Macron passe de la colombe au faucon sur l'invasion de l'ukraine par la Russie

Zelensky et Macron

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Légende image, Emmanuel Macron (à droite) insiste désormais sur le fait que la sécurité de l'Ukraine est la sécurité de l'Europe.
  • Author, Hugh Schofield
  • Role, BBC News, Paris

Qu'est-ce qui a bien pu pousser Emmanuel Macron à passer de l'apaisement au bellicisme dans l'affaire de la Russie et de l'Ukraine ?

C'est la question qui se pose dans toutes les chancelleries de l'Europe, alors que le président français s'habitue à son nouveau rôle de résistant en chef du continent face à Vladimir Poutine.

Si certains pays - les pays baltes, la Pologne - se félicitent de l'apparente conversion du président Macron à leur évaluation "réaliste" de la menace moscovites, d’autres par contre - notamment l'Allemagne du chancelier Olaf Scholz - sont consternés par ce nouvel esprit français "va-t-en-guerre". Quelle est la sincérité de la nouvelle ligne Macron ? Son récent refus d'exclure l'envoi de troupes en Ukraine n'est-il qu'une autre de ses surprises, un témoignage de son insatiable besoin de faire un coup d'éclat diplomatique ?

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Et dans quelle mesure son nouveau positionnement est-il purement politique ?

Les élections européennes approchent, et la droite dure de Marine Le Pen et de Jordan Bardella semble prête à battre les macronistes. Emmanuel Macron utilise-t-il l'Ukraine pour créer une ligne de fracture entre son camp et l'opposition, en établissant un contraste entre sa propre belligérance lucide et la complicité trouble de Mme Le Pen avec Moscou dans le passé ?

Soldats en guerre

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Légende image, La France a envoyé des armes et formé des troupes ukrainiennes, mais M. Macron insiste sur le fait qu'il faut en faire plus.

Lors d'une interview en direct à la télévision française, le président a implicitement reconnu que ces questions cruciales étaient posées.

Mais, à la manière de Macron, il n'a pas cherché à apaiser, mais à affirmer. Loin d'atténuer son nouvel alarmisme, il l'a expliqué. Nullement embarrassé par sa "conversion" de colombe à faucon, le président a estimé que l'une devait inévitablement précéder l'autre.

Ce n'est qu'après avoir épuisé tous les efforts pour tendre la main à un adversaire qu'il est possible d'affirmer avec certitude que cet adversaire est hors d'état de nuire. En outre, il a affirmé que les Russes avaient désormais poussé leur agression à un tout autre niveau.

Le Kremlin, a-t-il dit, a adopté ces derniers mois une ligne nettement plus dure, plaçant l'économie russe sur un pied de guerre permanent, intensifiant la répression de l'opposition interne et multipliant les cyber-attaques contre la France et d'autres pays. Avec une Ukraine de plus en plus assiégée et des États-Unis qui ne sont plus des alliés fiables, l'Europe entre dans un nouveau monde, a-t-il déclaré : "Un monde où ce que nous pensions impensable se produit en réalité.

C'est pourquoi, selon la nouvelle doctrine Macron, la France et l'Europe doivent se préparer à un sursaut - un saut mental hors des certitudes douillettes de l'ère qui s'achève et dans les dures réalités de la nouvelle.

Sur un ton délibérément churchillien, il estime que pour maintenir la paix, l'Europe doit être prête à la guerre.

Emmanuel Macron

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Légende image, Emmanuel Macron a même suggéré que la France pourrait être amenée à envoyer des troupes sur le terrain en Ukraine.

Mais comme toujours avec Emmanuel Macron, il y a aussi la question : il peut convaincre, mais peut-il persuader ?

Car la difficulté permanente du chef de l'État français n'est pas, à l'évidence, le manque de matière grise, mais la capacité à convertir cette brillance en un autre talent : le leadership. Une capacité à entraîner les autres dans son sillage.

Et sur ce point, il est loin d'être évident que les autres s'aligneront.

Le signe le plus flagrant est le fossé qui sépare le dirigeant français de l'homme qui est censé être son plus proche allié en Europe, l'Allemand Olaf Scholz.

Dans la tradition franco-allemande, les deux parties se rabibochent publiquement et affichent le front commun obligatoire. D'où la visite de Macron à Berlin.

Mais aucune accolade ne peut dissimuler la discorde fondamentale : La France accuse l'Allemagne de traîner les pieds en ce qui concerne l'aide à l'Ukraine et de faire preuve d'un aveuglement délibéré en s'accrochant à la permanence du parapluie de sécurité américain ; l'Allemagne accuse la France de belligérance inconsidérée, d'hypocrisie (ses livraisons d'armes sont en fait bien inférieures à celles de l'Allemagne) et de démagogie macronienne.

Emmanuel Macron et Olaf Scholz

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Légende image, Emmanuel Macron s'est rendu à Berlin vendredi pour s'entretenir avec le chancelier Olaf Scholz au sujet de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Mais au niveau national également, le soutien à Emmanuel Macron sur l'Ukraine est plus faible qu'il ne veut bien le croire. Les sondages montrent qu'une grande majorité - environ 68 % - s'oppose à sa position sur l'envoi de troupes occidentales. Plus généralement, alors que la plupart des gens sont clairement opposés à la Russie, l'institut de sondage Ifop fait état d'une "érosion progressive du soutien à la cause ukrainienne".

Et s'il y a effectivement un sous-texte électoral à sa nouvelle ligne dure vis-à-vis de Moscou - destinée à exposer les ambiguïtés de l'extrême droite -, il ne semble pas que cela fonctionne. Les enquêtes d'opinion montrent que le soutien au Rassemblement national (RN) de Mme Le Pen ne fait que se renforcer.

En se transformant en leader européen de la lutte contre l'apaisement, le président Macron s'engage une fois de plus sur un nouveau terrain.

Il prend les devants et pousse les Européens à réfléchir sérieusement à leur sécurité et aux sacrifices qui pourraient bientôt s'avérer nécessaires.

Tout cela est sans doute bienvenu.

Sa difficulté réside dans le fait que trop de gens réagissent mal à son égard.

Ils lui en veulent de sa confiance en soi et estiment qu'il confond trop facilement ce qui est bon pour l'Europe et le monde avec ce qui est en fait juste bon pour la France - ou pour lui-même.