fréquemment réussi à entraîner leurs instances sur des politiques locales répondant au mieux aux besoins identifiés. Reste, aujourd’hui plus que jamais, les difficultés de l’exercice au regard des difficultés financières rencontrées par la plupart des collectivités territoriales.

Les budgets publics ont singulièrement cru pour doubler en 20 ans et atteindre quasiment 10 milliards d’euros l’an, hors dépenses de personnels publics. Pour autant le dispositif est embolisé, incapable de répondre à la demande. Ici comme ailleurs (santé, éducation, police, justice etc.) les pouvoirs publics n’ont pas mené en temps utile, faute d’intérêt à ces enjeux, une démarche prospective sur les besoins et les stratégies à tenir et engager la planification qui s’imposait pour se doter de professionnels reconnus dans tous les sens du terme, par leur statut, mais aussi par leur rémunération, dans la mission qui leur était allouée, pourtant publiquement tenue pour essentielle.

De fait, cela a été un combat constamment à renouveler que d’obtenir un poste de ministre en charge spécifiquement de l’enfance, a fortiori de la protection de l’enfance. Négligé sous Macron I il s’est imposé comme réponse politique aux scandales médiatisés en 2017. Encore jusqu’à ces dernières semaines un poste de ministre de l’enfance n’était pas acquis. Les programmes politiques sont plus que vides sur ces questions au point où l’annonce en fin de campagne par le président candidat à son renouvèlement d’une priorité enfance – sans en préciser le contenu – a été une surprise pour tous. Bref l‘enfance et la protection de l’enfance ne sont des objets de politiques publiques que du bout des lèvres faute de réflexion et de débat au sein des partis.

Tous les responsables publics sont conscients désormais que la protection de l’enfance est un dossier explosif auquel l’opinion est sensible quand 5,5 millions  personnes affirment avoir été victimes de violences sexuelles le temps de leur enfance dont 3  en milieu familial. Ajoutons 3 millions d’enfants vivant sous le seuil de la pauvreté, plusieurs milliers dormant dans la rue et plusieurs dizaines de milliers porteurs de handicap n’étant pas scolarisés à hauteur. Comment la France peut-elle à ce point ne pas protéger tous ses enfants ?

Dès lors quand certains affirment que le dispositif de protection de l’enfance touche ses limites et appellent à renverser la table, on se satisfait qu’un débat public se noue et que d’ores et déjà des responsables publics même en ordre dispersé abordent ce dossier pour en faire un sujet politique au sens noble du terme dépassants l’approche purement technique.

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Reste qu’on doit s’inquiéter de voir ces questions abordées avec en arrière-fond des dimensions qui n’ont strictement rien à voir avec la protection de l’enfance qui appelle, sur des constats objectifs, solides et partagés, à des réponses réfléchies, posées, mobilisant à défaut d’être consensuelles l’ensemble des acteurs quand personne ne détient la vérité et la capacité de répondre seul aux problèmes posés. Il faut articuler l’Etat et les collectivités territoriales, les intervenants publics avec le secteur associatif non lucratif, veiller à inscrire ces politiques dans le contexte de la société civile en mobilisant des acteurs qui ne sont pas nécessairement des professionnels de la protection de l’enfance.[6]

Ainsi comment ne pas s’étonner que l’ensemble des conseils départementaux de France n’ait pas emboité le pas des 24 Conseils demandeurs d’Etats généraux de la protection de l’enfance. Parce qu’ils ont une gouvernance de Gauche ? Est-ce à dire que dans les 2/3 des départements à gouvernance de Droite les problèmes structurels posés n’existent pas ? Bien évidemment tel n’est pas le cas.

Le tout noir
Surtout on doit être inquiet des termes dans lesquels des élus qui se disent révoltés devant des drames dont des enfants ont pu être les victimes perdent le sens de la mesure au point de se discréditer et déjà d’inquiéter. En tout cas leur posture trahit une méconnaissance fondamentale du sujet quand, pour dénoncer les dysfonctionnements certes majeurs et insupportables, on jette l’opprobre sur l’ensemble du dispositif social et judiciaire alors que tant d’enfants et de jeunes majeurs en bénéficient. Sans oublier tous ces parents accompagnés au quotidien dans l’exercice de leur responsabilité par un soutien financier ou éducatif afin d’éviter c’est une situation difficile ne se cristallise dans une crise conduisant l’explosion de l’univers familial.

La lecture du court exposé des motifs de la proposition de loi LFI est ici glaçant qui laisse à penser, sans la moindre nuance, que l’ASE est non seulement une institution maltraitance, mais mortifère. Dans une présentation bien plus conséquente et fouillée – même si on sent rapidement les coupés-collés, le RN qui présente l’institution comme un lieu où les enfants sont abandonnés à leur sort au risque de violences, de viols, de prostitution et sans les réponses aux besoin de santé et d’éducation, conscient de l’écueil,  essaie de ne pas tomber dans le piège, sans pour autant y parvenir : «  (..) Cette demande de commission d’enquête (..) doit permettre, non pas de jeter le discrédit sur toute une institution et les personnes bienveillantes qui œuvrent quotidiennement à l’épanouissement des enfants placés, mais bien de trouver des solutions afin que notre législation puisse enfin s’appliquer ».

Au passage, on ne se refait pas, il n’évite pas de tomber dans le travers de rendre les Mineurs étrangers non accompagnés responsables à ses yeux de la surcharge des services sociaux. Sans nier la pression que  font peser ces jeunes sur l’institution il est malhonnête de négliger que, sans eux, on relèverait quand même une augmentation sensible de l’institutionnalisation : 177 000 accueils en fin d’année 2022 pour 135 000 dans les années 2000.

