Cinéma

Noémie Merlant et Naomi Amarger, les interviews pour Le Ciel attendra

Le Ciel attendra

© Guy Ferrandis

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Par Cathy Immelen

Cathy Immelen a rencontré les deux actrices au Festival de Namur, pour Tellement Ciné.

Cathy Immelen : Vous incarnez deux jeunes filles avec des parcours différents. Pouvez-vous nous présenter vos personnages ?

Naomi Amarger : Je joue le rôle de Mélanie qui est une lycéenne en première S, qui a une adolescence plutôt bien en marche : elle est bonne à l’école, elle a des amis, elle joue du violoncelle, elle parraine une association. Après la mort de sa grand-mère, elle va se retrouver à rentrer en contact avec un recruteur de Daesh par Facebook qui va progressivement l’embrigader en répondant à ses angoisses sur le sens de la vie, sa façon de se rendre utile et elle va se méprendre en croyant ce qu’il lui raconte.

Noémie Merlant : J’interprète le rôle de Sonia qui est une jeune fille de dix-sept ans et on commence avec elle quand elle est déjà embrigadée donc on va suivre, en parallèle de Mélanie, tout le processus de désembrigadement. Sonia, c’est une jeune fille – dont les parents sont incarnés par Sandrine Bonnaire et Zinedine Soualem – qui a un rapport très fusionnel avec sa mère au départ, mais qui est en rapport conflictuel avec ses parents quand elle est embrigadée. Le personnage de Zinedine Soualem est un père de culture musulmane mais qui ne pratique pas et qui n’est pas particulièrement croyant et c’est quelque chose que Sonia reproche à son père. On va la suivre dans tout ce processus-là. Et ça montre qu’il y a de l’espoir aussi par des méthodes de désembrigadement. Dounia Bouzar est là pour recréer du lien et ramener l’individu et ramener aussi le lien avec les parents et l’amour, et montrer que sans amour et sans dialogue, on ne peut pas s’en sortir et que c’est important.

Cathy Immelen : Est-ce que le projet du film date d’avant les attentats de Paris ?

Noémie Merlant : Oui, quelques mois avant. Marie-Castille, la réalisatrice, s’est intéressée au sujet donc elle a suivi Dounia Bouzar et son équipe. Elle a donc rencontré des familles, des jeunes filles, des parents. Et c’était, je pense, quatre mois avant le tournage. Et, les attentats du Bataclan sont arrivés deux jours avant le début du tournage. Le scénario était donc déjà écrit.

Le Ciel attendra
Le Ciel attendra © Guy Ferrandis

Cathy Immelen : Est-ce que ça a changé quelque chose pour vous, deux jours avant le tournage, d’être au cœur de l’actualité comme ça ? Est-ce que ça a mis une charge plus lourde sur le tournage ?

Naomi Amarger : Oui. Et en même temps, ça nous a encore plus donné envie de le faire, parce que ça nous a semblé encore plus nécessaire de transmettre ce message-là, c’est-à-dire de donner aux gens les clés pour comprendre l’embrigadement et en même temps de montrer que ce n’est pas une fatalité et qu’il y a de l’espoir. Mais, on a eu tous très peur. Il y a un moment où même Marie-Castille ne savait pas si elle allait toujours faire le film, elle ne savait pas si elle se sentait légitime en tant que cinéaste de prendre quelque chose d’aussi fort et actuel pour en faire un film.

Noémie Merlant : On ne parlait pas énormément de l’embrigadement des jeunes filles alors que quarante pourcent des jeunes embrigadés sont des filles donc c’est important de montrer comment une fille peut passer de Disney Channel à vouloir partir en Syrie. Parce que la peur ça se combat par le dialogue et en essayant de comprendre ce qu’il se passe.

Naomi Amarger : J’avais l’impression que ça me rendait plus forte de participer au film. Déjà de faire quelque chose, parce que quand il y a eu les attentats, comme tout le monde, je me suis sentie super démunie et impuissante et avec une envie de faire quelque chose contre ça. Et comme je ne sais pas faire grand-chose, c’était ma façon à moi de m’engager, de participer à un projet que je trouve utile et important.

