“Le Nom de la rose” et quatre autres fictions où le livre tue

Le “whodunit” médiéval de Jean-Jacques Annaud a retrouvé le chemin des salles en version restaurée. Un ouvrage disparu semble y provoquer la mort… Comme dans ces quatre autres œuvres où la littérature se nourrit de sang.

Sean Connery dans « Le Nom de la rose ».

Sean Connery dans « Le Nom de la rose ». Constantin Film - Cristaldifilm

Par Joseph Boinay

Publié le 17 mars 2024 à 20h00

Mis à jour le 18 mars 2024 à 14h35

Le cinéma a toujours fait preuve d’une grande déférence à l’égard de la littérature. Pour preuve, le soin apporté à la confection des fausses enluminures dans Le Nom de la rose (de nombreux manuscrits furent d’ailleurs volés pendant le tournage). Reste qu’on prête parfois aux livres une si grande puissance évocatrice qu’on peut leur associer des pulsions criminelles… Le papier se nourrit-il du sang des innocents ? Pour célébrer ce chef-d’œuvre de Jean-Jacques Annaud (et sa ressortie au cinéma en version restaurée), voici cinq grandes fictions qui ont le palimpseste brutal.

“Le Nom de la rose” (1986), de Jean-Jacques Annaud

C’est sans doute une des plus fameuses trouvailles du Nom de la rose : faire du second tome de la Poétique d’Aristote, pourtant réputé disparu (et même, sans doute jamais écrit), un élément central d’une intrigue policière. Pourquoi tous les moines qui se risquent à le lire connaissent-ils une mort violente ? Au cœur d’une dispute théologique passionnante, à côté d’autres controverses sur la pauvreté de l’Église et l’hérésie, le philosophe grec devient aussi pop que Conan Doyle ou Agatha Christie. Et en inventant le whodunit médiéval, le réalisateur de La Guerre du feu a sans doute apporté au cinéma une de ses enquêtes les plus excitantes.

“The Ghost Writer” (2010), de Roman Polanski

The Ghost Writer, c’est d’abord, en français, un prête-plume. Ici au service de l’ancien Premier ministre britannique, campé par un Pierce Brosnan au sommet de la chaîne alimentaire des animaux politiques, en grand fauve impénétrable et carnassier. Est-ce lui qui a fait disparaître son précédent biographe, retrouvé noyé sans aucune raison dans l’Atlantique ? Dans ce grand récit paranoïaque, lacanien, les certitudes tanguent et, pour finir, prennent l’eau. À mesure qu’Ewan McGregor cherche dans le manuscrit les signes qui pourraient confondre le coupable, il pourrait finir par y laisser des plumes, ou des pages…

“Death Note” (2017), série de Tetsurō Araki

Impossible de ne pas évoquer Death Note, la série culte de Tetsurō Araki, l’anime faustien « au graphisme exceptionnel » tiré du manga de Tsugumi Ōba : le concept y est tout entier synthétisé par son titre, qu’on pourrait traduire par « carnet de mort ». Bon, il ne s’agit pas vraiment d’un roman mais plutôt d’un journal divin, dont a hérité un lycéen frappadingue. Tout de même : l’objet a le pouvoir de tuer quiconque a son nom couché sur le papier. Light Yagami, poussé par le désir fou de bâtir un monde parfait, s’en sert pour éliminer ceux qu’il considère comme des parasites. Peut-être aurait-il dû plutôt relire les Évangiles, mais on aurait manqué cette friandise macabre…

“Evil Dead” (1981), de Sam Raimi

Ici, le livre est moins le coupable qu’un instrument au service du Malin. Reste qu’il est impossible d’oublier le Necronomicon d’Evil Dead, ce manuscrit vivant, portail vers les ténèbres qui ranime les morts quand on en lit les incantations : sa croûte en cuir au visage déformé a marqué des générations d’ados. Et puis, c’est le début d’une histoire en forme de success story pour Sam Raimi : dès le deuxième opus, il se tournera vers le pastiche façon cartoon, occasion de réaliser, plus tard, des adaptations célèbres de comics, comme Spider-Man (2002) ou Doctor Strange in the Multiverse of Madness (2022).

“L’Antre de la folie” (1994), de John Carpenter

Encore une fois, dans ce récit gigogne jusqu’à la nausée, parabole méta de l’auteur en démiurge, le livre n’est pas directement incriminé. Mais il rend le monde si fou qu’un détective et un agent littéraire se mettent à décapiter des innocents à la hache. Dans l’hypothèse qu’il s’agit de la vérité, bien sûr : schizophrénie, réalité alternative, délire de l’artiste ? Au départ simple enquête visant à retrouver Sutter Cane, un auteur à succès, l’intrigue se mue en récit fantastique autour de son dernier manuscrit, L’Antre de la folie, qui fait s’effondrer l’intrigue sur elle-même, à l’infini. Un coup on se dit que c’est trop et la minute d’après on rembarque avec une joie mélancolique, jusqu’à une forme de prostration heureuse.

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