Cinéma

Tête-à-tête avec Noémie Merlant, grande promesse du cinéma français

Dans Tár, la troublante Noémie Merlant livre une partition pudique mais intense face à une Cate Blanchett sidérante. Une entrée dans la cour des grandes qui augure une carrière majuscule. Le César de la Meilleure Actrice dans un second rôle, qu'elle a décroché lors de la 48e cérémonie, fait sens.
Nomie Merlant Csar 2023
Francois Durand/Getty Images

Enfant, elle rêvait devant Kate Winslet et Nicole Kidman. Mais cette grande timide n’aurait jamais imaginé marcher dans leurs pas. Son père, heureusement, décèle très tôt le feu qui brûle en elle et la pousse à s’inscrire au cours Florent. La révélation a lieu grâce à un monologue des Européens de Howard Barker. Ses peurs, elle les apprivoise bientôt sur les plateaux de cinéma où elle croise des guides éclairantes, comme son mentor Marie-Castille Mention-Schaar qui lui offre ses premiers rôles percutants (Les Héritiers, Le ciel attendra), ou sa bonne fée Céline Sciamma qui la révèle dans Portrait de la jeune fille en feu, dont la virtuose beauté a dépassé les frontières. Le charme opère. Hollywood lui fait désormais les yeux doux. Kate Winslet – consécration ultime – lui confie cette année un rôle dans son biopic sur la photographe Lee Miller, et Todd Field l’accorde à Cate Blanchett dans le troublant Tár, pour lequel l’Australienne a reçu la coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise. Une parenthèse internationale qui ne l’a pourtant pas détournée des plateaux français puisqu’elle porte le nouveau film d’André Téchiné, Les Âmes sœurs, aux côtés du magnétique Benjamin Voisin, avant de nous faire rire dans la prochaine comédie d’Éric Toledano et Olivier Nakache, Une année difficile, et d'embrasser sa sensualité dans la remake très attendu d'Emmanuelle d'Audrey Diwan. Entretien avec une actrice tout en nuance.

Noémie Merlant, actrice plurielle

Vous donnez la réplique à Cate Blanchett… Quel rêve !

Oui, c’était incroyable de travailler à ses côtés. Une vraie leçon de cinéma. Son génie ne s’explique pas. Elle a appris plusieurs langues et des dizaines de partitions de musique tout en reproduisant les gestes millimétrés d’une cheffe d’orchestre. C’est une vraie bosseuse. Mais elle a tout de même pris le temps de prendre soin des autres et d’échanger quelques blagues. Elle n’est pas dépassée par sa création comme son personnage, qui en devient irrespectueux et tyrannique. C’est une actrice incroyablement généreuse et respectueuse. Je me souviens de ce plan séquence où elle me prenait dans ses bras et faisait bien attention à ce que l’on voit mon visage et pas le sien, en se mettant à l’opposé de la caméra. Mignon, non?

Focus Features / Courtesy Everett Collection

Votre personnage, Francesca, l’assistante de Lydia Tàr, attend sa chance dans l’ombre sans jamais verbaliser ses désirs. Cela résonne-t-il en vous ?

Il était risqué, ce personnage, car j’ai dû trouver une manière de le rendre palpable et intrigant sans dire grand-chose, d’exprimer des non-dits par le regard. Et oui, j’ai beaucoup aimé le parallèle entre elle et moi. Je me suis servie de moi, Noémie, qui observe Cate travailler, tout comme Francesca qui admire le génie de Lydia. Elle me rappelle beaucoup mes débuts hésitants quand j’étais si peu confiante.

Courtesy of Focus Features

Vous sentez-vous plus sûre de vous aujourd’hui, avec la belle carrière qu’on vous connaît ?

Oui… J’ose plus, mais ce n’est pas encore ça. Dès que je dis quelque chose, je m’excuse tout de suite après. Et certains réalisateurs ne laissent pas forcément l’espace pour s’exprimer. Je l’ai d’abord ressenti durant mes années de mannequin, puis sur les tournages. En tant que femme, notre corps ne nous appartient plus, il est au service d’un processus créatif. Je pense avoir encore beaucoup d’efforts à faire pour me le réapproprier et apprivoiser mon espace.

Tourner ses propres films n’est-il finalement pas le meilleur moyen pour se l’approprier, cet espace ?

