Frida Kahlo-Helena Noguerra, la rencontre inattendue

La conteuse ne s’était jamais retrouvée en tête à tête avec la peintre, qu’elle interprète au théâtre ; chose faite au Centre Pompidou.
Helena Noguerra devant un autoportrait de Frida Kahlo au Centre Pompidou.
Helena Noguerra devant un autoportrait de Frida Kahlo au Centre Pompidou. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Un bruit effroyable. Un hurlement de tôles. Le chaos. Des cris. La panique. Dans le bus qui vient de s'encastrer dans un tramway, des Mexicains dont un couple de jeunes gens. Frida vient de perdre sa virginité. Pas par son petit ami. Une barre de fer vient de traverser son sexe, sa colonne vertébrale, son âme. Cette barre vient de forger son destin. Elle voulait être médecin. Elle ne le sera pas.

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La peintre la plus célébrée au monde est née au fond de son lit à la suite de ce terrible accident. Elle a 18 ans. Frida est hospitalisée pendant des mois. Elle s'ennuie. Sa mère lui apporte un miroir, placé au-dessus de son lit. Frida Kahlo commence à peindre. Le seul visage qu'elle voit est le sien. Naîtront ensuite, tout au long de sa vie, des dizaines d'autoportraits. « Je me peins moi-même parce que je suis si souvent seule et que je suis le sujet que je connais le mieux. »

Frida crée Kahlo bien avant son accident de bus. Ayant la polio, boitant, elle ne se cache pas. Elle impose sa différence. Elle n'exhibe pas sa maladie. Elle la déguise, capturant l'attention par ses tenues, ses nattes, les fleurs qu'elle y pique, qui attirent et aveuglent comme des gyrophares. Elle porte de longues robes qui cachent son corps abîmé et détournent, elles aussi, l'attention. Ses tenues mexicaines sont également les preuves de son attachement viscéral à son pays.

Frida Kahlo-Helena Noguerra, la rencontre inattendue


Frida Kahlo au Centre Pompidou

Frida a un besoin irrépressible d'amour, médicament idéal anti-solitude dont elle a une peur gigantesque. Solitude voulant dire aussi ennui, elle sera toute sa vie une amoureuse. Des aventures jusqu'à la rencontre avec l'homme de sa vie, Diego Rivera. Ils s'aimeront, se tromperont, divorceront, se remarieront. Ils partagent leurs convictions politiques et une belle maison bleue dans la banlieue de Mexico. Dans leur maison défilent des hôtes de marque. Trotski, poursuivi par Staline, se réfugia dans la maison jusqu'au lit de Frida. Celle-ci aime séduire, conquérir, hommes et femmes. Elle peint beaucoup, mais ne vend pas. La gloire c'est pour Diego. Ce dernier fait tout pour la mettre en valeur. Il respecte son talent. En catimini, il achète un tableau afin qu'elle croie enfin en elle. Elle le découvrira.

« Je ne peins pas mes rêves, je peins ma réalité »

Enfin le grand jour ! Venu de Paris, frappe à la porte de sa maison bleue le « gourou » des surréalistes. André Breton considère Frida Kahlo comme une des leurs. Ne montret-elle pas dans ses tableaux des choses irréelles, n'y place-t-elle pas des incongruités ? Breton invite Kahlo à Paris en 1939. Elle se voit déjà en haut de l'affiche mais ne le sera pas. Le Mexique est l'hôte de l'exposition. Malgré elle, Frida accroche une vingtaine de tableaux placés à côté d'objets folkloriques. Elle est vexée et elle n'aime pas les surréalistes. La guerre approche. Elle est sidérée qu'ils continuent de jacasser, égocentrés, aux terrasses de café. Petit détail, elle ne se considère pas comme surréaliste. « Je ne peins pas mes rêves, je peins ma réalité ». Paris ne sera pas un bon souvenir. Elle ne vendra qu'un seul tableau aujourd'hui exposé au Centre Pompidou, seul lieu en Europe où il est possible de « face-à-facer » avec un Kahlo.

Sur scène, Helena Noguerra raconte avec une empathie tendre et joviale Frida, sa nouvelle sœur. Helena déambule pieds nus, raconte, chante, partage des confidences écrites par Frida. Helena improvise, se livre parfois. Elle aussi a besoin d'être aimée et ce n'est jamais assez, d'exister devant les autres et ce n'est jamais assez non plus. Elle a besoin d'enjeux, de défis pour ne pas être éteinte par l'ennui. Frida est communiste, Helena fille d'anarchistes, leurs parents ont laissé leurs filles libres de tracer leur chemin, une chance, quel vertige aussi. Maladie et accident ont balisé le chemin pour Frida, moins pour Helena. Libre mais sans balise, Helena essaie, fonce. Mannequinat, chant, écriture, actrice, lectrice, Helena avance pour ne pas reculer, pour ne pas sombrer.

Frida Kahlo-Helena Noguerra, la rencontre inattendue


Frida Kahlo en 1938 dans sa maison de la banlieue de Mexico, « La Casa Azul »

Pour la première fois, Helena rencontre Frida au Centre Pompidou, ouvert spécialement pour l'occasion. Elle s'approche de la salle où se trouve le tableau. Elle ne sait pas où il est accroché. Elle déambule, le cherche. Elle est sérieuse. Toujours enjouée, elle est ici étonnamment réservée, craintive. Le tableau, appelé Le Cadre, l'attend dans la salle d'à côté. Le cadre en question est banal, artisanal, rouge, acheté par Frida sur un marché. Son autoportrait est orné d'oiseaux. Elle s'est représentée dans un style de Madone. Ce néo-ex-voto est parfait pour l'idolâtrie. L'autoportrait est un des trésors du Centre Pompidou, sa Joconde.

Et les mots d'Helena galopent

Helena découvre au loin le portrait de Frida. Helena se rapproche, timide, incertaine, elle que l'on imagine n'être ni l'un ni l'autre. Et des mots murmurés, lents. « Je vois d'abord ce que Frida n'a jamais caché, sa petite moustache, ses épais sourcils qui se rejoignent formant les ailes d'un oiseau qui vole, libre comme Frida l'était... Une fois de plus, Frida ne sourit pas. Elle n'aimait pas son sourire. »

Et les mots d'Helena galopent. « C'est absolument passionnant car en face de moi il y a à la fois la joie et la gravité. Son visage confesse des souffrances apprivoisées. Les couleurs, les oiseaux enrobent gaiement ses souffrances. C'est le côté viva la vida de Frida. Mais, je vois aussi un visage dur. Pour s'imposer quand on est différente et vouloir exister à côté d'un peintre vénéré, il faut être dure ou jouer à la dure. Cette façade protège aussi. Elle élimine la pitié...

Je lis sur scène de bouleversantes lettres d'amour, pleines de tendresse, preuve que sous la glace se tapissait la braise. Elle était une grande désirante. Plus je la découvre, plus je comprends que soit elle se résignait à être une femme cassée, une victime et mourait à petit feu, soit elle choisissait de vivre tout intensément, aimer, être aimée, être une peintre reconnue. Là, devant le tableau, si près d'elle, je vois sa détermination, sa radicalité. Ce qui est fascinant, c'est qu'en me dirigeant vers le tableau je ne voyais qu'un tableau joyeux, un viva la vida pour attirer et embellir une vie chaotique. Frida était probablement dépressive, une inquiète joyeuse, comme moi peut-être. »

« Frida Kahlo », avec Héléna Noguerra, La Scala, du 25 mars au 23 juin.

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