Noémie Merlant : Ne pas seulement subir, d’être dans l’action… On était tellement unis sur ce tournage, il y a eu tellement d’amour. L’humain était vraiment au cœur du tournage et c’est ça aussi qu’on a envie de transmettre quand on fait des débats, quand on parle aux gens. Voilà, ouvrir au dialogue parce que sans dialogue on ne peut pas avancer. Aussi, ce qui nous a semblé tellement nécessaire, à la lecture du scénario et même dans le film, ça pose les choses et qu’il ne faut pas faire d’amalgames entre l’Islam et l’islamisme et ça c’est important. Ça peut apaiser et montrer que ça peut arriver à tout le monde parce qu’on peut avoir des aprioris alors qu’en fait cinquante pourcent des jeunes embrigadés sont des convertis venant de familles de beaucoup de religions. C’est donc important aussi de dire que ce n’est pas que des jeunes au départ musulmans. Pour la plupart, ce sont des jeunes dont les parents - dont certains que j’ai pu rencontrer – étaient là, qui ont donné de l’amour, certains sont des parents professeurs, avocats, médecins, d’autres sont défavorisés, mais en tout cas ils proviennent de tous les milieux sociaux et de toutes les religions. Et, ça, c’est important de le dire aussi. C’est aussi un film préventif, pédagogique, en plus d’être un film de cinéma. Ça permet de comprendre autrement que dans l’intellect, parce que dans les médias, on est bombardés de plein de choses qui sont très intellectualisées alors que là le film permet de comprendre émotionnellement ce que ces familles ont dû vivre et comment ces jeunes filles peuvent en arriver là.

Le Ciel attendra
Le Ciel attendra © Guy Ferrandis

Cathy Immelen : Comprendre, oui, mais en même temps est-ce qu’on peut comprendre qu’une jeune fille de 17 ans, juste perdue, arrive à aller si loin ? Comment est-ce qu’on peut expliquer ça ?

Naomi Amarger : Je ne saurais pas vraiment répondre à la question, parce que moi-même je n’ai toujours pas vraiment compris. Je crois que c’est extrêmement difficile de comprendre tellement c’est complexe et tellement la méthode d’embrigadement s’adapte à chaque profil d’adolescent. Donc pour chaque adolescent, il y a des motivations qui différent un peu, il y a des besoins différents, des angoisses différentes même si fondamentalement on retrouve chez la plupart des adolescents embrigadés soit un grand besoin de protection, soit une culpabilité suite à leur incapacité à s’occuper d’un proche ou d’un ami. Un besoin en même temps d’être protégé, peut-être d’avoir quelqu’un à protéger, de se sentir utile ou aimer, ou parfois admirer ; il y a plein de choses qui se rejoignent et ce sont surtout des adolescents très sensibles en fait qui sont dans une période où ils se posent beaucoup de questions sur la vie et sur la spiritualité.

Noémie Merlant : On a travaillé, entre autres, avec une jeune femme qui était en processus de désembrigadement et ce que j’ai compris sur ce processus – et c’est là que j’ai vu que ça aurait pu aussi m’arriver à moi – c’est que ça part de questionnements justement sur la vie et d’un malaise face à une société qui a aussi sa part de responsabilités. On est dans une société de surconsommation, faut réussir, c’est la course au fric, au like, aux marques. À l’école, il faut des super études, avoir de l’argent, mais tout ça finalement " pourquoi " ? Donc c’est remettre du sens et donc la spiritualité a – je pense – un rôle à jouer. Ils sont beaucoup en demande de spiritualité. Moi la première. C’est ça qui a raisonné chez moi : c’est cette quête de sens et cette quête d’absolu qui est encore plus forte quand on est adolescent et qu’on n’a pas trop envie d’en parler avec ses parents. C’est là qu’on est plus vulnérable et c’est là qu’ils utilisent les réseaux sociaux, avec des vidéos qui sont extrêmement bien faites et qui vont toucher les jeunes. Ils vont augmenter leurs angoisses, de la mort et de la vie, ils vont les augmenter et donc utiliser ces questionnements qui sont vrais en apportant petit à petit des réponses qui sont fausses. Ils s’immiscent dans cette brèche et à chaque fois ils s’adaptent à l’individu en fonction de ce qui est le plus important, de ce qui les inquiète ou qui les pousse le plus. Et c’est là que c’est le plus dangereux, parce qu’ils sont encore plus vulnérables dans une chambre, devant un ordinateur. On ne se croit justement pas vulnérable et c’est là qu’on se livre le plus.