Totalement. En réalisant mes films, j’ai la sensation d’avoir mon endroit à moi où je peux m’exprimer pleinement. C’est très cathartique. La preuve avec mon second long-métrage (Les Femmes au balcon), une comédie surréaliste pour laquelle je me suis complètement laissée aller, ne lésinant ni sur la violence ni sur le gore. Un délire absurde extrêmement jubilatoire.

C’est dans une comédie d’ailleurs, L’Innocent, de Louis Garrel, que l’on vous a découvert un talent comique irrésistible.

Oui, c’est une facette de ma personnalité que j’avais envie de montrer, même si j’appréhendais beaucoup l’exercice car je n’ai pas l’impression d’être si drôle que cela. Je suis sortie de ma zone de confort. Pour faire rire, il faut lâcher prise et ce n’est pas évident quand on est une grande anxieuse comme moi. Mais Louis a été un très bon guide, il sait si bien manier l’humour.

Les Films des Tournelles

Diriez-vous que le cinéma est la meilleure des thérapies ?

Oui, quand je joue, mes angoisses s’envolent. Être actrice me permet de vivre réellement, d’être dans le moment présent. C’est une respiration, un besoin vital.

En tant que femme, avez-vous le sentiment aujourd’hui d’évoluer plus sereinement dans ce milieu ?

Pas toujours, car il y a encore beaucoup de comportements tyranniques et déviants sur les tournages. L’espace de création devrait être plus partagé, et non gouverné par une vision de certains privilégiés. Je bénis l’apparition de ce nouveau métier qu’est le coordinateur d’intimité. Certains ont peur de ne plus avoir de liberté, mais c’est tout l’inverse. Les acteurs sont plus respectés, plus écoutés, donc plus sereins. Personnellement, je n’ai aucun problème avec la nudité mais j’entends extrêmement fort que l’on puisse, en tant qu’actrice, être dépassée par une scène de sexe. Grâce à ce coach, on peut aller plus loin et mieux vivre la scène car on se sent en sécurité. Je pense qu’aujourd’hui, on tend à une plus grande écoute sur les plateaux, ce qui est essentiel pour laisser s’exprimer des visions que l’on n’a jamais entendues, des regards que l’on n’a jamais épousés. Une manière de travailler plus large. C’est très excitant.

Les lignes seraient-elles enfin en train de bouger au sein du cinéma français ?

Oui, surtout grâce à la nouvelle génération. Je ressens de plus en plus de sororité. C’est fort et très beau. Avec plusieurs jeunes actrices, on s’est créé un groupe, sans vraiment se connaître au départ, pour prendre l’habitude d’être ensemble, de s’écouter, de raconter nos expériences, d’exprimer nos doutes et nos peurs. Cet élan d’entraide est important pour se construire en tant qu’actrice et en tant que femme, pour apprendre à se faire confiance et mieux se raconter.

Vous êtes également à l’affiche des Âmes sœurs, d’André Téchiné. Encore un grand réalisateur à ajouter à votre filmographie.

C’était une expérience géniale. André est habité par ce qu’il fait, son énergie est contagieuse. J’espère être comme lui à son âge. Son “Action!” est magnifique, sûrement le plus beau du cinéma. C’est un cri d’amour à chaque prise, il ne dit jamais “Coupez !”. Il a une manière incroyable de travailler les corps et les cadres. Il peut être difficile d’entrer dans son univers, mais dès que l’on y parvient, on en saisit toute la magie.

Ad Vitam

Les avez-vous trouvées vos âmes sœurs ?

Je pense que oui. J’en ai plusieurs dans ma vie car j’aime vivre en bande. C’est ce que j’ai de plus précieux.

Quel rôle vous fait rêver ?

J’adorerais jouer dans une comédie musicale. Je voulais être chanteuse plus jeune. Mais je ne pense pas avoir une si grande voix que ça… Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous dévaloriser… J’ai encore des restes de ma jeunesse, oui… mais je me soigne, promis! Pourvu que dure le cinéma.

Qu’attendez-vous de ce métier ?

J’aimerais qu’il rassemble comme le foot. Comme Titanic ou Avatar, j’aimerais qu’il y ait ce déluge de gens qui fassent la queue devant les salles, ce bouche-à-oreille tentaculaire… Le cinéma doit fédérer, c’est une grande fête avant tout.

Tár, de Todd Field, actuellement en salles.
Les Âmes sœurs, d’André Téchiné, en salles le 29 mars.
Lee, de Kate Winslet, prochainement en salles.

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