L’honnêteté veut d’observer que les questions posées au final dont on souhaite l’examen par la commission d’enquête, dans les deux propositions de loi sont légitimes et pertinentes. On peut simplement s’interroger sur l’opportunité d’une telle démarche quand le 5 aout 2023 le Sénat sur le rapport de M. Bonne sur les difficultés d’application des lois de 2007, 2016 et 2022. Les données sont sur table ; les auteurs  de ces propositions les ignorent : il s’agit aujourd’hui moins d’analyser que d’agir.

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Il est temps d’ouvrir les débats sur des bases solides avec la difficulté toujours présente de disposer de bases de référence sérieuses et partagées. Force est de constater encore les carences qui conduisent à délibérer au doigt mouillé, au superficiel ou à la seule émotion. Le GIP France Enfance protégée installé en 2023 engage la démarche pour y pallier. Il faudra  du temps pour qu’elle produise ses effets et déjà que tous jouent le jeu de l’alimenter.

Pour nouer ce débat politique nécessaire des instruments existent qu’il faut faire vivre.

On attendait du Conseil national de protection de l’enfance installé en 2017 d’être ce lieu d’échange régulier entre Etat pris dans ses différentes composantes, les collectivités territoriales et le secteur habilité non lucratif à travers leurs instances représentatives, les professionnels, la recherche  et la société civile. Force est d‘observer eu  égard au niveau de représentation qu’il est plus instance technique pluri-institutionnelle et interdisciplinaire – au demeurant légitime et incontournable – qu’un organe politique. Un temps menacé dans son existence même par l’Etat qui ne supportait pas sa « critique » quand bien même elle lui était utile, maintenu et détaché par la loi de 2022 de la tutelle d’un ministre qui le présidait,  le CNPE est sinon une instance autonome du moins a vu réaffirmé sa liberté d’analyse, quitte à déranger notamment les pouvoirs publics d’Etat et territoriaux.

Si l’Assemblée nationale s’est dotée (enfin) d’une Délégation aux droits de l’enfant, le Sénat s’y est refusé. Elle doit encore faire ses preuves et devenir un vrai forum politique.

Surtout il va encore falloir du temps pour que nous ayons une classe politique qui certes portera les valeurs et les engagements de ses composants, mais s’attachera à améliorer ce dispositif en sachant que d’ores et déjà les sujets à aborder sont déjà sur la place publique qui exigent des décisions inscrites dans une programmation donnant à chacun des perspectives mobilisatrices dans l’instant.

Une pause législative s’impose : l’enjeu ici plus qu’ailleurs est moins de changer la loi que de veiller à son application. Et si des dispositions nouvelles sont adoptées une évaluation sur les causes des blocages enregistrés s’impose, des études d’impact et des recherches sur les résultats obtenus doivent suivre.

Il faut en revanche une politique volontariste de revalorisation des métiers de l’humain[7] pour retrouver d’urgence ces intervenants sociaux qui nous font aujourd’hui défaut pour l’exercice des mesures de protection. Il est tout aussi urgent de faire baisser la pression sur les institutions en mobilisant les compétences familiales et de proximité et de remettre  à niveau des dispositifs de soutien aux familles en difficulté en grande souffrance pour que le recours à la justice devienne réellement subsidiaire et ses mesures réellement exercées. Il faut aussi prendre des nouvelles décisions fortes comme d’identifier les responsabilités au sein de la famille moderne, en finir avec le seuil des 21 ans pour le suivi de l‘accompagnement des enfants devenus majeurs ou promouvoir une action globale intégrant toutes les dimensions sociale, éducative et sanitaire par une coordination réelle des interventions.

Alors et alors seulement se posera alors la question des responsabilités politiques pour mettre en œuvre cette mission de service public et garantir l’équité dans l’accès aux droits sur tous les territoires. Faut-il recentraliser, mais comment garantir l’adaptation des politiques nationales aux besoins des territoires ? Faut-il maintenir la décentralisation, mais comment mieux garantir accompagner les évolutions sur tout le territoire ? On n’échappera pas au besoin d’articuler des responsabilités plurielles, nationales et locales, publiques et privées, professionnelles et civiles.

Ces questions politiques exigent des responsables politiques qui aient  travaillé et réfléchi pour rechercher les pistes opérationnelles qui coalisent et non pas divisent.[8]

Oui au débat politique constructif qui s’appuie sur les acquis pour répondre aux dysfonctionnements relevés. Non au débat politicien populiste qui dénie, oppose et discrédite pour instrumentaliser une cause aussi fondamentale.  La protection de l’enfance  mérite mieux.

Dans l’intérêt général bien compris.

[1] Proposition de résolution n° 2294 et n°2304

[2] Sauf quand il s’agissait d’interpeller l’Aide sociale à l’enfance trop longtemps présentée comme une réserve inexploitée d’enfants adoptables

[3] En d’autres termes aujourd’hui les mineurs étrangers non accompagnés.

[4] Dix postes de délégués viennent d’être créés pour 101 departements !

[5] Exemple l’exigence d’un projet pour l’enfant qui exiger par-delà un document formel une révolution des pratiques sinon de l’organisation

[6] On le voit aujourd’hui à travers le Réseau éducation sans frontières (RESF) mobilisé pour aider des mineurs étrangers non accompagnés

[7] Quelles suites vont être données au Libre Blanc récemment rendu public ?

[8] En janvier 2022 le sénateur Xavier Iacovelli dénonçant la disparité des politiques publiques territoriales proposait une expérimentation de recentralisation sur 3 ans sans que son texte ait été depuis suivi d’un examen public