Le Ciel attendra
Le Ciel attendra © Guy Ferrandis

Naomi Amarger : Ça se fait très petit à petit donc moi j’avais du mal à comprendre l’embrigadement parce que je me disais " comment c’est possible que du jour au lendemain, il y a une bascule et elles veulent partir en Syrie ? ".Alors qu’en fait ça ne se passe pas comme ça. Il n’y a pas un moment où elles ont un déclic ou une bascule. Ça se fait petit à petit, très progressivement et très inconsciemment aussi. Ça part justement de ce malaise sur la société…

Noémie Merlant : Et puis, ils utilisent des moyens sectaires. Ce n’est pas une secte, mais ils utilisent des pratiques sectaires donc petit à petit ils coupent le jeune de lui-même et des autres. Ils l’associent petit à petit au groupe et à l’idéologie. Eux donnent beaucoup de discours faux, mais il n’y a pas beaucoup de contre-discours et c’est aussi qui manque. Donc je pense qu’il y a tout un travail aussi à faire là-dessus de la part de notre société. Et quand ils sont en processus de désembrigadement il y a justement l’idéal de Daesh qui est tombé et il n’y a plus d’idéal ici non plus donc il faut reconstruire un rêve. Et c’est là que ça passe par le fait de recréer du lien. Les équipes comme celle de Dounia Bouzar qui épaulent les parents, qui essaient de renouer avec le jeune et de ramener l’individu qui est enfoui parce qu’en fait leur cœur et leur tête ont été sectionnés petit à petit, ramènent l’humain et montrent que ça passe par l’amour et le dialogue et que sans ça on ne peut pas y arriver.

Cathy Immelen : Quelles sont les réactions du public après avoir vu le film ?

 Naomi Amarger : Souvent les réactions mettent longtemps à apparaitre. Au départ, je pense que les gens sont encore un peu dans le film, mais on a beaucoup de témoignages de gens qui racontent comment ça les a touchés, qu’ils ont découvert des choses qu’ils ne savaient pas et qu’ils ont vraiment cru aux parcours de ces deux filles, l’une qui se fait embrigader et l’autre qui se fait désembrigader. Certains parlent d’expériences personnelles, de personnes qu’ils connaissent, de choses dont ils ont entendu parler et je pense qu’il y a un vrai besoin de partage. Les gens ont vraiment envie de partager les uns avec les autres. J’ai une amie qui est venue voir le film à une projection où je n’étais pas là et elle m’a dit qu’elle avait parlé avec tous ses voisins dans la salle, parce qu’elle était toute seule, et tous les gens seuls avaient envie d’en parler avec les autres. C’est un film qui montre que le lien humain est important et les gens prennent ça pour eux aussi, ils ont envie d’être unis pour être plus forts face à l’embrigadement.

Noémie Merlant : Par exemple, hier à la projection du FIFF, il y a un jeune homme musulman qui est venu me voir en pleurs et qui m’a dit " Merci, vous direz merci à toute l’équipe et à la réalisatrice parce que ce qu’il se passe me fait mal parce qu’avec tous les amalgames qui se font je n’arrive pas à expliquer aux gens que ce n’est pas l’Islam et ça me touche profondément. Et là, avec le film, vous expliquez ça, vous mettez au clair cette différence entre l’Islam et l’islamisme et merci parce que ça nous soulage un peu. Et peut-être que les gens vont mieux comprendre cette différence qui est fondamentale puisque l’islamisme n’est pas une religion, ce n’est pas l’Islam ". Voilà, ça l’a soulagé et pour nous, c’est important. On a eu aussi pas mal de jeunes. Par exemple, un qui est venu nous voir à la fin de la projection et qui nous a dit " Merci, parce que j’ai l’impression d’être un peu plus armé et d’être un peu plus fort avec tout ce qu’il se passe parce que je me dis que si j’ai un camarade ou un frère ou une sœur où je me pose des questions, là j’ai l’impression d’avoir des clés qui me permettent de mieux comprendre et peut-être d’avoir une prévention et de peut-être un peu mieux gérer les choses s’il y a un problème ou si je me pose des questions ". Il se sentait donc un peu plus fort et c’est notre cas aussi d’ailleurs.

Le Ciel attendra
Le Ciel attendra © Guy Ferrandis

Cathy Immelen : Mais, pour vous n’est-ce pas trop lourd ? Vous êtes des jeunes comédiennes et vous vous retrouvez à devoir parler d’un thème de société aussi fort et qui fait peur à tout le monde. Comment gérez-vous le fait de parler du djihadisme toute la journée ?

Naomi Amarger : Je n’ai pas l’impression de parler directement d’un fait de société parce que comme je suis là pour le film, je me cache derrière le film. Et c’est vrai que le film parle pour lui-même et que nous on est juste là pour parler de notre expérience et de ce qu’on a appris au travers du film. On parle beaucoup de ce sujet à la télé et dans les reportages, mais dans tout ça il y a une dimension très intellectuelle qui fait qu’on ne comprend pas vraiment, de l’intérieur, comment ça se passe l’embrigadement. C’est ce qui fait que ça nous fait peur, parce qu’on n’arrive pas à l’appréhender. Là où le film est un apport par rapport à ce problème qu’est l’embrigadement, là où il est utile, c’est qu’il permet justement grâce au personnage de Mélanie de montrer l’embrigadement de l’intérieur et comment ça se passe parce que c’est un film et non un documentaire. Il permet de passer plutôt par l’émotionnel que par l’intellectuel et je pense que, du coup, ça peut plus toucher les gens.

Noémie Merlant : Et puis, on sent que c’est tellement nécessaire par rapport à ce qu’il se passe en ce moment que, pour nous, c’est plus que du cinéma. C’est vrai que c’est très enrichissant justement de pouvoir en parler avec vous, avec les spectateurs. C’est ce qui permet d’avancer.

Naomi Amarger : On apprend beaucoup…

Noémie Merlant : C’est important de le faire. Alors oui, c’est tous les jours qu’on en parle, mais en même temps il faut en parler.

Cathy Immelen : Est-ce que vous avez eu peur à un moment de représailles ou que des gens de Daesh prennent mal le film ? Parce qu’ils sont assez puissants et qu’ils sont partout…

Naomi Amarger : Ça m’a traversé l’esprit…

 Noémie Merlant : Forcément, ça nous traverse l’esprit, mais en même temps je pense qu’il faut essayer de ne pas penser à ça et ne penser qu’au fait d’en parler et de combattre la peur parce que sinon…

Naomi Amarger : Oui, si on part là-dedans, on ne fait plus rien. Il y a du danger partout, tout le temps et, à chaque fois que j’accompagne le film, plus je partage et plus je me sens forte. Ce n’est pas que nous qui partageons avec le public, on reçoit aussi beaucoup et ça nous donne de la force. C’est ce que Dounia Bouzar disait l’autre jour parce qu’on a fait une projection à Paris et elle disait : " Vous voir défendre le film, ça me donne de la force ! " et j’ai trouvé ça magnifique qu’elle dise ça parce que moi, c’est elle qui me donne de la force. Quand je vois tout le travail qu’elle fait, quand je vois tout ce que vivent ces familles, le calvaire qu’elles vivent au quotidien, ça donne envie de faire un petit truc. Donc voilà, c’est mon petit truc à nous.

L'interview intégrale de Noémie Merlant et Naomi Amarger

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